PARTIE 1 : HIMMELSREITER-2

3014 Words
— On ne vous demande pas votre avis, lieutenant. » Des rires étouffés se propagèrent parmi l’assistance. Druvnik attendit patiemment que le calme revienne. Après quoi, il s’alluma un cigare et en tira une longue bouffée. « Les espions ont transmis de nouvelles informations. Les forces de l’OTAN prévoient de renforcer leurs effectifs dans l’Enclave et le long du Rideau de fer ainsi que les installations défensives, suite aux dernières décisions politiques de Miroslav. On s’attend à voir débarquer des troupes fraîches, du matériel et des véhicules militaires. La surveillance des corridors aériens va donc s’en trouver renforcée. Il se pourrait que l’augmentation du trafic devienne prétexte à davantage de déviances hors des couloirs, ce que nous ne tolérerons pas plus que jusqu’à maintenant. » On acquiesça distraitement dans l’assistance. « Les intentions de l’OTAN ne sont à ce jour toujours pas claires. Washington n’a fait état en public que de simples mesures préventives. Nos informateurs pensent toutefois que ces mouvements de troupes cachent autre chose : cet arsenal possède toutes les chances d’être destiné à d’autres fins. Quoi qu’il en soit, et j’insisterai tout particulièrement sur ce point, vous n’êtes en aucun cas autorisés à ouvrir le feu à moins d’être pris pour cible et attaqué. Vous devez recevoir l’ordre de la cellule de commandement avant toute manœuvre offensive. Le premier que je surprendrai à abattre un appareil pour l’esbroufe me le paiera personnellement. » Les yeux glacés du général s’attardèrent un instant sur Anya et Markus, à titre d’avertissement personnel. Il était en pleine conscience des rivalités qui animaient les deux groupes de chasse ; chaque occasion était bonne pour prouver à l’autre sa supériorité, même les initiatives les plus stupides. Ces crises d’ego l’agaçaient mais il les tolérait tant que le travail n’en souffrait pas. « Fermez les yeux si l’on vous provoque, aussi longtemps que les engins ne dévient pas de leur plan de vol. Dans le cas contraire, appliquez la procédure habituelle. Un tir non justifié, un seul, signera l’ouverture d’un nouveau conflit mondial. Et s’il doit avoir lieu, les Soviets n’en seront pas les instigateurs. » Après l’accalmie de la présidence de Gorbatchev, les tensions avaient resurgi comme au premier jour. Adieu Glasnost et Perestroïka, plus aucune information ne filtrait au-delà du Rideau de fer, opaque comme jamais ; Miroslav y veillait personnellement. Quant au plan zéro visant à dégarnir l’Europe de ses missiles nucléaires négocié avec Reagan en 1987, il ne s’agissait plus que d’une douce utopie. Les trois dernières années avaient suffi pour détruire tous les progrès accomplis entre l’Est et l’Ouest au cours des décennies passées. À présent, les braises menaçaient de reprendre feu. Ne manquait qu’une étincelle. « Viennent s’ajouter à ceci les ordres de Moscou. L’Enclave doit, à plus ou moins long terme, tomber sous la coupe soviétique. Telles sont les exigences de Miroslav. Tant qu’elle subsiste, les Occidentaux ont un pied chez nous, ce qui n’est plus souhaitable. Moscou craint de nouvelles insurrections. » Le Parti avait eu fort à faire pour éteindre celles de 1989. Durant près d’une semaine, des contingents de soldats avaient traqué les manifestants et durement réprimé les fauteurs de trouble. Miroslav n’avait pas lâché prise, ignorant l’indignation internationale provoquée par les répressions en masse. À la suite de quoi, les effectifs militaires avaient triplé autour de l’Enclave et la chasse aux dissidents s’était vue renforcée. Davantage de libertés avaient été octroyées à la Stasi, pour le bien-être et la sécurité de l’Union Soviétique. « Et comment compte procéder Miroslav ? lâcha Petersen. Déclarer la guerre à l’Occident ? — Si Moscou fait entrer des chars soviets dans Berlin-Ouest, renchérit Anya sur le ton de la banalité, on peut d’ores et déjà s’attendre à une pluie d’ogives nucléaires, missiles ou ferraille diverse sur tous les nœuds de commandement de l’Union. Ce ne sera pas aussi simple qu’à Prague en 1986 : les Amerloques en ont fini