le voyage
CHAPITRE 1️⃣
Trois jours de marche épuisent même le plus valeureux des guerriers, alors imaginez ce que cela représente pour une jeune femme, d'un 1m63 et 58 kilos. Nous ne pensions pas marcher à pied aussi longtemps, mais après avoir quitté le village, trouver un véhicule s'est avéré plus difficile que prévu. J'ai envie de m'arrêter, mes pieds me brûlent, j'ai chaud, je transpire sous ma burqa. Mais si je craque alors maman s'arrêtera aussi, je dois lui montrer que je suis forte, je peux y arriver. Pour elle, pour notre nouvelle vie.
Les bombardements ont cessé, mais nous devons rejoindre la ville avant qu'ils ne reprennent. Les journalistes à la radio affirment que l'immeuble dans lequel nous nous étions réfugiées s'était effondré faisant des dizaines de blessés. Cela n'a fait qu'accroître notre envie de fuir.
Lorsque nous arrivons en ville, une connaissance de mon père, accepte de nous héberger pour quelques pièces. Mais, nous devons absolument économiser notre argent si nous souhaitons partir.
« - Ce n'est que le temps de quelques jours, deux nuits. On doit se reposer avant de partir.
- D'accord, je vais aller prendre une douche.
- Azhar, je vais aller faire un tour dehors. Je dois rejoindre quelqu'un.
- C'est beaucoup trop dangereux, tu ne peux pas sortir seule je viens avec toi !
- Non, reste ici je reviens très vite. »
Son regard, cette expression sur son visage. Elle ne reviendra pas, je le sentais, mes jambes tremblaient et menaçaient de céder, après mon père, ma mère allait m'abandonner à son tour.
« - J'ai été très heureuse ma fille, j'ai vécu ma vie. J'ai épousé ton père, c'était l'amour de ma vie, il a pris soin de nous. Maintenant, je dois me battre pour que toi aussi tu puisses vivre ta vie, tu as le droit de vivre ma fille. »
Elle est sortie, laissant derrière elle mon cœur meurtri par la tristesse. J'ai espéré, tenté de m'endormir en espérant l'avoir à mes côtés en me réveillant. Huit heures après son départ, alors que je n'avais plus aucun espoir, elle a passé la porte. Elle à retiré sa burqa et m'a fixée, longuement son regard était à la fois doux et triste. Il y avait de la crainte, une appréhension. Elle fait quelques pas, puis s'installe face à moi sur le matelas.
« - Azhar, ma fille.
- Maman, pourquoi es-tu ainsi ?
- Un homme t'attend, il va t'emmener en Europe. »
Pour beaucoup de syriens, quitter ce pays est une évidence, mais pour moi ça ne l'est pas. Ma vie entière est ici, est-ce que cette traversée vaut vraiment le coup ? Mon père y croyait, mais il n'est jamais arrivé à destination et moi ? Vais-je y arriver ? Un homme m'attend, il va m'emmener moi, pas elle. Elle n'a pas l'intention de me suivre.
« - Je ne veux pas partir, j'ai peur. Je ne partirai pas sans toi.
- Je ne peux pas venir Azhar, il n'a qu'une seule place, je lui ai donné toutes nos économies. C'est ta chance ma fille, tu dois la saisir, tu dois rester forte et garder la tête haute. Ton oncle vit en France avec sa famille ils vont t'accueillir et t'aimer comme leur fille.
- [...]
- Nous allons mourir ici, il n'y a plus rien. La famine tue bien plus que la guerre. Pars ma fille, tu as une chance de partir, il faut que tu partes. »
On toque à la porte, trois coups. L'homme à l'extérieur s'impatiente, ma mère me relève elle me tend le sac et quelques billets que je dois précieusement garder. Je n'arrive plus à parler, suis-je encore en vie ? J'ai l'impression de ne plus respirer, d'avoir quitté la terre. Je ne la reverrais plus jamais, tout comme mon père, cette guerre m'a tout pris. Elle m'embrasse longuement sur les joues, mêlant ses larmes aux miennes.
