- DIX -JOSH TREYVAUD, nouveau promu à la Brigade criminelle, sait qu’il a devant lui à la fois une grande chance et un immense défi. La chance, c’est d’enfin accéder au poste pour lequel il a travaillé depuis le début de sa carrière de policier, et le défi, c’est de parvenir à supporter Laederach et son caractère. Plusieurs s’y sont déjà cassé les dents. Quand on lui a présenté son supérieur, Josh s’attendait à avoir devant lui un personnage glacial. On lui en avait dit tant de choses. Et puis, quand Laederach lui avait tendu la main, bien que regardant ailleurs à ce moment-là, Josh avait eu un « good feeling » comme aurait dit sa mère d’origine anglaise. Certes, la carapace ne serait pas facile à percer. Mais le jeune homme, par bravade, s’était alors juré d’apprivoiser le « vieux ».
Pour entrer dans le moule, imposé par la personnalité de Quentin Laederach, Josh a dû mettre en veilleuse sa volubilité. Il a appris à se taire. Cela semble banal, c’est pour lui un énorme effort. Il sait aussi qu’avec Laederach inutile de dire ce que l’on pourrait faire, autant agir tout de suite. Dès lors, en arrivant à son bureau, il expédie un maximum de petites affaires courantes pour s’en prendre au dossier de La Praille.
– Il ne manquait plus que ça ! Ce stade aura vraiment tout connu.
Très vite renseigné sur l’entreprise générale occupant les lieux plusieurs années auparavant, il empoigne le téléphone. Son ordinateur affiche en très gros plan une photo de ce qu’il reste du badge du malheureux « bétonné ». Son nom commençait par un « D ». Impossible autrement, car la lettre affleure le côté gauche de ce qui a dû être une étiquette. C’est déjà pas mal, voilà vingt-cinq initiales écartées.
L’entrepreneur général mandaté à l’époque pour les travaux du stade de La Praille n’est pas enthousiasmé quand on lui explique ce qu’on vient de découvrir. Après une succession de soucis financiers avec la direction du stade, il préférerait aujourd’hui ne plus jamais en entendre parler. Ce mort dans son béton, c’est pire que tout ce qu’il pouvait imaginer. Il promet à Josh de le rappeler au plus vite, tout en soulignant qu’il ne se souvient d’aucun accident dans ce secteur.
– Forcément, répond Josh, si l’homme était tombé sous les yeux de témoins, on n’aurait pas versé du béton dessus.
L’entrepreneur n’ayant pas ainsi évalué l’hypothèse, se trouva stupide.
– Je dis que je n’ai pas eu connaissance de la moindre plainte…
– Votre travail n’est pas mis en cause. Mais il me faut savoir si quelqu’un a manqué à l’appel au cours des travaux.
– Vous avez une fourchette de temps à proposer ?
– Ce serait fin 2001, juste après le coulage des murs que vous appelez, je crois, des contrevents.
– La difficulté vient du fait que nous avons des employés fixes et des intérimaires. C’est une gestion lourde. Certains gars, découragés, ne reviennent tout simplement pas le lendemain. C’est rare, mais ça arrive.
– D’accord, mais c’est nécessairement indiqué quelque part.
– Bien sûr.
– Alors faites le maximum. Ah, dernière chose : le mort aurait un nom commençant par « D ».
Il y eut un long silence à l’autre bout du fil.
– « D » ?
– Oui, comme Danemark. Ça vous dit quelque chose ?
– Heu… non. Pas plus que ça.
– Bien. Alors je compte sur vous.
Etrange, ce silence sur la lettre « D ». Josh entoure sur sa feuille le nom de son interlocuteur : Michel Darbellay. Tiens, étrange similitude…