avec le Vietnam et ont les mains libres pour agir. Ils défendront corps et âme cette f****e Enclave, ils ne se laisseront pas faire. Et je ne nous vois pas non plus pilonner les civils en contrebas pour montrer qui sont les plus forts. — Qui a mentionné des chars soviétiques ou un recours à une quelconque forme d’agression ? » Toutes les paires d’yeux revinrent se fixer sur Druvnik. « Il n’est nullement question d’utiliser la force, de même que d’effectuer le premier pas. Le gouvernement Miroslav ne cautionne ni la guerre, ni la violence. » La voix doucereuse du général sonnait faux, ce que confirmait l’espèce de sourire en coin qui étirait désormais ses lèvres. Miroslav ne souhaitait pas la guerre mais n’éprouverait sans doute aucun scrupule à étendre les frontières communistes aussi loin que possible vers l’Ouest. « Trois couloirs aériens, poursuivit Druvnik en indiquant la carte suspendue derrière lui. Bückeburg, Hamburg et Frankfurt. Trois couloirs aériens, qui constituent les seules voies de contact dont l’Ouest dispose avec l’Enclave. On coupe ces voies et Berlin-Ouest deviendra une vilaine tache sur une nappe rouge qui s’estompera avec le temps. Ne manque à Miroslav que le prétexte motivant la prise de cette mesure. » L’aube la découvrit aux abords de la piste, absorbée dans ce qui ressemblait à une sorte de danse. Ses mains effleuraient des commandes imaginaires, son corps se courbait selon les mouvements imposés au chasseur fictif. Buste en arrière, demi-tour, changement de configuration, tête en avant. Aux yeux d’un non-initié, elle serait passée pour une folle. Au contraire, pour un pilote, ces gesticulations possédaient une signification bien précise. Une succession de gestes répétés à l’infini par le passé, reproduits en exercice dans les airs. Elle avait ainsi appris à maîtriser son MiG, à faire corps avec lui. Le pilote et sa machine, unis en vol une fois la terre délaissée. Ces séquences l’apaisaient, lui emplissaient l’esprit de courbes, trépidations et accélérations chimériques. Elle avait été la seule à pouvoir reproduire ces gestes aux commandes avec autant d’exactitude, clouant le bec à l’instructeur qui l’avait maintes et maintes fois rabaissée – clouant le bec au reste de son unité par ses prouesses. Le chemin jusqu’à l’estime de ses semblables avait été parsemé d’embûches mais le travail avait porté ses fruits : à défaut de l’apprécier, on la respectait. Et dans son dos, le Flogger la veillait, impassible. Elle vit Nikolaï Berger – alias Tornado – approcher et poursuivit son manège jusqu’à ce qu’il arrive à sa hauteur. Elle le connaissait depuis le jour où elle avait posé le pied dans l’enceinte de Finow. Plus qu’un collègue de travail, il était devenu un ami avec le temps, un confident, et réussissait désormais à cerner son humeur d’un simple regard. En l’occurrence, au moment présent, il avait bien compris que quelque chose la travaillait ; elle n’échapperait donc pas à ses questions. « C’est le briefing avec Druvnik hier soir qui t’a mise dans cet état ? — Fiche-moi la paix. » Il s’assit dans l’herbe, loin d’obtempérer. Agacée par sa présence, elle finit par stopper et le toisa de toute sa hauteur, poings rivés sur les hanches. « Qu’est-ce que tu veux ? — On est curieux. Une réunion avec le gratin, ça devait être important... Je ne pense pas que c’était pour célébrer notre quatrième réussite en EVL de la semaine, si ? Et puis, ce n’est pas toi qui disais qu’un bon chef ne doit avoir aucun secret pour ses troupes ? — Me souviens pas d’avoir tenu pareils propos. — Anya, crache le morceau. On peut lire tes tourments sur ton visage. » Gagné. Elle soupira. « De gros ennuis nous pendent au nez. Ce qui sous peu signifiera plus de permissions jusqu’à nouvel ordre, le confinement des troupes sur la base, et par conséquent, pas d’amélioration en vue pour mon sommeil déjà plus que sporadique à cause des flopées d’alarmes qui ne manqueront pas de retentir. J’aurais sagement dû écouter ma mère et me trouver un boulot dans le civil plutôt que de signer dans l’armée de l’air. — Je peux savoir ce qui nous vaudrait ces ennuis ? » Elle cracha puis