« - Je t'aime ma fille. »
Puis, elle m'entraîne avec elle à l'extérieur, une Jeep stationne devant la maison, deux hommes y sont déjà installés, je monte à l'arrière. La voiture démarre, ma mère reste-là et même lorsque nous nous éloignons je sens son regard sur moi. Puis bientôt, elle disparaît de mon champ de vision et je sais que c'est terminé.
Le désert Syrien, est si vaste, la traversée est difficile et périlleuse. À tout moment, on peut tomber sur des voleurs, des meurtriers, nombreuses des exécutions ont lieu dans le désert. Fadel, l'homme qui dirige le voyage, a ordonné une pause, dans un coin en apparence tranquille. Ils ont allumé un feu avant de s'installer autour.
Aucun d'entre eux ne m'a adressé la parole, mise à part pour me proposer de l'eau ou à manger. Mais je n'ai rien avalé, la douleur est si intense que mon estomac est noué. Fadel est mystérieux, il ne parle pas, aucun moyen de le cerner. Mais je lui fais confiance. Je n'ai pas le choix. Après le repas, il s'approche de moi et me donne des documents.
Un passeport et une carte d'identité, nous allons passer par la Turquie, qui est un point de passage essentiel pour rejoindre l'Europe. Ensuite, j'y prendrai un bateau qui m'emmènera en Italie et de là, je prendrai un train jusqu'à Paris. J'ai une chance sur deux d'y arriver. Une fois en Italie, le voyage en bateau sera très dangereux.
« - Tu as une chance sur deux d'y arriver, si tu te fais attraper je ne pourrai rien pour toi. Tu ne dois pas donner de détail sur le chemin que nous avons emprunté et tu ne dois pas parler de moi. Compris ?
- Oui.
- Tu as de la famille qui t'attend en France, j'ai pu parler avec ton oncle, ils attendent ton arrivée. »
Je ne savais quoi dire à cela, je ne connaissais pas réellement le frère de mon père. Il est parti il y a longtemps, je n'étais même pas née. Mais je sais que mon père et son frère ne se sont jamais perdus de vue.
Finalement, je me suis endormie , épuisée par toute ces émotions. Mon sommeil à été entre-coupé par mes cauchemars, mes parents, je revoyais la mort de mon père, son bateau coulant avec à son bord des centaines de personnes, criant à l'aide. Ma mère, son regard lorsque je suis partie, ou est-elle à présent ? Toute ces questions, auxquelles je n'aurais jamais de réponse.
[...]
En pleine nuit, mon sommeil est à nouveau interrompu, des bruits de pas attire ma curiosité, j'ouvre les yeux et découvre Fadel, allongé au sol. Le visage ensanglanté, près du feu, trois hommes fouillent les sacs. L'un d'eux, tourne la tête et lorsque son regard croise le mien, je me retrouve totalement tétanisée.
Il s'approche de moi à grande enjambée et me crie dessus, j'ai tellement peur que je n'arrive pas à déchiffrer ses paroles, il me demande à plusieurs reprises de me lever. Mais face à mon état léthargique, il perd rapidement patience. Il m'attrape par les cheveux, et me force à me lever. Je regarde autour de moi, notre campement temporaire est complètement détruit. Les deux hommes qui accompagnent Fadel sont également blessés, je crois même que l'un d'entre eux mort.
Heureusement, mon passeport ainsi que l'argent que m'a donné ma mère sont en lieu sûr. Ils trouvent l'argent, et récupère les gourdes d'eaux. Sans eau, nous n'allons pas pouvoir continuer. Ma principale crainte, n'est pas d'avoir perdu l'eau. Lorsqu'ils auront terminé de piller, je serai vendue au marché des esclaves et Fadel sera exécuté sur une place publique.
Celui-ci se réveille enfin, se rendant compte qu'il n'y a aucun objet de valeur ils sont frustrés par leur échec. L'un d'eux frappe Fadel avec le cross de son arme, il tombe au sol comme une masse lourde et semble totalement inconsciente, je prie pour que Dieu me vienne en aide.
