Réflexions "matinales"

2261 Words
Dormir pour un vampire n’est pas vraiment dormir.  C’est plutôt comme si notre esprit se mettait sur pause pour ne reprendre ses fonctions qu’au coucher du soleil ou un certain nombre de minutes plus tard selon notre âge ou la puissance de notre sang.  Pour Julian et moi, nous ne pouvions reprendre conscience qu’environ une heure après que le soleil ait cessé de briller.  Pourtant, cette journée de sommeil est la première que j’ai l’impression de faire depuis un bon moment.  Je me sens d’attaque pour régler plusieurs dossiers en suspens depuis mon anniversaire maudit.  Blottie dans les bras de Julian qui met toujours un temps fou à émerger, je planifie ma nuit.  Je décide de commencer par Myriam que je n’ai pas vue au Munitum hier soir.  Lydia m’a dit qu’elle avait été obligé de la mettre dans un coma artificiel afin de la protéger d’elle-même puisqu’elle manifestait dangereusement des signes de folies durant mon absence.  Elle doit encore y être.  Connaissant la Professeure Jacobs, elle aura préféré la préserver de mon état dépressif plutôt que de la sortir prématurément d’un coma, risquant de lui faire perdre l’esprit avec moi.  Bien que Myriam soit mon Initiée, Lydia la considère comme son apprentie à bien des égards.  Nous discutons régulièrement de son avenir dans notre société, hésitant entre laquelle de nous deux fera la meilleure candidate pour lui donner l’immortalité si Myriam le souhaitait.  Nous réfléchissons à toutes les possibilités que nos descendances pouvaient lui offrir considérant qu’elle choisirait assurément le Cénacle de Vinci comme raison d’exister.  Il est difficile de statuer car nous savons que nous l’élèverions en Coterie et qu’elle bénéficierait de tous les pouvoirs que nous avions en nous.  Elle serait unique car elle serait la Fille d’une Coterie même si elle n’avait qu’une seule créatrice.  L’esprit de Julian est toujours dans le brouillard.  C’est vraiment pire en prenant de l’âge.  Je gigote un peu pour me défaire de sa prise qu’il resserre aussitôt en grognant.  Il me demande de profiter du moment et d’arrêter de penser.  Ce qu’il peut être bougon en début de nuit.  Je me tourne alors vers lui, tout sourire.  Il a les yeux fermés mais me sourit à son tour.  Je descends doucement la tête pour appuyer mon oreille sur son torse.  Bien emmitouflée dans ses bras, son menton appuyé sur ma tête, j’écoute le silence réconfortant de sa cage thoracique.  Ce silence me rappelle que nous avons l’éternité devant nous, contrairement aux humains.   -          Il ne bat toujours pas, constate Julian, la voix endormie.    -          C’est bien ainsi, lui rappelé-je doucement.  Ça signifie que tu es toujours mien.  Notre lien a aussi ça de merveilleux.  Notre mort ne nous séparera jamais.   Julian frissonne contre moi.  Il déteste lorsque je fais allusion à ce qui nous arrivera à l’autre si l’un de nous était détruit.  Pour ma part, je me suis faite à l’idée.  En fait, je préfère nettement ne pas survivre à sa destruction.  Je n’imagine pas mon univers sans lui et je ne me vois pas affronter l’éternité sans sa présence à mes côtés.  S’il venait à mourir, je disparaissais tout simplement avec lui.  Je pouvais souffrir la perte d’êtres chers, mais la simple idée de perdre de Julian me paraissait insurmontable.  Je savais que je n’y survivrais pas de toutes façons.  Il valait donc mieux que je n’ai pas à le vivre.   -          Malgré la noirceur qui nous a habité ces derniers jours, je préfère encore m’accrocher à l’idée de te garder en vie, tranche Julian pour mettre fin à mes réflexions "matinales".   Il m’embrasse puis sort du lit.  Il prend ses vêtements sur le fauteuil où il les a déposé.  Il les regarde en soupirant.    -          Deux choix s’offrent à nous.  Voyage à Pittsburgh pour faire mes boîtes ou séance de magasinage pour refaire ma garde-robe et repartir complètement à neuf.   Il m’observe, un sourire espiègle sur son beau visage.  