CHAPITRE II - Le testament de M. Coquelicot

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CHAPITRE II Le testament de M. Coquelicot Depuis qu’il était sérieusement question de trouver un héritier, M. Coquelicot était devenu impatient à l’excès. Il ne se fâchait pas contre M. Corbin, et lui était au contraire fort obligé ; mais il en voulait à toutes les autorités qui ne se pressaient ni de chercher, ni de répondre. Son humeur aigrie s’en prenait tour à tour au cocher, au jardinier à qui il adressait sans cesse des reproches à propos de mille riens. Il est vrai que les braves gens ne s’en tourmentaient guère, mettant tout sur le compte de la bizarrerie du vieux maître. La personne sur qui le bonhomme eût le plus volontiers fait peser sa mauvaise humeur, c’eût été Mme Sylvain, la femme de charge ; mais elle évitait soigneusement toute rencontre et tout rapport. Habituellement retirée dans la lingerie, elle s’y occupait consciencieusement, et entretenait le plus bel ordre dans tout ce qui était de son ressort. Cette veuve, à l’extérieur digne, au visage calme et triste, aurait certainement triomphé de la sauvagerie du vieillard s’il avait consenti à étudier son caractère noble et désintéressé : mais il la fuyait, parce que, comme il ne cessait de le dire, il détestait les femmes, et surtout les enfants. Or Mme Sylvain, dans son honorable pauvreté, possédait un trésor, la petite Marie-Thérèse, enfant de neuf ans, dont les traits rappelaient ceux de son père, et dont l’âme ingénue s’ouvrait aux sentiments les plus délicats. De ce trésor, la pauvre mère était presque entièrement privée. La condition absolue de son admission au château de Kérouët avait été qu’elle n’y attirerait pas son enfant, alors âgée de quatre ans seulement. Mme Sylvain, n’ayant personnellement que des ressources insuffisantes, avait dû consentir à cette dure condition dans l’intérêt même de sa fille, qu’elle avait d’abord confiée à une parente âgée, et qu’elle venait de placer dans une maison d’éducation pour y commencer, un peu tardivement, ses études. Mme Sylvain, la femme de charge. La complexion nerveuse de Marie-Thérèse exigeait qu’on lui épargnât la fatigue. Son esprit était donc en retard ; mais son cœur était en avance ; et sa pauvre mère souffrait d’autant plus de la voir très rarement que c’était un grand bonheur d’être aimée par Marie-Thérèse. M. Coquelicot passait entre ces choses sans même s’en douter. Il se frottait les mains, signe de réussite, en se félicitant de n’avoir jamais aperçu cette petite fille, et ne se reprochait nullement la tristesse de la mère qui, veuve, isolée, malheureuse, n’avait d’autre consolation que son enfant. Ce n’était point un méchant homme, pourtant ; mais la fortune, en lui souriant, lui avait injustement persuadé que ses goûts et ses répugnances devaient être les seuls mobiles de sa conduite, et que les autres n’avaient qu’à plier sous son autorité. Pour le moment, M. Coquelicot est assis commodément sur sa terrasse, car l’hiver a fait place au printemps, et le soleil de mai permet de jouir de la campagne dans le milieu du jour. Que fait-il ? Ses mains indifférentes ont laissé glisser son journal. Est-ce le fréquent sommeil de la sénilité qui vient interrompre le cours de ses impressions politiques ? Non, son regard embrasse vaguement l’horizon ; il ne se fixerait que sur un point. Ce point, il ne le découvre pas encore ; il l’espère, on le cherche, il l’attend. C’est un héritier. M. Corbin ne se lasse pas de poursuivre l’enquête. Des renseignements lui parviennent de plusieurs départements. Il en fait part à qui de droit ; mais jusqu’ici le propriétaire, s’il reconnaît le nom, ne reconnaît pas les alliances. Ce sont évidemment d’autres familles, absolument étrangères à la sienne. Les individus qui portent son nom et lui sont désignés ne sont pas bons Coquelicot. La porte-fenêtre qui, du salon, donne accès sur la terrasse, vient de s’ouvrir. L’obligeant M. Corbin ne se fait pas annoncer. Depuis longtemps il a ses entrées ; à plus forte raison depuis qu’on l’attend toujours. « Vous voilà, mon cher ami ? Vous êtes venu hier, vous venez aujourd’hui. Certes je ne m’en plains pas ! Mais