expédia un coup de botte dans un caillou qui s’en alla rouler plus loin. « Oh trois fois rien... Une nouvelle guerre, c’est tout. Je crois que ça résume assez bien la situation. Et je ne vois même pas pourquoi je me plains car on n’aura jamais eu autant de boulot. Je devrais être heureuse. » Sur ces mots, elle entreprit de résumer les conversations de la veille. Nikolaï, si un peu surpris au départ, resta étrangement calme. « C’est juste la récupération de l’Enclave, il n’y a pas de quoi s’alarmer. » Anya manqua s’étrangler. « Ach ja ? Tu trouves ? On va aller s’amuser à provoquer nos copains occidentaux jusqu’à ce que leurs nerfs lâchent et qu’ils décident de répliquer. Dès qu’ils auront ouvert le feu, on les descend en prétextant qu’ils ont commencé les premiers, Miroslav coupe ces trois foutus couloirs aériens et dans les jours qui suivent, des combats éclatent un peu partout. De chaque côté, on fait sauter les ponts, on ramène les chars et l’artillerie lourde ainsi qu’une ou deux ogives nucléaires histoire de compléter le tableau. En trois ou quatre jours, les deux Allemagne sont ravagées par les obus de chars, de mortiers et les bombes. Quant au ciel, tu imagines ? De toutes parts, des éclosions de champignons atomiques ! Et nous aux premières loges pour assister au spectacle ! Pas de quoi s’alarmer ? — T’en fais pas un peu trop, là ? — Bon sang, enlève tes œillères ! » Anya bouillonnait, ses joues s’étaient embrasées. Il ne la regarda pas, préférant détailler sa cigarette avec la plus grande attention. « Je vais te dire, depuis le putsch de Moscou et l’arrivée de Miroslav au Kremlin, la situation prend de drôles de tournures. Il s’immisce de plus en plus dans les affaires de l’armée alors que cela ne le concerne pas, et je ne suis pas certaine d’adhérer à sa ligne politique. Les pleins pouvoirs à la Stasi, la disparition de l’Enclave, tout ce qu’il nous manquait encore... Ce type n’est pas clair et complètement névrosé pour en arriver à prendre ce genre de décisions ! Déjà, les raisons évoquées pour écarter Gorbatchev du pouvoir me laissent toujours un arrière-goût amer en bouche. Je n’ai d’ailleurs jamais compris comment il a pu tomber gravement malade en l’espace de quelques semaines... — Anya, si on surprend tes propos, c’est la cour martiale sous accusation de complot ou déloyauté. » Elle secoua la tête et poussa un profond soupir. Nikolaï fuyait ce genre de discussions comme la peste, elle percevait très nettement son malaise. Même s’il gardait pour lui ses pensées, elle savait qu’il partageait les mêmes idées qu’elle ; raison pour laquelle elle abordait de temps à autre le sujet avec lui, sûre qu’il n’irait pas la dénoncer ensuite. Ce qui touchait à la ligne politique du Kremlin était de nature sensible, mais parfois, évoquer de vive voix ce que l’on avait sur la conscience produisait le plus grand bien. « Je te dis ce que je pense, c’est tout. Cette histoire pue les embrouilles à plein nez. Je me suis engagée pour servir mon pays, pas pour jouer les marionnettes de Moscou. » Un groupe de rampants passa à proximité, les réduisant au silence. Une fois éloignés, Nikolaï se leva, l’expression grave. « Fais gaffe à ce que tu racontes, et surtout à qui. Il y a des oreilles qui traînent de partout. » Sur cette mise en garde, il s’éclipsa, visiblement peu désireux de poursuivre sur ce terrain glissant. Anya le regarda disparaître à l’angle d’un hangar, bouche bée. De quelles oreilles avait-il voulu parler ? Que la Stasi déploie ses pions hors de la base, elle le concevait. Mais ici, au sein de l’armée... Inutile de développer de la paranoïa ; elle n’avait rien à se reprocher. À bien y réfléchir, l’idée même de la Stasi sur la base relevait de l’absurde. Miroslav avait du souci à se faire s’il ne pouvait plus accorder sa confiance à ses propres soldats. Et Nikolaï avait sans doute raison : seul récupérer l’Enclave comptait. C’était pure logique que de la rattacher à l’Union après tant d’années de cette situation rocambolesque. Elle s’étira et partit d’un bon pas vers les MiG alignés sur le tarmac. Les soldats occupés à installer les missiles de deux d’entre eux se placèrent aussitôt au garde-à-vous lorsqu’ils l’aperçurent. « Repos, les gars. Je vais vous filer un coup de main, si vous n’y voyez pas d’inconvénients. Faut que je m’occupe l’esprit », ajouta-t-elle plus pour elle que pour les autres. Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsqu’ils en terminèrent. Anya s’essuya les mains couvertes de graisse sur un vieux chiffon et rejoignit les hangars. À l’intérieur, les odeurs d’huile de moteur, de kérosène, de métal chauffé qui flottaient dans l’air la ravirent. Elles signifiaient chaque fois un retour aux sources, le souvenir de ses premiers pas parmi les MiG. Les derniers arrivés flamboyaient, leurs coques brillantes dépourvues du moindre accroc. Des Flogger, encore. Anya attendait qu’on leur livre enfin les Fulcrum, derniers-nés des usines Mikoyan promis par Moscou depuis des mois. Après d’innombrables heures passées au simulateur, elle espérait pouvoir en piloter un vrai. Du coin de l’œil, elle repéra un chasseur arborant une peinture d’un noir mat et s’en approcha. Sous une aile, un technicien à l’expression mécontente aboyait des ordres à son équipe. Il oublia toutefois son air rogue en voyant Anya. « Qu’est-ce qui t’amène par ici, Juliette ? Pas de service ce matin ? — Non. Du moins jusqu’à la prochaine alarme. Je comptais aller dormir un peu, je suis claquée. » Sven, de trente ans son aîné, aurait pu être son père ; les sentiments qu’il lui vouait ne différaient d’ailleurs guère de ceux qu’il aurait éprouvés envers sa propre fille. Il roulait les R, trahissant ses origines slaves, mais s’exprimait dans un allemand parfaitement maîtrisé. Il avait soutenu Anya depuis le début, repérant d’emblée ses capacités à devenir une excellente pilote, comme il décelait l’origine d’un dysfonctionnement moteur d’un seul coup d’œil. Sven était un as, dès qu’il s’agissait de technique. Il désossait les carcasses d’avions avec la froide efficacité du légiste pratiquant une autopsie. La minutie avec laquelle il remontait les morceaux n’avait rien à envier à celle d’un chirurgien en salle d’opération. Moscou l’avait muté à Berlin le jour où décision avait été prise d’en faire un poste soviet avancé ; l’Allemagne avait gagné un génie. « Ah ? dit-il en fronçant les sourcils. Interventions excitantes, hier soir ? — Non, même pas. EVL. Mais quand c’est calme, je m’ennuie et mon corps se rappelle soudain qu’il a besoin de sommeil. Faut dire que si on arrêtait de nous tirer du lit pour rien, je serais bien moins crevée... Ton oiseau vient d’attirer mon attention. » — C’est un prototype de furtif. Quoique dans cet état, il n’est pas franchement invisible. Ce fichu revêtement est certes clinquant, mais inutile. Une demi-heure de vol dans les basses couches stratosphériques, des gouttelettes de condensation sur la carlingue, et cela provoque la dégradation immédiate de la peinture que les ingénieurs ont mis six mois à développer… » Il indiqua une bouteille thermos posée près du train principal. « Café, si tu veux. — Merci. » Elle but quelques gorgées pendant que l’homme passait ses mains sur le métal, dépité. « Pas moyen d’agir sur autre chose que le revêtement pour rendre un avion indétectable au radar ? — Si. Voler à basse altitude, par exemple, mais je ne t’apprends rien... On peut aussi jouer sur les formes : virer les dièdres et privilégier les arrondis. Ou bien utiliser des matériaux absorbants qui diminueront les émissions thermiques et électromagnétiques. L’idée consiste à réduire au maximum la signature énergétique de l’avion – le signal que capte le radar, si tu veux. Le seul hic, c’est le coût de développement d’un tel prototype. Je ne veux même pas savoir à combien s’élève l’addition pour construire un modèle hors normes… Et attends ! Après ça, il sera peut-être furtif, mais qui pourra dire si la puissance sera conservée ? Les formes exotiques, c’est bien joli, sauf que ça ne correspond plus à un profil aérodynamique… — Je vois. — On avait espéré qu’une simple peinture suffirait, auquel cas on en aurait recouvert vos chasseurs. De quoi empêcher les ondes de retourner à leur point d’origine, et donc, de