Maudit Foot

- ONZE -

- ONZE -« LE VIOL de cette plaine vierge avait commencé avec l’avenue des Acacias. Et puis, en 1912, ce qui correspond à la naissance de Ferdinand, Monsieur Butin décéda. Il fit un legs très important à la ville de Genève, legs grâce auquel on envisagea de prolonger jusqu’à La Praille la ligne de chemin de fer, arrivant de la Suisse vers la Gare de Cornavin. Le don de Monsieur Butin était destiné à la construction d’un immense pont par-dessus le Rhône qui permettrait une liaison facilitée entre la colline des Charmilles et le Grand-Lancy. Même les autorités fédérales se liguèrent contre La Praille en acceptant l’éventualité d’une gare au Pont-Rouge, l’actuel cœur des Ports-Francs. La plaine attirait les bâtisseurs comme un aimant. En 1912 déjà, on parla de canaliser les cours d’eau qui folâtraient ici depuis la nuit des temps. La Drize, qui arrivait du pied du Salève, flânait, allant son chemin capricieux à travers les haies touffues. On la disait romantique. Elle avait cette beauté qui a fait dire à un pêcheur qu’elle ‘mériterait d’être remontée par les saumons’. Mais l’Homme en avait décidé autrement et la Drize se trouva bétonnée, détournée, et elle devint, au long de ce qui deviendrait le boulevard des Promenades, un bassin discipliné faisant la joie des lavandières et le bonheur des vieux comme des enfants. Ces travaux, ces projets, c’était pour Gustave le début de la fin. Il aimait, les jours de beau temps, réunir ses enfants au pied du cerisier qui faisait face à la cour de la grande ferme et leur contait tous ses souvenirs. C’était son moyen de transmettre. Son écriture à lui. Augustin comme Ferdinand, avec leurs frères et sœurs, adoraient ces moments d’intimité. Chacun s’asseyait, ouvrait grand ses yeux et ses oreilles, Gustave racontait. On ne savait pas encore que la guerre guettait et que l’assassinat qui se préparait là-bas, à Sarajevo, allait obscurcir le ciel pour un bon moment. »