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556 Words
3James Galiffe venait de raccrocher avec le sourire. C’était bien la première fois qu’un appel de son frère aîné lui faisait cet effet. On allait vendre la maison ! Enfin ! Il en aurait terminé avec les soucis d’argent. Il guettait cet héritage depuis plus de trente ans, n’ayant jamais eu, comme son frère, des revenus de professeur ou d’historien reconnu. James avait étudié l’histoire et l’archéologie parce que c’était le genre de la famille et qu’il n’avait pas osé désobéir. Il aurait préféré devenir banquier, fréquenter les grands de ce monde plutôt que les squelettes, acquérir des actions plutôt que des vases étrusques… Ses études lui avaient toujours cassé les pieds. Finalement, au grand dam de son père, il avait interrompu son cursus et opté pour un métier beaucoup plus indispensable à son goût : il avait géré l’intendance du Musée d’art et d’histoire pendant plusieurs décennies. Il connaissait par cœur l’immense bâtisse de la rue Charles-Galland, chaque conduit électrique, chaque tuyau, il savait quelle latte de plancher grinçait ou quelle marche d’escalier devenait glissante ou dangereuse. Il lui était même arrivé une nuit, par téléphone, de guider un réparateur venu remplacer un carreau cassé en s’aidant du seul bruit qu’émettaient les chaussures de l’ouvrier sur le parquet… Un « petit métier » pour son père qui ne trouvait de charme qu’aux intellectuels. James avait toujours envié son frère aîné qui, lui, avait répondu à l’ambition paternelle. John Galiffe, lui-même descendant de Jean-Barthélémy, avait baptisé ses deux fils des surnoms de ses illustres ancêtres. Aymon avait hérité du surnom de Gustave-Amédée et James portait celui de Jacques-Augustin, illustrissime historien qui laissa à Genève des ouvrages qui comptaient encore aujourd’hui. On a les faits d’armes qu’on peut. Quand John avait quitté ce monde, suivi quelques mois plus tard par son épouse Annabelle, née Sillem, James avait espéré hériter de la maison, étant le seul à être marié. Mais il oubliait l’autorité de John qui entendait se faire obéir au-delà de la mort. D’après les dernières volontés paternelles, Aymon garderait la jouissance de la maison aussi longtemps qu’il le voudrait, tandis qu’il verserait à son cadet une rente « confortable » lui permettant de s’installer avec sa famille dans une demeure digne de leur patronyme. Aymon avait toujours été le préféré, le plus brillant, le portrait de son père, la fierté de sa mère, la merveille de la famille. Tandis que lui, James, avait toujours dû se faire aider pour tout, pour ses études, pour trouver du travail, un logement. Il s’était toujours senti de trop, avait toujours eu l’impression de décevoir son père. Le testament lui avait confirmé ses sentiments. Aymon garderait tout. L’aîné avait bien proposé au jeune couple qu’il formait alors avec Claire de partager la maison, mais James, vexé par les dispositions de son père, avait exigé une rente et choisi l’autonomie. Pas pour éloigner Claire de son frère, certainement pas. Il n’y avait pas de risque. James avait toujours pensé que son frère préférait les garçons. Enfin, jusqu’à ce que… James revoyait encore son frère penché sur la petite, un fameux jour à l’hôpital. C’était là qu’il avait tout deviné. Là qu’il avait décidé de mettre de la distance entre Héloïse et Aymon. Non pas qu’il tînt particulièrement à sa fille, mais par principe. Par sursaut viril. Il aurait tellement voulu un garçon. Il aurait adoré être celui qui perpétuait la lignée des Galiffe. Mais Claire n’était pas parvenue à lui donner ce petit mâle qui aurait tout changé. Il ne le lui avait jamais pardonné. Il s’était lentement détaché d’elle sans que jamais elle ne lui en fasse le reproche. Claire ne s’était jamais plainte. Claire ne se plaignait jamais.
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