Chapitre 1
Claire était triste en ce jour de mi-novembre. Elle avait appris une nouvelle qui la perturbait au plus haut point : sa meilleure amie, Lana, avait perdu la vie des suites d'une très longue maladie. C'est en effet ce que Diane, la mère de la défunte, lui avait appris au téléphone quelques heures plus tôt. Elle avait succombé à une tumeur au cerveau assez grosse. Il était déjà trop tard quand la jeune femme avait été diagnostiquée. C’était il y a six mois.
Claire se sentait désemparée et un coup de blues l'envahit. C'était un peu comme si on venait de l'amputer d'un membre. Elle venait de perdre la moitié d’elle-même. Pourtant, cela faisait une bonne année qu'elle ne l'avait pas vue, à part sur internet, grâce à un logiciel permettant de passer des appels internationaux via webcams interposées. Du jour au lendemain, Lana avait décidé de partir s'installer aux États-Unis et, ainsi, de tout plaquer afin de poursuivre son rêve le plus fou : devenir scénariste. C’était une acharnée de travail, mais par-dessus tout, elle voulait être reconnue et devenir la plus célèbre des scénaristes françaises.
Malgré la distance, les deux jeunes femmes se parlaient sans cesse, se racontant leur journée ainsi que quelques petites anecdotes de la vie quotidienne. Par-dessus tout, elles parlaient de garçons, comme toutes les jeunes filles de vingt-deux ans. Quand Lana lui avait appris qu'une épreuve personnelle allait la retenir pour les prochains mois, Claire n’aurait jamais imaginé que Lana parlait d'une épreuve due à la maladie. Comment aurait-elle pu le savoir ?
Ce matin, après avoir reçu le coup de fil de Diane, Claire sut ce qu'elle devait faire et où se rendre pour combler le coup de blues ou plutôt, le coup de déprime qui était en train de l’envahir. En sortant de chez elle, la jeune femme décida de se rendre dans la chocolaterie la plus proche. Elle choisit d'entrer dans la toute première boutique qui se mettait au travers de son chemin. Toutes les personnes de son entourage proche se demandaient souvent pourquoi elle se rendait dans une telle boutique, alors que sa passion était les livres et donc par conséquent la lecture. Pour Claire, c'était devenu une sorte d'habitude, un rituel dès que le besoin se faisait ressentir. La dernière fois, c'était juste après le décès de son grand-père. Cette période avait été très douloureuse pour la jeune femme. Elle chérissait tellement celui qui lui avait appris tout ce qu'elle savait. Elle avait partagé énormément de choses avec lui. Sa perte lui était encore difficile à surmonter.
En ce jour si spécial, Claire voulait mettre un point d'honneur à rendre hommage à Lana et pour cela, elle allait acheter le chocolat favori de la défunte. En ce même instant, Claire passa juste devant une chocolaterie où elle décida, donc de pénétrer. La petite boutique était dans le genre très cosy à l'intérieur avec une devanture de type rustique, signe d’une existence de plusieurs années. Le tout était en harmonie avec le lieu où elle était implantée. Elle se situait dans une rue assez passante avec des pavés au sol. Elle était du côté du Vieux-Lille, à proximité de la cathédrale Notre-Dame-de-la-Treille, ce qui lui donnait encore plus de charme. Claire était souvent passée devant, mais elle ne s'y était jamais arrêtée. Aujourd'hui, elle décida de rectifier le tir.
La jeune femme ne pourrait pas assister aux funérailles de son amie. Elle décida donc de lui rendre un petit hommage à sa manière, comme un petit clin d'œil à leurs années d'amitié qui venaient en quelque sorte de s'envoler avec la mort de Lana. Ce geste pouvait paraître anodin, mais elle en était assez fière. Elle ne savait comment faire autrement. Se rendre aux États-Unis lui était impossible. Elle ne verrait plus sa meilleure amie.
Alors que Claire s'approchait de la caisse avec le chocolat en main, la vendeuse lui fit un sourire qui lui réchauffa le cœur. C'était vraiment sincère. La caissière avait l'air d'avoir la joie de vivre. La gaieté et le bonheur se lisaient sur son visage. Elle semblait se sentir bien dans sa peau. Cette réjouissance contrastait vraiment avec l'état d'esprit de la jeune femme endeuillée. Cela devait se voir. Claire avait souvent eu du mal à cacher ce qu'elle ressentait. Ses beaux yeux marron devaient être rouges. De plus, elle devait avoir le nez bouffi. Ses yeux lui piquaient et une soudaine envie de dormir l'envahit. En gros, tous les signes qui indiquaient qu'elle avait fondu en larmes quelques minutes auparavant, alors qu'elle se remémorait quelques bons souvenirs.
— Bonjour, avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ? demanda gentiment la jeune vendeuse.
— Oui, sans problème. Merci. Vous avez une assez belle sélection de chocolat. C'est rare d'en trouver autant. Surtout par ici.
