- SEPT -

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- SEPT -« MON ANCÊTRE, Rosalie Carrel, avait un peu tendance à mélanger ses enfants. Il faut dire qu’elle en avait à peu près fait autant qu’elle avait vécu d’années de mariage, mais elle en avait aussi perdu plus de la moitié. A cette époque, cela ne choquait pas. Dans la meute familiale, Gustave se fit très rapidement remarquer comme un des plus sportifs. Un mot peu usité, en ce temps-là, autant que le mot loisirs d’ailleurs, parce que cela constituait des moments de la vie très rares pour les paysans. Les terres alluvionnaires de cette plaine de La Praille étaient en effet très convoitées par les maraîchers et l’on travaillait dur pour aller chaque jour au marché de Genève livrer sa récolte sur des chars à ban tirés par des chevaux. Dès qu’il le pouvait, Gustave empruntait le vélo familial et rejoignait ses amis pour jouer au ballon. Ce fut d’abord non loin des Vernets où se dressait l’asile des aliénés (là où se trouve aujourd’hui, soit dit en passant, la caserne militaire !). Mon arrière-grand-père Gustave fut très vite repéré par quelques adultes qui cherchaient à former une équipe sur les hauteurs des Charmilles. Le Football-Club de la Servette vivait alors ses premiers balbutiements. C’est un jeune Britannique, domicilié dans notre ville, fou du ballon ovale, qui avait voulu monter une équipe de rugby et baptiser ainsi le groupe d’amis qui se lancèrent dans quelques compétitions autour de mars 1890. C’était une sorte de football-rugby que l’on jouait alors sur le terrain du Pré-Wendt. On partit ensuite s’entraîner sur le terrain de la Prairie (où se trouve actuellement la rue du même nom) et l’on descendit finalement sur la Plaine de Plainpalais. Quelques officiels décidèrent alors de créer une section football du Servette, instituée en 1899, et qui devait connaître assez vite un bon succès populaire. Désormais, rebaptisée Servette FC, l’équipe genevoise devint membre de l’ASF en 1900 et déménagea l’année suivante au pré Cayla. Le Parc des Sports, futur stade des Charmilles, vit le jour en 1902 avec – nouveauté incroyable ! – une tribune destinée aux dames et réservée aux membres du comité. Si les yeux de Gustave brillaient cette année-là, c’est surtout parce qu’il avait rencontré Denise qui était venue, avec sa mère et ses sœurs, accompagner son père dans ce nouveau lieu de distractions dominicales. Aux yeux de Gustave, Denise éclatait de lumière : elle était non seulement belle, rieuse mais s’était prise d’amour tout autant pour le ballon rond, que pour le beau Gustave aux épaules carrées. Pour elle, il frappait le cuir avec une énergie tout amoureuse. Mais cette passion pour Denise contraignit Gustave à retourner à ses tâches agricoles, parce qu’à cette époque-là le football ne nourrissait personne. Ils se marièrent. Filles et garçons se succédèrent, moururent ou grandirent selon les cas mais tous, sans exception, se mirent à travailler dans les cultures. Avec tous leurs enfants vivants, Denise et Gustave auraient facilement constitué une équipe de foot mais, dans les brumes de la Drize, leur vie restait dictée par les exigences de la terre. Parmi eux, Augustin, mon grand-père, naquit pour les 30 ans de Gustave. A cette époque, en 1907, la plaine commençait à sentir les menaces de l’urbanisation. Le danger approchait. Déjà, la route des Acacias, construite en 1891, conduisait la ville à l’intérieur de ce coin de terre. On commençait à aménager un semblant de vie sur le côté Salève de cette voie d’accès. L’époque était à l’industrialisation et l’on se gargarisait du terme. On ne savait pas encore qu’il deviendrait, pour la plaine de La Praille, un synonyme de malédiction. »
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