y aurait-il du nouveau ? » Le notaire, malgré son impassibilité naturelle et acquise, avait laissé éclairer son visage immobile par une lueur de contentement, qui n’échappait pas au maître de céans. Néanmoins il s’assit aussi lentement qu’à l’ordinaire, après avoir mis en sûreté son chapeau et sa canne, s’informa poliment de la santé du vis-à-vis, et finit par où il aurait dû commencer. « Oui, il y a du nouveau. » Le propriétaire ne respirait plus. Cette fois, il touchait au port. « Mon cher Corbin, dites-moi vite ce que vous savez. » Malheureusement, il n’était pas dans la nature de l’interlocuteur de parler vite, et surtout de parler sans avoir entre les mains un papier, qu’il consultait à chaque instant, de peur qu’une expression imprudente ne tombât de ses lèvres. Il tira donc de sa poche un portefeuille, et de ce portefeuille une lettre, timbrée du point le plus septentrional de la France. Il ouvrit avec précaution cette lettre, et dit : « Monsieur, il ne faut pas se faire illusion. Mes démarches ont produit, depuis six mois, ce qu’elles devaient produire. Celles qui sont demeurées sans réponse jusqu’à présent n’en recevront pas ; celles qui m’ont valu des renseignements précis vous ont prouvé que nous tombions à faux. La lettre que je tiens est la dernière que nous puissions attendre et elle contient… – Un Coquelicot ? – Un Coquelicot. » Le bonhomme fut si content qu’il en manqua pleurer ; mais les alliances lui revinrent en mémoire. « M. Corbin, vous le savez, ma mère était Avoine ; ma grand-mère paternelle était Grandchamp. – Précisément, lisez, monsieur. » Il fallut mettre ses lunettes, et prendre en mains le message. Le propriétaire de Kérouët eut alors la jouissance de lire Grandchamp, Avoine et enfin Coquelicot. Il tressaillit ; jamais, depuis qu’il habitait la Bretagne, il n’avait ressenti pareille émotion. Les termes lui manquaient pour exprimer ce qu’il éprouvait ; il ne pouvait que répéter d’un ton pénétré : Avoine ! Grand champ ! Coquelicot ! « Monsieur, reprit le notaire, qui seul gardait, comme à l’ordinaire, tout son sang-froid, j’ai lieu de croire ma mission terminée. Quelles sont à ce sujet vos instructions ? dois-je écrire ? – Gardez-vous en bien ! Mon héritier me tomberait sur le dos ; je ne saurais qu’en faire. Il prétendrait sans doute faire connaissance ; c’est tout ce que je redoute le plus. Que ce monsieur soit brun ou blond, petit ou grand, peu m’importe. Il est Coquelicot, bon Coquelicot, c’est tout ce que je lui demande ; mais surtout, qu’il reste chez lui ! Vous, ayez l’obligeance de m’envoyer, aujourd’hui même, une feuille de papier timbré, afin que je fasse mon testament, comme je l’entends, et sans retard. Je vous le remettrai en mains propres ; il demeurera dans votre étude tout le temps qu’il me reste à vivre ; et, après moi, vous aurez le soin d’écrire à mon héritier, et de lui apprendre qu’il est le maître de Kérouët ; mais à une condition, c’est de ne rien changer à l’état actuel, ni par vente, ni par achat. Le domaine est, je crois, assez vaste, assez beau, pour qu’on s’en contente. Une campagne admirablement boisée, entrecoupée de cours d’eau, à proximité de la ville, et mêlant aux âpres beautés de la Bretagne légendaire les grâces toutes modernes que j’y ai introduites par ce grand parc dessiné à l’anglaise. – Assurément, monsieur, ce sera une belle et forte surprise pour votre parent qui, me dit-on, se croit le dernier de sa famille, et ne soupçonne même pas votre existence. C’est un savant, paraît-il. – Cela m’est fort égal. Pourvu qu’il ait la science d’entretenir mon bien et de ne pas le morceler, je serai satisfait… Hélas ! s’il n’était pas fidèle au mandat, je ne le saurais pas ! Ah ! mon cher ami, quand nous disparaissons, quel effondrement ! – C’est évident, répondit M. Corbin qui n’en doutait pas, chacun fait son temps ici-bas ; on ne peut pas être et avoir été. L’essentiel est de mettre en ordre ses affaires, afin de préserver le plus possible son patrimoine ; et puis, il faut ne plus s’en tourmenter, ce serait empoisonner ses dernières années. – Vous avez raison, mon cher, vous avez toujours raison. Mais ne pas se tourmenter, c’est plus facile à