Chapitre 3

1259 Mots
Matériellement, du reste, c’était impossible… La clef du coffre-fort était toujours sur lui… Cependant, il se rappelait qu’il l’avait laissée, la nuit passée, avec ses vêtements, dans le cabinet où se trouvait le coffre-fort… le cabinet adjacent à cette chambre dans laquelle les bras de Liliane l’avaient entraîné. Mais quoi, on ne pouvait entrer dans le cabinet qu’en passant par sa chambre ! Il ne comprenait plus !… Et surtout il ne voulait pas une seconde essayer de comprendre que l’amour et la possession inattendus de Liliane fussent pour quelque chose dans l’incident !… Non ! L’étui avait été volé – sans qu’il sût comment – la veille… Et la preuve de cela, il l’avait. La preuve que l’étui avait été volé avant l’arrivée de Liliane, il la possédait… … En effet, la lettre du roi des Catacombes lui annonçant qu’il viendrait le lendemain, à deux heures, dans son bureau même, au Palais de Justice, chercher Mlle Desjardies, cette lettre il l’avait trouvée à sa rentrée chez lui en sortant de chez Teramo-Girgenti… avant donc que Liliane ne se présentât à sa porte… Or, il ne pouvait douter qu’au moment même où R. C. lui écrivait cette lettre et osait tenter ouvertement un pareil coup d’audace, R. C. ne fût déjà en possession de l’étui !… C’était l’arme avec laquelle il comptait le faire chanter… Alors, il respira et il demanda mentalement pardon à Liliane d’avoir pu, un instant, diriger sa pensée du côté d’un si extravagant soupçon… Maintenant, il pouvait écouter R. C. Eh bien ! qu’est-ce qu’il lui voulait avec son étui, cet étui qu’il avait ouvert et dont il sortait des lettres qu’il connaissait bien ?… Livrer le tout au procureur général, qui allait peut-être, dans l’instant, comme l’autre le lui avait annoncé, pousser sa porte ? Le procureur général était la bête noire de Sinnamari. La vertu parfaite de ce magistrat suprême, son seul chef, l’excédait. La parfaite simplicité de ses mœurs, sa pauvreté, l’inintelligence voulue qu’il avait des choses de la politique, son mépris de l’intrigue en général et son mépris de Sinnamari en particulier, l’avaient plus d’une fois poussé à de terribles accès de rage secrète contre un personnage qui était si bien l’antithèse du sien ! Il le haïssait de toutes ses forces et, s’il ne le craignait point, du moins il s’avouait que cet homme le gênait. Il le gênait de toute l’estime qu’il traînait derrière lui au Palais. Il le gênait comme une injure, comme un reproche, comme un remords, comme une accusation muette. De voir l’un si blanc, l’autre devait apparaître plus noir. Couramment, il le traitait d’imbécile : c’était un honnête homme. Sinnamari, se passant la main sur son front en sueur, se leva et alla à R. C. – Que voulez-vous ? dit-il. – Mlle Desjardies. – Et vous me rendrez toutes ces lettres ? – Oui. Sinnamari ouvrit la porte qui donnait sur le bureau de son substitut. Il fit un signe. Mlle Desjardies était sur le seuil. Elle vit R. C., poussa un cri de surprise. Elle le connaissait et ne « le reconnaissait pas ! » Mais R. C. parla avec cette douce voix dont il lui disait son amour, et elle s’écria, délirante : – Pascal !… Ils furent dans les bras l’un de l’autre. – C’est touchant ! fit cyniquement le procureur, mais vous vous embrasserez dehors !… Mes lettres, s’il vous plaît ? R. C. se dégagea de l’étreinte de Gabrielle tremblante, ne sachant si elle devait se réjouir, craindre ou espérer… Il donna les lettres. Le procureur les regarda, les compta… – C’est bien, fit-il, elles y sont toutes… Et il allongea la main vers l’étui… Mais R. C. le mit dans sa poche. – Non, dit-il. Vous n’aurez pas l’étui !