Il me connaît si bien.  Je n’ai pas pris le temps d’aller faire les boutiques depuis si longtemps.  Une excursion dans la vie humaine nous fera le plus grand bien.  Je téléphone à Lydia pendant que je me prépare pour notre séance de magasinage.  Après les salutations d’usage, je lui demande des nouvelles de Myriam.    -          J’attendais que tu ailles mieux pour la réveiller.  Je souhaitais lui éviter un traumatisme.  Je crois que cette nuit sera parfaite.   -          J’accompagne Julian pour faire les boutiques.  Il doit refaire sa garde-robe.  Je te rejoins au Munitum après.  Est-ce que ça te convient ?   -          Dorken souhaite qu’on se rencontre pour discuter.  Nous devions le faire hier, mais tu es partie sans prévenir.   Je comprends le reproche sous-entendu dans la réplique de Lydia.  Ma Coterie m’a déjà prévenue que j’ai tendance à les mettre de côté et faire passer Julian avant eux.  Ils ont malheureusement raison et je ne peux les blâmer.  C’est plus fort que moi.  Je soupire bruyamment.  Je suis consciente que mon lien particulier avec Julian et ce qu’il nous imposait irritait de plus en plus Jörg et que ça commençait à nuire à l’unité d’ASARA.  Je ne suis pas que le maillon faible de mon couple, je devenais également le maillon faible de ma Coterie.  Je me sens tout à coup terriblement mal de ne pas être à la hauteur de leurs attentes.  Julian doit sentir mon malaise.  Il m’enlace doucement.   -          Je vais demander à Josie si elle peut m’accompagner, me suggère-t-il.  C’est bien elle qui est designer de mode, non ?   Oubliant que j’ai mon cellulaire dans les mains, je l’embrasse en le remerciant d’être aussi parfait.  J’entends Lydia chialer que j’aurais pu fermer mon micro.  Je reprends la communication avec elle en m’excusant.  Je la sens sourire lorsqu’elle me reproche les élans émotionnels de ma descendance.  Je bougonne en promettant d’être à la rencontre à l’heure.  Julian me regarde avec amour.  Je me perds en contemplant ses magnifiques yeux ambre.  Je le trouve si beau.    -          Tu as un peu de bave qui coule sur ton menton, Sweet-cubus, me chuchote Julian.   Il me fait un clin d’œil coquin lorsque je réalise que je le fixais depuis un moment.  Je baisse la tête, gênée.  Il me prend le menton et scelle ses lèvres aux miennes.  Son esprit m’ordonne de ne jamais me sentir mal de lui démontrer à quel point je suis amoureuse de lui.  Il met fin à notre b****r avant que mes mains ne commencent à se glisser sous son veston.  Je mets quelques secondes à calmer la pulsion qui montait en moi.  J’ai tellement envie de lui.  Je reprends mon cellulaire et envoie un message à Josie.  Elle est très enthousiaste de pouvoir aider Julian cette nuit.  Je reçois également un message de Kat.  Elle m’apprend qu’un paquet attend Julian dans un des salons communs du Presbytère.  Elle l’a remis à Mariko, notre Régente, lorsqu’elle a compris que nous avions quitté le Munitum sans avertissement. Prêts pour la nuit, nous quittons mes appartements et allons chercher le paquet.  Une note accompagne la boîte d’un cellulaire dernier modèle : « Bienvenue dans la famille Julian. Kat xxx » Je sens qu’il est à la fois surpris et touché par cette attention.   -          Je n’aurais jamais cru qu’elle puisse m’offrir un cadeau un jour, s’étonne Julian.   Il est vrai que tout a mal débuté entre eux.  Ma surprotectrice sœur de Coterie a détesté dès le départ le petit côté jaloux et sadique de mon nouveau copain.  Le besoin que Julian ressentait de me faire payer par la douleur les frayeurs que je lui occasionnais ne lui plaisait pas du tout.  Elle n’appréciait pas plus que j’en accepte les faits et que j’ai pensé le laisser me fouetter pour qu’il puisse retrouver qui il était vraiment.  Nous avons eu plusieurs discussions houleuses sur le sujet.  Fort heureusement, nous n’avons pas eu à utiliser cette solution plutôt drastique.    -          Tu ne m’as jamais vraiment fait mal jusqu’à présent, remarqué-je.   -          Je n’avais pas intérêt, dit-il en riant.  Kat m’a sérieusement averti qu’elle éprouverait encore plus de plaisir à me faire souffrir que moi à te faire mal.  Elle a précisé qu’elle utiliserait sans gêne notre lien pour me rendre fou si je levais la main sur toi pour me venger de quoi que ce soit.  Si je ressentais le besoin de me défouler, elle m’aiderait avec plaisir à trouver un mortel qui mériterait d’être puni à ta place.  J’ai saisi le message.   -          Je l’adore cette Skugga.   -          Tu es bien entourée Rébecca.  Je te l’ai toujours dit.   Je le sens triste tout à coup.  Il vient de se détourner de 100 ans de son immortalité en décidant de venir s’établir à Montréal.  Sa toile pourrait en être sérieusement affectée.  Seul le temps nous dira les effets de sa décision.  J’entoure sa taille de mes bras, me collant à lui.    -          Toi aussi, tu es bien entouré désormais Julian.  Toi aussi, le rassuré-je.   Il chasse le début d’inquiétude qui se pointait en lui et m’entraîne hors de la pièce.  Nous décidons de marcher dans les rues du Vieux-Port pour nous rendre au Munitum.  C’est une froide soirée d’hiver.  J’ai dû mettre un manteau et des bottes afin de préserver les Apparences car il aurait été étrange que je sorte simplement vêtue d’une magnifique robe de soirée et talons hauts.  Julian a presque l’air humain avec son manteau de laine pressée.  Nous avons l’air d’un couple d’amoureux revenant d’un souper, marchant en se tenant par la taille, profitant des voitures qui passent sur le coin des rues pour s’embrasser.  Fait inusité pour moi, Julian s’arrête à quelques reprises devant des immeubles à vendre pour prendre des notes et des photos.  Je ne l’ai jamais vu faire ça lors de nos marches sous les étoiles.    -          J’ai fait fortune dans l’immobilier à Pittsburgh quand j’étais humain, m’explique-t-il.  C’est ainsi que ma Mère m’a découvert.  Je suis un jeune prodige pour une Imperius de sa trempe.  Malgré mon choix d’intégrer la Congrégation, j’ai conservé mon entreprise après ma renaissance et je l’ai fait fructifier.  Peters Group est rapidement devenu un empire national et il est la figure de proue dans le domaine immobilier sur la côte est américaine.  Il va falloir que je protège ses actifs de la vengeance de la ville de Pittsburgh.  C’est pourquoi je prévois percer le marché montréalais en investissant ici.  Je dois également m’assurer de ne pas marcher dans les plates-b****s d’un autre Immortel.  Je crois savoir que Yohan des Chardons Ardents est peut-être dans le même domaine.  Mais je n’ai pas poussé plus loin mes recherches.   Je l’observe comme si j’avais devant moi un parfait étranger.  Il venait de me parler comme s’il avait été un membre de la Maison des Imperius.  Pourtant je suis persuadée que lors de toutes nos conversations précédentes, j’étais bien en présence d’un Purifié Progressiste convaincu.    -          Ne fais pas cette tête-là, je suis toujours le même, rigole Julian en posant un b****r sur ma joue.  L’immobilité et la rigidité des Imperius m’ont déplu dès le départ.  De plus, j’en voulais énormément à ma Mère d’avoir fait de moi ce que je suis.  Je me croyais damné pour l’éternité.  Puis le Régent nous a expliqué les différences entre les raisons d’exister ainsi que ce qu’elles s’apportaient entre elles.  Je sais maintenant que notre Régent était un pourri jusqu’à la moelle car il n’a vanté que les mérites des Imperius et des Purifiés, mais j’ai alors compris que j’avais un rôle à jouer dans les plans de Dieu.  C’est ce que je croyais jusqu’à aujourd’hui.   -          Que veux-tu dire ? demandé-je inquiète.   -          Nous en reparlerons plus tard, tu veux bien.   Il m’intime au silence en m’embrassant avant de reprendre le chemin du Munitum.  Je le suis, la tête pleine de questions.   
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