— Merci beaucoup. Nous mettons un point d'honneur à satisfaire nos clients.
— Vous êtes une nouvelle enseigne ? Je suis passée plusieurs fois devant, mais j'ai l'impression que le nom a changé. Ce n'était pas le même la dernière fois, il me semble. Je me trompe peut-être.
— Cela fait cinq ans que nous sommes implantés ici. Le nouveau propriétaire a fait refaire les locaux. Il n'aimait pas notre ancienne décoration qui n'était pas à son goût. On ne va pas faire la fine bouche. C'est une chance que nous ayons eue un repreneur surtout par les temps qui courent. Auquel cas, nous aurions mis la clé sous la porte et nous aurions tous pointé au chômage. De ce fait, il a également renommé la boutique. C'est comme un nouveau départ.
— En tout cas, j'adore l'extérieur qui a un charme désuet et la décoration intérieure est juste magnifique. Votre nouveau propriétaire doit être très raffiné.
— Tout le monde nous le dit. Enfin, surtout les habitués. Je suis contente de pouvoir continuer à travailler et surtout d'avoir pu préserver mon poste. En me sachant enceinte, le propriétaire aurait très bien pu me renvoyer et chercher quelqu'un d'autre, mais il n'en a rien fait. Je lui en suis vraiment reconnaissante, dit la vendeuse tout en douceur, en posant la main sur son ventre arrondi.
La vendeuse expliqua à Claire que son futur bébé devait bien profiter du chocolat qu'elle engloutissait à longueur de journée. Elle avait pris plus d'une dizaine de kilogrammes en seulement cinq mois de grossesse. Pour avoir vu sa sœur enceinte, Claire savait que c'était une assez forte prise de poids pour si peu de temps. Toutefois, ce n'était pas une source sûre. À part sa sœur, personne d'autre n'avait eu d'enfants et Marine ne lui avait pas fait profiter de sa grossesse. Elles n'étaient pas très proches et dans ce moment important de sa vie, sa sœur le lui avait bien fait comprendre. Et ce n'est pas elle qui allait avoir un petit ventre bien arrondi prochainement. À moins d'un accident ou même d'un miracle. Mais encore faudrait-il qu'elle accepte de le garder. Un enfant n'était pas sa priorité pour le moment. Elle voulait, par-dessus tout, se donner entièrement à sa future carrière. Celle qu'elle attendait de pouvoir faire depuis qu'elle était enfant. Elle arrivait à son but.
Il était temps pour Claire de partir et de laisser Claudia, la vendeuse, travailler. Sa dernière pensée sur un éventuel enfant lui remit en mémoire qu'une mère venait de perdre sa fille unique. Tout la ramenait à penser à Lana. Après avoir remercié la vendeuse, elle attrapa le petit sac marron que Claudia lui tendit. En son antre se trouvait un joli papier de soie de couleur turquoise. Quand Claire se retourna pour se diriger vers la sortie, elle percuta un homme. Elle ne l'avait pas vu ni entendu s'approcher. « Veuillez m'excuser », s'exclama-t-elle en se précipitant hors de la boutique aussi vite que possible.
Sur le trajet du retour, Claire se remémora la discussion qu'elle avait eue avec ses parents la semaine dernière. Ce jour-là, elle revenait d'un rendez-vous avec son futur ex-petit ami, Pierre. C'était son amour de jeunesse. Ils avaient convenu d'un rendez-vous au jardin public afin de s'expliquer sur la conduite infidèle du jeune homme. Claire avait appris quelques jours auparavant qu'il l'avait trompée. Elle ne savait pas avec qui, mais elle ne pouvait pas lui pardonner cet écart. Elle l'avait donc quitté sans qu'il ne puisse réellement s'expliquer. Par la même occasion, elle avait décidé de changer de vie. C'était sur un coup de tête, mais c'était essentiel à sa vie future.
Après être revenue de son rendez-vous avec Pierre, Claire leur avait annoncé qu'elle souhaitait quitter la maison et vivre la vie qui lui était destinée. Une vie qu'elle voulait loin de tout et surtout sans aucune attache. Comme elle s'y était attendue, Marc et Annick ne l'entendaient pas de cette oreille et feraient tout pour que leur fille reste auprès d'eux. Si elle voulait quitter la maison, c'était d'accord, mais elle ne pouvait pas aller vivre loin d'eux.
Claire venait de pénétrer dans le salon où ses parents étaient postés devant la télévision. Ils étaient assis dans leur tout nouveau canapé, acheté la veille. Ce sofa était si grand qu'il donnait une tout autre dimension à la pièce. D'autant plus que cela contrastait fortement avec la décoration vieillotte du salon. En la voyant arriver, ils eurent un petit sourire de bienvenue.
— Comment s'est passé ton rendez-vous avec ce cher Pierre, ma chérie ? demanda Marc.
— Bien. On s'est expliqué. Mais, j'ai rompu avec lui. On ne pouvait plus continuer ensemble.