… Je le garde. Il a appartenu à Didier ; si par hasard il vous prenait fantaisie de me faire arrêter dans la cour de Mai, malgré les précautions que, personnellement, j’ai prises, je ne serais pas mécontent d’apprendre à ceux qui l’ignorent comment cet étui est tombé en ma possession. – Vous êtes vraiment fort ! dit Sinnamari… Mes compliments !… R. C., ayant à son bras Mlle Desjardies, se disposait à quitter le cabinet du procureur, quand un huissier annonça que le procureur général était dans l’antichambre. – Qu’est-ce que je vais lui dire ?… murmura Sinnamari. – Ce que vous voudrez ! répliqua avec un sourire sinistre le roi des Catacombes. Maintenant, nous sommes quittes en ce qui concerne Mlle Desjardies, mais je vous préviens qu’il va falloir recommencer à compter avec Robert Carel !… Comme on dit en Corse : « Garde-toi, je me garde !… » Je vous ai condamné à mort, monsieur le procureur impérial !… – Ce sera pour bientôt ? demanda avec une effroyable ironie Sinnamari… – Monsieur, mon père a attendu la mort quarante-quatre jours après le verdict. Je vous préviens que dans quarante-quatre jours, jour pour jour, heure pour heure – il est deux heures et demie – vous me reverrez, monsieur ! – Pour quoi faire ?… – Pour mourir !… Sinnamari ne broncha pas sous cette menace, qu’il prit pour une rodomontade, mais, tout de même, il se demanda un instant s’il n’allait pas faire sur-le-champ arrêter R. C. Il recula devant l’effroyable scandale que son ennemi pouvait déchaîner et aussi devant la certitude que R. C. devait avoir pris, comme il le lui avait dit, ses précautions. Du reste, le procureur général entrait dans son cabinet… et R. C. et Mlle Desjardies s’éloignaient déjà. Aucun incident ne se produisit. Le roi des Catacombes et sa fiancée purent sortir du Palais sans être inquiétés. Une voiture attendait devant la grande grille de la cour de Mai. R. C. y fit monter Gabrielle et aussitôt on entendit des exclamations et des cris de joie ! – À la gare d’Orléans, commandait R. C. au cocher. Et il monta à son tour dans la voiture, où il trouva Mlle Desjardies dans les bras de son père… Les trois voyageurs prirent, à la gare d’Orléans, des billets pour Bordeaux. Mais ils descendirent à Juvisy, et là, abandonnant la ligne d’Orléans pour le P.-L.-M., prirent place dans un train qui les conduisit à Laroche. À Laroche, ils montèrent dans le rapide de Marseille. Dans le moment même où le train allait se mettre en marche, R. C. ne fut pas peu surpris de voir accourir sur le quai M. Macallan, tout essoufflé, et agitant plus que jamais son bâton. – Et l’étui de Cécily ?… Et l’étui de Cécily ? hurlait-il, du plus loin qu’il reconnut R. C. Macallan grimpa sur le marchepied et voulut ouvrir la portière du compartiment. R. C. tentait en vain de lui faire lâcher prise. – Je ne te laisserai pas, by Jove ! Si tu ne me montres pas l’étui de Cécily !… Jure-moi que tu l’as toujours, by Jove !… Montre-le moi ?… Donne-le moi !… R. C. sortit l’étui de sa poche et le donna à l’avorton, qui paraissait en proie à une crise d’hystérie, tant son exaspération était désordonnée. Quand il tint l’étui, M. Macallan lâcha la portière du wagon ; le train partit… Resté seul sur le quai, M. Macallan ouvrit l’étui. – By Jove ! clama-t-il… il est vide ! Et il donna un tel coup de canne sur le bord du quai que le bâton vola en éclats !… Il en considéra les morceaux, mélancolique… – L’étui ne serait pas vide, soupira-t-il, s’il n’avait pas une dent creuse !…
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