dire qu’à faire… Vous n’oublierez pas ma feuille de papier timbré, n’est-ce pas ? – Non, non, je vous l’enverrai dans une heure. » Le notaire, voyant que son original de client était pressé, ne prolongea pas sa visite, et le propriétaire lui en sut gré. Quand il fut seul, il resta sur sa terrasse ensoleillée, et se mit à lorgner dans l’avenir ce beau Kérouët aux mains de son héritier. Il commença par prêter une forme indécise à ce personnage inconnu, presque aérien. Cette absence complète de contours le gênait. Il pensa que ce Coquelicot du Nord devait tenir, non seulement de son père, mais des Avoine et des Grandchamp. En conséquence, il admit que son héritier, un peu voûté par l’âge et par l’étude, était de haute taille, comme les Avoine, et d’une extrême maigreur. Cependant, comme il participait probablement à la pureté de traits des Grandchamp, son extérieur était revêtu de distinction, et la franche bonhomie des Coquelicot, brochant sur le tout, achevait le portrait en tempérant la fierté naturelle imposée à l’individu par la haute stature et le profil grec. Ainsi fait, l’héritier posa devant le châtelain et fut l’objet de toutes ses préférences. À lui de préserver de la dégradation ces tourelles qu’on avait si soigneusement réparées ; à lui de faire tailler ces arbres, faucher ces pelouses, entretenir cette superbe allée de cintre ; à lui de continuer à protéger les pauvres habitants d’alentour, car il devait être bienfaisant, ce monsieur, les Avoine l’étaient, les Grandchamp aussi ; il avait de qui tenir. M. Coquelicot le regardait avec satisfaction. Sa présence lui eût été, il est vrai, insupportable d’autant qu’il aurait pu avoir des habitudes toutes contraires aux siennes ; mais à cette distance, et sous ces reflets d’alliances qui avaient décidé la question, l’héritier était ce qu’il fallait ; il ressemblait à une pâte malléable, dont le bonhomme pouvait faire absolument ce qu’il voulait : c’était très commode. Cependant, le petit clerc, ambassadeur ordinaire de M. Corbin, n’apportait pas la feuille tant désirée. L’impatience allait saisir le testateur ; mais il se souvint que son dévoué voisin ne faisait pas les choses cinq minutes trop tôt, mais juste à l’heure. Effectivement, au bout de soixante minutes bien comptées, on vit apparaître le petit clerc, et M. Coquelicot, prenant de sa main la feuille timbrée, rentra en hâte dans son cabinet pour donner à ses ardents désirs la forme positive qu’il avait arrêtée. Une fois assis devant son bureau, le vieillard réfléchit un moment. Il savait parfaitement ce qu’il voulait ; néanmoins il s’agissait de le faire entendre clairement, afin qu’on ne s’y trompât point. L’immobilité morale qu’il prétendait imposer à son héritier ne lui serait-elle pas à charge ?… Non ; les Grandchamp étaient d’humeur tranquille ; les Avoine avaient toujours passé pour avoir l’esprit tant soit peu paresseux ; le dernier des Coquelicot, tout en évitant ce défaut capital, devait se plier facilement à l’unique condition que lui imposât la fortune venant à lui tout à coup ; oui, plus de doute, il serait enchanté, ce savant dont le bagage littéraire était probablement le seul trésor. Il prit la plume, et d’une main que la volonté rendait ferme, il écrivit deux pages, dont les lignes très rapprochées disaient à l’inconnu, en termes fort précis, qu’il allait être seigneur et maître de Kérouët. Les restrictions du bonhomme remplissaient à peu près les deux pages, et pas un malentendu n’était possible. Quand M. Coquelicot eut signé son testament, il apposa son cachet armorié, et se reposa de ce long et minutieux travail, tout en espérant que le papier deviendrait poudreux à force de rester dans l’étude de M. Corbin. Le notaire, par discrétion, attendit d’être appelé au château pour y retourner. Dès le lendemain on l’envoya chercher pour lui donner lecture du testament, qu’il trouva fait en bonne forme et ne prêtant à aucune équivoque. L’idée du testateur était bien un peu bizarre ; mais qu’attendre d’un original de cette force ? M. Corbin emporta la pièce et tout fut dit. On remarqua que la physionomie du propriétaire avait changé d’aspect ; son esprit chagrin n’errait plus dans