Cœurs brisés

1207 Words
Je regrette immédiatement mes paroles.  Nos cœurs se brisent.  Je nous ai détruits.  Je m’engouffre dans ma chambre sans un mot à Farouk.  Je me recroqueville dans mon lit où je reste prostrée jusqu’au lever du soleil à souffrir notre peine. Au coucher du soleil, j’ouvre les yeux.  J’ignore combien de temps je reste étendue dans mes draps à me morfondre.  Je n’ai envie de rien.  Julian vit exactement la même léthargie.  Ma peine et ma douleur sont mes seules compagnes.  Je m’entends sans cesse cracher à Julian que Viktor aurait dû le tuer et je sens continuellement nos cœurs éclater en mille morceaux.  Des voix provenant du corridor me sortent de mon apathie.  Mon Évêque ordonne à Farouk d’aller chasser et de prendre soin de lui pour le reste de la nuit pendant qu’il prenait le relais.   -          Sauf votre respect, votre Éminence, je suis incapable de la laisser seule, proteste mon Protecteur.  Pas dans cet état.   -          Vous ne servirez à rien, si vous n’êtes pas optimale pour la défendre, Farouk, le raisonne l’Ancien.  Soyez sage.  Elle a besoin de vous en forme.    Il y a de la compassion et de l’autorité dans son ton.  Farouk semble avoir abdiqué car le silence retombe devant ma porte.  Je me lève pour aller lui parler.  J’entrouvre doucement la porte.   -          Je vais bien, votre Éminence.  Je resterai sagement dans mes appartements, tel que l’exige le Roi.  Nul besoin de me surveiller.  Je n’ai nulle part où aller de toutes façons, laissé-je tomber d’une voix mal assurée.   Viktor me regarde, le visage impassible.  Il me prend par le bras et me traîne sans délicatesse devant le premier miroir qu’il trouve dans la pièce.   -          Non, Rébecca, tu ne vas pas bien.  Tu ressembles à un Zhutko et tu ne sembles même pas le savoir.   Il a effectivement raison.  J’ai tellement pleuré qu’on aurait dit que j’avais une deuxième peau rougeâtre recouvrant presqu’entièrement mon visage et mon cou.  Le sang séché écaillait par endroit.  C’est affreux.  Je me reconnais à peine.  Je tressaillis d’horreur.    -          Julian est dans le même état.  Il discutait avec sa Mère quand il a été distrait quelques instants avant de fondre en larmes.  Elle n’a pas réussi à le consoler.  Farouk dit que c’est au même moment que tu t’es enfermée dans tes appartements.  Je soupçonne que vous vous êtes parlé par télépathie Julian et toi.   Je fixe le sol.  Je sais que j’ai détruit mon couple.  J’ai écouté la voix de ma lignée et j’ai brisé le cœur de ma moitié.  Rien ne pourra effacer ce que je lui ai dit.  Je suis un monstre, pire que ceux qui nous ont attaqué.    -          Vous m’avez déjà dit que je serais ma pire ennemie.  Je crois que vous aviez raison, murmuré-je, la voix tremblante.   -          Précise ta pensée.   -          J’ai dit à Julian que vous auriez dû le tuer avant que tout ça ne commence.  J’ai entendu votre conversation avec l’Honorable Nightingale, la nuit où vous nous avez fait part de vos observations concernant notre lien.  Vous regrettiez de ne pas être intervenu plus tôt pour m’empêcher de me lier à lui.  Je sais que vous y aviez pensé pour me protéger.  Je vous en ai voulu à l’époque.  Mais je souffre tellement aujourd’hui que je lui en veux d’exister.  Alors j’aurais préféré que vous me débarrassiez de lui avant que je ne sache qu’il existe pour ne pas ressentir cette lutte en moi.  Je regrette tellement d’être ce monstre, comment pourrait-il aimer quelqu’un comme moi après ça ?   Mon discours est totalement décousu.  Je ne comprends plus si j’aime ou je déteste Julian.  Viktor me fixe étrangement, passe son pouce sur ma joue et quitte mes appartements en fermant la porte.  Il me laisse seule avec mon fardeau.  Que pouvait-il faire d’autre ?  Je me laisse choir lourdement sur la causeuse près de moi.  Je ferme les yeux.  Mes pensées sont embrouillées par la douleur de Julian.  Sa détresse est si intense que j’arrive à peine à réfléchir.  Si je revis en boucle la phrase assassine que je lui ai craché à l’esprit, c’est parce qu’il se la repasse constamment en tête.  Il se voit comme le maillon faible du couple puisqu’il s’est fait avoir par nos ennemis.  Ses pensées sont tellement sombres qu’elles noient systématiquement mes réflexions, les entraînant dans une spirale sans fin.  Je suis l’unique responsable de son état dépressif et je dois trouver une façon de nous réconcilier.  Ayant promis de respecter l’ordre du Roi, je dois rester dans mes appartements.  Il est donc hors de question que je rejoigne Julian pour faire la paix avec lui.  J’ignore quoi lui dire pour le moment et il ne semble même pas réagir au fait que je pense vouloir me réconcilier. Son esprit n’est même pas encore capable d’envisager que je puisse vouloir le reconquérir.  Je prends une douche pour enlever la couche de sang séché sur mon visage.  Je choisis un pyjama confortable, ce que je fais rarement puisque je ne reste jamais une nuit à ne rien faire dans mon salon, sauf lorsque je passais mes fins de semaine avec Julian et le port de vêtements n’était pas une option. Je suis d’ailleurs surprise d’avoir encore ce genre d’habits dans ma garde-robe.  La nostalgie de ma vie humaine est tenace.  Je m’enfonce dans mon fauteuil et plie mes jambes sous moi.  Je me sens si seule.  Le vague à l’âme, j’essaie de ne pas sombrer dans l’océan tumultueux, terrifiant et obscur des pensées de Julian.  Plus la nuit avance et plus je perds pieds, ne résistant plus à l’appel de cette magnifique et sombre spirale.  Sa douleur, notre douleur est fascinante, si noire, si complète.  Elle nous enveloppe, tel un drap réconfortant, nous rappelant que nous sommes des créatures de la nuit, des créatures de l’ombre ne méritant pas de vivre.  Je reste assise là, sans bouger, consciente du temps qui passe sans réellement en tenir compte.  Prisonnière de la beauté d’une tristesse infinie et d’une noirceur si dense que je n’arrive pas à en voir la fin.  Je ne mérite probablement pas de revoir la lumière de toutes façons.  Je suis un monstre qui ne vaut pas plus que cette spirale éternelle.  Je suis ma pire ennemie et j’ai détruit l’homme que j’aime.  La rédemption n’est pas pour moi.  Ici, au moins, la mort sera douce.  
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