vous rendre indétectables. En théorie. Sauf que c’était sans compter sur les intempéries. — Dommage. » Sven la rejoignit et s’empara du thermos. Il la dévisagea, tandis qu’il buvait, du même œil critique avec lequel il inspectait ses avions. « Toi, il y a quelque chose qui te tracasse. — Moi ? — T’es pas fichue de mentir, dotch’. Raconte-moi. — Niet, répondit-elle après une brève hésitation. Druvnik me passerait un sacré savon s’il apprenait que j’ai dévoilé ses confidences. Merci pour le café. » Elle lui flanqua une tape dans le dos, ignorant en beauté son expression faussement outrée, puis s’éloigna. Nul besoin de lui expliquer quoi que ce soit : Sven était déjà au courant ou le serait sous peu. Sven était toujours au courant, peu importe le degré de confidentialité des informations. Anya traversa le hangar et s’engagea dans un escalier conduisant toujours plus loin dans les entrailles du bunker. Pas de fioritures ; des murs en béton et des portes en acier trempé, une succession de corridors identiques les uns aux autres, étroits à souhait, auxquels l’éclairage des néons donnait un air blafard. Le concepteur des lieux avait dû s’inspirer des tranchées de la première guerre mondiale pour les dessiner. En revanche, il avait négligé le côté pratique de l’ouvrage. Lorsqu’on était pressé, il était extrêmement difficile de ne percuter personne en chemin ; les temps de réaction s’en voyaient rallongés en conséquence. Une fois dans ses quartiers, elle se précipita sous la douche. L’eau chaude lui donna l’impression de revivre. Elle massa ses membres endoloris jusqu’à en dénouer les nœuds créés par la tension. Les alertes insignifiantes avaient le don de la mettre hors d’elle et renforçaient l’animosité existante entre son escadre et celle de Tango. Les relations entre les deux groupes n’avaient jamais été au beau fixe ; trop d’ambition, d’orgueil, de concurrence. Étant donné que les sirènes avaient retenti durant le quart de Tango, Anya leur vouait une haine toute particulière, même s’ils n’étaient pas directement responsables. Ravalant ses sombres pensées, elle se sécha en vitesse, attrapa short et t-shirt propres dont elle se vêtit et repassa dans la pièce voisine. La chambrette n’aurait pas pu être plus austère ; Anya n’était pas du genre à s’encombrer de babioles décoratives. Un confort strict lui suffisait amplement du moment qu’elle avait un matelas où dormir. Seuls luxes qu’elle s’était accordés : un poste radio et la source de lumière blanche sensée approcher celle émise par les rayons du soleil. Séjourner dans les profondeurs sans ouverture sur le monde extérieur pouvait s’avérer très vite suffocant. Elle en diminua l’intensité pour n’en laisser filtrer qu’un éclairage tamisé, puis elle se glissa sous les draps. Ses yeux se fermèrent aussitôt. Un instant plus tard, elle dormait à poings fermés. *** Rapport d’infiltration Provenance : Couleuvre. La situation est bien plus catastrophique que ce que j’avais laissé sous-entendre dans mes derniers communiqués. Je ne sais pas comment les choses ont pu dégénérer sous mon nez sans que j’en aie conscience. Les intentions de faire main basse sur l’Enclave sont avérées et il semblerait qu’aucun moyen ne soit écarté pour parvenir à court terme à cette fin – conflit y compris. L’Europe est à l’heure actuelle une gigantesque poudrière où l’on se bat pour savoir qui aura l’honneur d’allumer la mèche. La chute de Berlin entre les griffes soviétiques signerait le début d’un désastre sans précédent, cela va sans dire. Le Kremlin a un plan dont j’ignore encore la teneur : le sceau du secret la préserve et Moscou redoute les fuites plus que tout. Seules les hautes sphères du pouvoir, auxquelles je n’appartiens pas, sont au vent de son contenu. J’ai cependant rassemblé assez d’indices et rumeurs pour supposer que l’ouverture des hostilités débutera sur un malentendu. La priorité, dans cette affaire, est de fermer les voies d’accès à l’Enclave ; autrement dit, les couloirs aériens. Il est évident qu’une telle décision signerait la condamnation du dernier bastion occidental.
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