le vague ; il était fixé. Autour de lui, tout se ressentait du calme qu’il éprouvait, par la satisfaction de ses désirs. Il se mit à causer longuement avec son jardinier, lui faisant dessiner, ici et là, des corbeilles de roses, reprenant intérêt à tout et rêvant encore des améliorations et des embellissements. Comme le testament devait rester secret entre le vieillard et le notaire, on ne savait à quoi attribuer la bonne humeur de M. Coquelicot. Il poussa la bienveillance jusqu’à arrêter un jour Mme Sylvain au passage, à lui demander des nouvelles de la petite Marie-Thérèse, et à lui dire que, si cela lui était agréable, il consentait à ce que l’enfant vînt, aux vacances prochaines, passer huit ou dix jours près de sa mère ; et comme deux larmes d’attendrissement tombèrent soudain des yeux de la veuve, il en fut touché, lui si froid, et ajouta avec bonhomie : « Qu’elle passe donc ici les vacances tout entières ; cela vaudra mieux pour elle et pour vous. » Mme Sylvain ne savait que penser d’un pareil changement d’idées. Elle témoigna sa gratitude à celui qui l’avait rendue si malheureuse, sans peut-être s’en apercevoir, et dès lors l’attente remplit sa vie, devenue moins triste. Le caractère singulier du châtelain avait éloigné à peu près toute relation de voisinage. À peine faisait-il aux alentours quelques rares visites. Il lui sembla que c’était le cas. Il alla donc avec ses chevaux faire une tournée en ville, et son cocher lui-même en fut tout étonné. Ces visites en attirèrent au château. La cour d’honneur était sillonnée par les roues des carrosses, et l’on eût pu présumer qu’un évènement mystérieux modifiait les plans du solitaire. Il était aimable, souriant, et prenait un souverain plaisir à montrer aux étrangers les plus beaux endroits de sa propriété. Surtout il ne manquait pas de les introduire dans la salle de billard, et de diriger leurs regards sur les armes parlantes. On était trop poli pour faire autre chose qu’admirer, et le vieillard se pavanait tout à son aise. Mais est-on jamais à l’abri des vicissitudes de ce monde ! Un jour, c’était précisément un jour nébuleux, les heures pesaient lourdement, les nuages s’amoncelaient à l’horizon, on s’attendait à une pluie torrentielle. Elle arriva, et en même temps, sous un grand parapluie, M. Corbin, ne marchant pas plus vite que de coutume, bien que la pluie lui fouettât le visage, en dépit de sa tente de soie. « Est-ce possible, mon cher Corbin ? Vous ici, par ce temps ? – C’était mon devoir. – Votre devoir ? Comment pourrait-il y avoir entre vous et moi un devoir qui vous jetât dans la rue quand il survient une pareille trombe ? » Le valet de chambre s’empressait autour du notaire qui ruisselait, et faisait trace d’arrosoir partout où il passait. On fit ce qu’on put pour adoucir sa position ; mais il paraissait importuné par ces soins officieux, et bientôt il entra gravement dans le cabinet de son client. « Mon cher ami, ayez la bonté de me dire le sujet de votre visite en un pareil moment, car c’est, non pas seulement l’orage, mais la tempête. – Un mot suffira, monsieur, pour vous donner l’explication de ma démarche ; un seul mot… – Quel mot ? – Coquelicot. – Coquelicot ? Quoi ! Il y en a deux ? – Oui, monsieur. Voici la lettre qui en fait foi, timbrée de Marseille ; elle renverse tous vos projets. Une fausse direction a causé ce retard ; on se l’est renvoyée de tous les coins de la France : mais la voilà, cette malheureuse lettre. – Quoi ! Avoine ? Grandchamp ? – Oui, monsieur ; Avoine, Grandchamp. – Les imbéciles ! Ils auraient bien dû, tant qu’à faire, enfouir cette lettre au bureau des rebuts. » Le visage pâle de M. Coquelicot avait subi une contraction effrayante ; ses petits yeux s’étaient subitement dilatés ; ce qu’il éprouvait était plutôt de la colère que de l’impatience. Modifier ses plans ? Jamais ! Son entêtement était celui de la borne, qui résiste quand même. Il demeura un instant silencieux, puis s’écria : « S’ils sont deux, tant pis ! Je ne changerai rien à mes dispositions. C’est fait, cela restera ; je ne veux plus en entendre parler. – Mais, monsieur, je suppose que… – Point de suppositions, je vous prie, je suis maître