5Depuis la disparition de François, Héloïse entourait son fils de son mieux. Elle savait qu’elle ne parviendrait jamais à être à la fois Papa et Maman. Dans les rêves, peut-être, mais pas dans la vraie vie. Louis n’avait que six ans. Il était encore à l’âge où l’amour maternel comble tous les manques. Mais cela ne durerait pas. Il aurait bientôt besoin d’un père.
Le petit n’avait pas cinq ans au décès de François.
Cent fois, mille fois, Héloïse avait repassé dans sa tête le film de ce fameux soir, quand François avait quitté la maison pour aller parler avec Aymon. Il voulait surtout connaître la vérité sur les gestes ambigus que James mettait sur le compte d’Aymon. Savoir si l’oncle aurait pu réitérer son attitude avec Louis.
« Oncle Aymon ne s’est jamais mal comporté » avait affirmé Héloïse. « Je m’en souviendrais, tout de même ! » Or James certifiait que son frère aîné avait une sexualité douteuse. La preuve ? On ne l’avait jamais vu en compagnie d’une femme.
Argument rédhibitoire. Le célibat en acte d’accusation.
Voyant que cette mise à l’écart peinait Héloïse, François voulut connaître la vérité et, si possible, réconcilier la famille. Si Aymon avait si facilement accepté un rendez-vous, avait-il affirmé à sa jeune femme, c’est qu’il n’avait rien à se reprocher. « Je suis certain que c’est un malentendu. »
François, son chevalier François ! La douceur, la droiture. Ce fameux soir, il l’avait appelée en sortant du restaurant. Il avait seulement dit « tout va bien, mais il va falloir qu’on parle » d’une voix enjouée.
Il n’était jamais arrivé à la maison.
Une heure plus tard, deux gendarmes étaient devant la porte…
Il avait fallu qu’elle récupère, qu’elle relève la tête pour Louis. On lui avait dit qu’elle n’avait pas le droit de se laisser aller. Et François ? Avait-il le droit de rouler trop vite, de sortir de la route et de la laisser toute seule ?
Depuis, elle avançait en se disant « on verra bien ». C’était le mieux qu’elle pouvait faire. Entre ses parents et Louis, les semaines duraient des mois. Des hommes passaient dans son décor, mais elle ne les voyait pas. On lui disait « ça reviendra », elle en doutait.
La cloche de la petite école de Saint-Antoine retentit. Do, mi, sol, do.
Le pire, c’était sa culpabilité. Elle restait persuadée d’avoir provoqué le destin, comme si la mort de François était sa punition. Parce que quelques semaines auparavant, Héloïse avait croisé Lucas, par hasard, un jour qu’elle attendait le petit, ici, devant l’école.
Elle l’avait senti arriver de loin. Elle avait perçu son regard avant même de le reconnaître vraiment. Il n’y en avait qu’un pour la regarder comme ça. Il s’était avancé, ses yeux rivés dans ceux d’Héloïse.
Pour un peu, elle l’aurait suivi sans poser de questions, en oubliant Louis. Ce sentiment lui avait fait peur. Quand Lucas fut trop près d’elle, elle lui avait demandé de partir. Il avait obéi avec un petit sourire.
Mais il était revenu. Plusieurs fois. Jusqu’à ce qu’elle lui donne son numéro de téléphone.
Ils s’étaient revus pour boire un café, ils avaient dîné un soir, et puis il l’avait raccompagnée en voiture, et puis…
Héloïse ferma les yeux très fort, en une tentative d’effacer ce souvenir.
François était mort quelques jours plus tard.
Elle ne pouvait s’empêcher de penser que ce n’était pas par hasard.