« - Je vous en prie, arrêtez, vous allez le tuer. »
Il me rit au nez avant de me gifler, sonnée et surprise par cet excès de violence, je préfère rester au sol plutôt que de l'affronter, attitude surement très lâche, mais qui je l'espère me protègera. Contre toute attente, ils partent laissant la Jeep derrière eux, car Fadel a eu la bonne idée de vider le réservoir et de cacher les bidons d'essence.
Lorsque je suis sûre de ne plus les revoir, je m'approche de Fadel afin d'évaluer son état, heureusement il n'est pas mort. Je me lève attrape ses jambes afin de le traîner jusqu'à la voiture. Il gémit de douleur avant d'ouvrir les yeux.
« - Vous m'entendez ? Il vous faut de l'eau.
- J'ai caché des bouteilles sous la voiture. »
Après avoir bu, nous avons porté son ami jusqu'à la Jeep laissant le cadavre de l'autre dans le désert, puis nous avons repris la route jusqu'à la Turquie sans nous arrêter. La Jeep s'élance rapidement, comme poursuivit par une force maléfique et je vois les paysages de mon pays, défilé jusqu'à totalement disparaître.
J'ai pu rattraper mes heures de sommeil sur la route, mais très rapidement j'ai été malade. Nous avons parcouru des routes rocheuses et montagneuses, j'ai cru à plusieurs reprises que la voiture allait finir par se retourner. Mais grâce à Dieu, nous sommes arrivés à la frontière. Je dormais encore, lorsque nous sommes arrivés au barrage.
« - Azhar réveille-toi ! On arrive à la frontière, me dit Fadel. »
Je me redresse et bondis sur le siège, j'ai le tournis. J'ai faim et j'ai besoin d'une douche, la crasse s'est comme incrusté dans ma peau et ma propre odeur corporelle me répugne.
Fadel a un contact, une sorte d'informateur comme dans les séries télé, mais l'angoisse monte d'un cran car l'homme qui est sensé nous faire passer la frontière semble absent. Tout ce chemin pour échouer près du but. Et lorsque vient notre tour, je sens l'anxiété de Fadel, qui tente tout de même de la masquée et je dois reconnaître qu'il est doué pour faire semblant. Si on se fait attraper, je serai emprisonné puis expulsée.
« Vos papiers d'identités, demande le gardien. »
Fadel lui donne les papiers, ils les inspectent, nous lance quelques regards deux hommes tournent autour du véhicule je sens ma vessie se resserrer. Je vais me faire pipi dessus, ici sur les sièges. Je tremble tellement que Fadel me fait signe à travers le rétro viseur de ne plus bouger.
« Sortez du véhicule, dit l'agent.
- Pourquoi ? Tout est en règle.
- Sortez, et la dame aussi. »
Nous sortons tous les trois, le policier se rend dans la boxe situé à notre droite, il prend un téléphone compose un numéro. La conversation est rapide, il raccroche et se rapproche de nous avec une démarche volontairement nonchalante.
« Vous n'êtes pas autorisés à passer. »
Je regarde Fadel, toujours aussi serein. Calme-toi Azhar détend toi. Tu vas tout gâcher me dis-je à moi-même. Je tente de me calmer mais c'est impossible, mon cœur bat tellement vite et ma vessie qui ne va pas tarder à céder.
« - Pourquoi ?
- Les papiers de la dame ne sont pas en règles, suivez-moi tous les trois. »
Fadel s'approche de l'homme, puis il s'éloigne pour discuter. Lorsqu'il revient, l'homme appelle un des gardes afin de récupérer des caisses en bois dans la Jeep.
« - Partons, avant qu'il ne change d'avis.
- Comment tu as fait ?
- Je lui ai donné de l'alcool, ils aiment beaucoup se genre de chose par ici.
- Mais, il a dit que mes papiers n'étaient pas en règle.
- Ils le sont. Ici, ils n'ont pas le matériel pour vraiment savoir s'ils le sont ou pas ! Mais en voyant la voiture, il a su que j'étais un passeur et que je pourrais négocier.
- Et on va où maintenant ?