de mon bien. J’ai deux héritiers, je leur laisserai Kérouët ; mais avec les mêmes clauses, et ils s’y conformeront. J’entends être obéi ! Tout ce que je pourrai faire, c’est de mettre dans mon testament le pluriel au lieu du singulier et de justifier les ratures. » M. Corbin ouvrit la bouche cinq ou six fois de suite, mais en vain. Son interlocuteur, ayant pris une voix criarde, lui imposait silence en répétant toujours les mêmes paroles ; il n’y avait rien à faire. Le notaire le reconnut et se tut forcément. « J’avais pourtant rapporté le testament, dit-il enfin, grâce à un accès de toux convulsive du bonhomme. – Laissez-le-moi, répondit le propriétaire, non pas pour le refaire, mais pour y ajouter un nom et une s partout où besoin sera. » M. Corbin, résigné, déposa le testament sur le bureau, et bien que le vent soufflât et que la pluie tombât, il choisit de se remettre en route plutôt que de supporter plus longtemps la mauvaise humeur de M. Coquelicot qui, se fâchant pour la première fois contre son propre sang, répétait : « A-t-on jamais vu ! Je cherchais un homme qui portât mon nom et fût de ma lignée ; et maintenant en voilà deux ! Tant pis ! Ils s’arrangeront comme ils pourront ; mais je ne changerai rien, sauf le singulier. Ils vivront ensemble ; s’ils ne s’accordent pas, c’est leur affaire. » M. Corbin regagna son gîte, et se mit à tousser à son tour, car il s’était enrhumé, au lieu de décider le client à changer ses dispositions. De ce jour, M. Coquelicot, fort ennuyé de sa famille, reprit son air renfrogné, sa voix grondeuse, et redoubla sa sauvagerie ; au point de se dire malade dès qu’il apercevait de loin sur la route une voiture se dirigeant vers le château. On avait dit devant la bonne humeur : que s’est-il donc passé ? On le dit encore, et personne ne se douta du résultat des recherches faites au nom du millionnaire. Cependant il ne pouvait raisonnablement revenir sur certaines décisions qu’il avait prises. Les corbeilles de roses embellirent les abords du château ; un kiosque élégant s’éleva, et toutes sortes d’améliorations se produisirent presque spontanément dans la propriété, en vertu des ordres qu’avait donnés le maître quand il croyait n’avoir qu’un héritier. Les vacances vinrent comme à l’ordinaire réjouir la gent studieuse, et l’on vit Mme Sylvain tendre les bras à la gentille Marie-Thérèse, charmant oiseau de passage, convié, pour la première fois, à chanter sous les bocages de Kérouët. Elle arrivait toute contente, supposant que rien ne l’entraverait dans la manifestation de sa joie ; cependant, en mère prudente, Mme Sylvain exigea d’elle la plus entière discrétion, car elle avait compris, à certains signes, que le bonhomme subissait, plutôt qu’il n’acceptait, les innovations de tout genre que lui-même avait admises, dans un moment de contentement inexpliqué, suivi de l’irascibilité habituelle. Maître Corbin ayant été remis en possession du testament, il n’en fut plus question entre lui et le châtelain. Celui-ci évitait toute allusion à ses deux héritiers, et le notaire, bien qu’il fût l’ami du foyer, connaissait trop la ténacité du testateur pour tenter de modifier ses idées. Lui seul appréciant exactement la situation, il appréhendait le temps où il lui faudrait donner au nord et au midi la nouvelle d’un héritage à recueillir, en vertu du plus singulier testament dont lui, notaire, eût jamais entendu parler. Et M. Coquelicot s’en allait tout doucement par ce sentier où tout homme passe. On lui pardonnait sa bizarrerie parce qu’au fond il était non seulement honnête homme, mais généreux, et persuadé que le devoir du riche est de faire travailler l’ouvrier et de secourir le malade et le pauvre. S’il fatiguait son entourage par ses nombreuses manies, il n’en avait pas conscience, et faisait du bien à sa manière, tout en se fâchant, tout en grondant. On le craignait plus qu’on ne l’aimait et pourtant on n’avait à lui reprocher aucune injustice volontaire. Mais combien souvent les paysans bretons se demandaient les uns aux autres : « À qui donc ira ce vieux château ? » Nulle voix ne répondait, c’était le secret de M. Corbin.
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