Ses parents se regardèrent alors. La stupéfaction se lisait sur leur visage. Annick était la plus choquée. Pourquoi Claire l'avait-elle quitté ? Que s'était-il passé pour qu'une telle chose arrive ? Claire fut surprise de se rendre compte que ses parents ne s’étaient pas préoccupés de savoir si elle était malheureuse ou si la décision avait été compliquée à prendre. Non. Ce qui les intriguait était de savoir comment quelqu'un pouvait quitter un futur médecin avec une carrière plus que prometteuse, du fait qu’il s’agissait de l’étudiant sorti major de promo.
Claire s'installa en face d'eux en s'asseyant sur la table basse.
— Papa, maman, il faut que je vous fasse part d'une décision que j'ai prise. Je sais que ça va vous faire du mal et que vous ne comprendrez peut-être pas mon choix. J'espère tout de même le contraire et que vous serez favorable à mon projet. Enfin voilà, j'ai décidé de quitter la maison et d'aller vivre à Lille. Je pense avoir plus de choix pour trouver du travail.
— Pourquoi partir ? Pourquoi maintenant ? Tu peux trouver du travail ici, si tu te donnais la peine de chercher. Papa peut te faire rentrer dans son entreprise. Tu n’as qu’à dire un seul mot !
— Mais ce n'est pas ce que je veux faire. Je ne veux pas être secrétaire ou je ne sais quoi. Je veux être libraire. C'est mon avenir de travailler avec les livres. Je pensais que vous seriez contents que je me prenne enfin en main. Apparemment, j'avais tout faux. Je me suis trompée sur toute la ligne. Marine a eu le droit de partir avec Alex, mais moi, je n'ai pas le droit. C'est un peu injuste, vous ne trouvez pas ?
Claire savait qu'elle s'emportait un peu trop facilement. Mais le fait que ses parents fassent autant de différences entre sa sœur et elle, ça commençait à l’énerver de plus en plus. Sa mère, bien plus que son père, ne semblait pas comprendre le besoin qu'elle avait de vouloir partir. Annick trouvait que fuir les problèmes n'était pas une assez bonne raison, ni même une solution. Par-dessus tout, elle refusait que Claire parte. C’était presque viscéral. Elle avait besoin de sa fille à la maison.
— Tu ne peux pas partir. J'ai besoin de toi. Que fais-tu de Martin ? Ton frère va être triste de te voir partir. Qui ira le chercher à l'école le temps que je suis au travail ? Non, c'est juste impensable. Dis quelque chose Marc !
Le père de Claire savait que la discussion ne mènerait à rien. Quand sa fille avait une idée en tête, plus rien ne pouvait la faire changer d'avis. Il n'avait qu'à accepter la décision. Il avait bien une suggestion à faire.
— On pourrait envisager l'idée de prendre une nounou pour Martin. Ou alors, on pourrait demander à ma mère de s'en occuper un petit peu toutes les semaines. Je suis sûre qu'elle serait ravie. Ça nous permettrait au moins de nous retourner un peu avant de prendre une plus grande décision. Je ne pense pas que Claire soit devenue si indispensable.
— Ma décision est prise de toute façon. Tu ne pars pas un point c'est tout. La discussion est close.
Claire n'en revenait pas. Sa mère ne comprenait donc rien. Seule sa petite personne comptait. Toutefois, Claire remercia son père qui avait tenté de trouver une solution.
— Tu sais maman, je ne suis plus une enfant et j'ai le droit de décider de ce que je veux faire de ma vie. J'ai vingt-trois ans et un avenir devant moi que je compte bien saisir. Pour Martin, tu trouveras bien une solution en attendant mais je quitterai la maison dès que j'aurai trouvé un appartement et un travail.
— Et dis-moi, comment vas-tu payer ce nouvel appartement ? Il va te falloir des garants, je suppose, puisque pour le moment tu n'as pas de travail ? Ta décision peut être réfléchie, comme tu le dis, mais elle est totalement ridicule. Je le redis. Tu vas tomber de haut, Claire. Je peux te le garantir. Ce jour-là, ne viens pas pleurer dans nos jupons. Pierre était quelqu'un de très bien pour toi avec un bel avenir. Mais apparemment, pour madame, ce n'était pas suffisant !
Annick pensait la faire culpabiliser, mais Claire savait pourquoi elle l'avait quitté. Ce n'était pas une question d'avenir comme semblait le suggérer sa mère.
— Je ne reviendrai pas sur ma décision. Elle est prise et j'en suis drôlement fière, si tu veux tout savoir.
Claire partit se réfugier dans la chambre qu'elle détestait tant. Elle était dévastée que sa mère puisse réagir ainsi, mais malgré tout, elle avait réussi à garder la tête haute tout au long de la discussion. Claire souhaitait par-dessus tout que ses parents ouvrent les yeux vis-à-vis de Pierre et surtout qu'ils se rendent compte, enfin, que l'homme qui leur semblait si exceptionnel était un violeur, un dragueur ainsi qu'un manipulateur.