- On va rouler jusqu'au nord de la Turquie et c'est là-bas que tu devras prendre ton bateau. »
Nous avons pu faire des pauses, dans des hôtels maintenant que nous étions en sécurité en Turquie. Nous avons rejoint le groupe de passeur qui nous fera traverser la mer jusqu'en Italie.
« - Voilà tes papiers, et de l'argent. Arrivée en Italie si tout va bien, prend un train direct pour Paris. Voici le numéro de ton oncle. Je l'ai appelé hier, ils viendront te chercher à la Gare.
- D'accord ! Merci Fadel.
- Ne me remercie pas, tu le feras lorsque tu seras arrivée en France. Avant ça, tu ne seras jamais tranquille.
- Et toi, où vas-tu maintenant ?
- Moi, je vais continuer ma vie. Fais attention à toi Azhar et surtout ne donne d'argent à personne ici et ne quitte pas ton sac des yeux ! Ne fais confiance à personne.
-Oui. »
Il part sans se retourner et me laissant au milieu de tous ces migrants. Il y avait de tous, des blancs comme des noirs, de toutes religions confondues. Mais nous rêvions tous d'une une vie loin de la guerre, de l'insécurité, de la famine.
[...]
C'est en pleine nuit que nous avons finalement quitté cette plage. Les bateaux étaient beaucoup trop petits, la capacité d'accueil était largement dépassée. La sécurité était totalement absente, même les gilets de sauvetage n'était pas rassurant. Chacun devait payer son gilet, ceux qui n'avaient pas de gilets s'accrochaient aux autres.
Les passeurs étaient absolument odieux, j'ai laissé une femme qui portait son bébé s'accrocher à moi. Elle espérait rejoindre l'Angleterre, où le mari était déjà parti. Les conditions de voyages aussi horribles soient-elles ne faisait que rendre les gens individualistes. Il n'y avait absolument aucune solidarité, car la survie est la seule chose qui compte.
J'ai cru mourir tant de fois, j'ai retenu mon souffle et ma respiration tant de fois. Rien ne vaut ce voyage, pas même tout l'or du monde. Il faut être totalement désespéré pour tenter une telle folie. Les enfants pleuraient, la faim pousse à commettre des actes terribles, plusieurs bagarres ont éclaté en pleine mer. Certains sont tombés à l'eau. J'étais si effrayée, gelée, que j'ai cru ne jamais arriver.
[...]
Après quatre jours en mer, j'étais totalement frigorifiée, plusieurs personnes sont tombées à l'eau, les passeurs ont refusé de s'arrêter pour les aide. Même mes larmes étaient glacées, j'avais l'impression que mon corps entier était devenu un bloc de glace. J'étais à bout, je ne sentais plus mes orteils et heureusement, car mes pieds pataugeaient dans le vomi.
La femme à mes côtés, tentait de me rassurer, j'ai apprécié son côté maternel, j'avais l'impression d'être auprès de ma mère. Tu vois maman, je l'ai fait et maintenant je comprends pourquoi papa n'est pas revenu. Je voulais tomber à l'eau à mon tour, pour ne plus vivre ce supplice. Lorsque enfin nous avons aperçu les côtes italienne les cris de désespoir ont laissé place aux larmes de joies.
Moi j'avais toujours une pensée pour toutes les personnes qui sont mortes durant ce terrible voyage en mer. Les passeurs nous demandent de sauter à l'eau et de nager jusqu'au port, hors de question pour eux de nous accompagner. Heureusement, nous ne sommes pas loin de la plage. Mon sac entre les mains, j'avance difficilement jusqu'à la plage.
Il y a plus d'une centaine de personnes, surement prévenues par des riverains, les secours arrivent très rapidement et les enfants sont pris en charge. Nous apprenons que nous ne sommes pas en Italie mais en Espagne. Les passeurs ont dû éviter la marine italienne. C'est pour cela que le voyage a duré plus longtemps. Ils n'ont même pas pris la peine de nous prévenir.
Une étape à rayer de ma liste, je touche au but. Dans quelques jours, je serais en France, auprès de ma famille et je pourrais démarrer cette nouvelle vie qui m'attend.
À suivre....