Société immortelle - Âmes Jumelles - partie 2 (terminé)

Vers le Munitum

Sur le chemin du Munitum, je ne peux m’empêcher de penser aux dernières nuits.  Viktor marche en silence devant nous, tout comme Farouk et James qui nous suivent sans dire un mot.  Julian ne m’a toujours pas rouvert son esprit depuis que j’ai eu l’impression d’interrompre une discussion importante entre l’Évêque et lui.  Je les fais presque tous sursauter lorsque je demande pourquoi la Professeure Jacobs pouvait discuter avec Julian pendant notre épisode dépressif et que je n’avais même pas eu conscience de la visite de son Éminence.

-          La théorie de nos érudits est que tu sois entrée en « Admiration Céleste », la malédiction de ton sang, m’explique mon Ancien.

-          J’avais parfois l’impression que tu valsais avec nos émotions négatives, comme hypnotisée.  C’était tellement fort que j’embarquais avec toi sans être capable d’y résister.  Seul le lever du soleil me ramenait à moi.  Pas toi.  Je replongeais à chaque nuit de plus en plus rapidement, m’avoue Julian.

Je me souviens avoir trouvé notre douleur fascinante.  L’image fait frissonner ma moitié qui me prend la main pour se réconforter, rouvrant son esprit par le fait même.  Je mêle mes doigts aux siens, heureuse de le retrouver.

-          C’est ton instinct de survie qui t’a sortie de cette spirale Rébecca, m’apprend Viktor.  Lorsque la Professeure Jacobs t’a présenté Caro, tu l’as prise sans hésiter. Ton corps avait faim et tu l’as senti. Mais elle a dû attendre que tu en sois à la ta dernière journée de sang.  Tandis que Julian refusait de se nourrir alors qu’il en était à ce stade depuis une semaine. 

-          Je ne voyais pas l’intérêt de rester dans un monde où elle ne voulait plus de moi.  Je…

Il s’arrête et me serre contre lui, tremblant comme une feuille.  Je lui murmure doucement que je suis là, que je l’aime et que je n’imagine pas un monde sans lui.  Mon Évêque nous demande si nous tenons vraiment à affronter les citoyens cette nuit, nous suggérant de remettre tout ça au lendemain.  Julian s’éloigne doucement de moi en réitérant qu’il devait parler à sa Mère aujourd’hui. 

-          Elle doit comprendre que ma vie se passera désormais à Montréal.  Il est plus que temps, déclare-t-il avec détermination.

-          Il est surtout temps pour vous de comprendre votre lien et de l’apprivoiser, nous conseille Viktor lorsque nous reprenons la marche.  Nous avons eu tort de vous laisser vivre séparément aussi longtemps.  Vous avez payé cher notre manque de discernement.

Je suis stupéfaite d’entendre cet aveu de la bouche de mon Ancien.  Décidément, ces trois mois les ont tous ébranlés plus que je ne pouvais l’imaginer.  Spontanément, sans vraiment réfléchir, je me précipite devant lui, le forçant à cesser de marcher.  Je lui prends la main malgré sa légère résistance.  J’utilise tout mon courage et ma volonté pour le regarder droit dans les yeux.  J’ai envie de fuir mais je résiste.

-          Vous, et quand je dis vous, je fais référence au trio d’Anciens qui veille sur notre cité, vous êtes les meilleurs mentors que nous puissions rêver d’avoir.  Malgré les défis que ça implique, vous partagez vos connaissances avec des enfants comme nous afin de nous préparer à affronter la dure réalité de notre société.  Vous n’êtes ni omniscients ni omniprésents encore moins omnipotents.  Parce que nous sommes libres d’agir, nous avons dérangés les mauvaises personnes.  Mais grâce à vous, nous avons déjoué leurs plans et nous y avons survécu.  Ce sont vos enseignements qui nous l’ont permis ainsi que votre soutien.  Je ne parle pas qu’en mon nom ou pour Julian, je parle pour l’ASARA.  J’espère que vous l’avez compris. 

"Vous savez mieux que moi que l’immortalité peut s’avérer tortueuse et difficile à vivre.  Vous me le répétez constamment.  Vous, et je fais toujours référence à votre Trio, devrez accepter qu’en nous laissant emprunter le chemin le moins fréquenté choisi par Montréal, nos immortalités seront obstinément compliquées et parsemées d’embûches.  Heureusement pour nous, vous nous avez donné les outils pour nous en sortir.

Je lâche sa main et recule d’un pas, sans le quitter des yeux.  Je suis étonnée d’avoir tenu aussi longtemps près de lui sans que ma bête ne se soit affolée ou que la sienne ne m’ait intimidée.  Je m’incline avec respect et retourne auprès de Julian, les jambes tremblantes.   Son Éminence reste immobile quelques minutes, silencieux.  James et Farouk regardent leurs pieds sans bouger.  Nous pourrions entendre une mouche voler.  Puis, il reprend le chemin du Munitum d’un pas rapide.  Nous le suivons sans dire un mot. 

Le Maréchal O’Sullivan ainsi que les membres d’ASARA nous attendent dans le stationnement du Munitum.  Kat me saute dans les bras dès qu’elle nous voit, ce qui me surprend.  Elle qui déteste les contacts physiques, je m’étonne de la sentir contre moi. 

-          Tu m’as vraiment fait peur, ma Sœur, me murmure-t-elle, avant de s’éloigner.

-          Je suis vraiment désolée.  Je vais essayer de ne pas recommencer.

-          Tu as intérêt, rigole-t-elle.

Jörg me salue avec son étiquette Imperius habituelle.  Je lui saute au cou, le remerciant de me l’avoir ramené.

-          Il fait partie de toi et toi de nous.  Je ne pouvais faire autrement.  Sans la gang des Chardons Ardents, nous n’y serions pas arrivés.  Pense à les remercier eux aussi. 

-          J’y veillerai.

Julian rend ses hommages à Kat et Jörg à son tour.  Bien que plus formel que moi, j’ai tout de même l’impression qu’il s’est développé un certain lien entre eux au fil des ans.  Leurs comportements démontrent qu’ils ne sont pas que de simples Immortels se fréquentant par la force des choses.  Je sens qu’ils sont un peu plus que ça, sans trop savoir.  Ils se sont pourtant vus que très rarement.  Mais Julian partage ma vie au quotidien depuis tellement d’années et je passe la plupart de mon temps avec eux ce qui expliquerait qu’ils soient tous inévitablement liés entre eux.  C’est comme s’ils se connaissaient tous sans vraiment se connaître. 

-          Première Prêtresse, me dit O’Sullivan, juste avant d’entrer dans la grande salle, j’ai vraiment tout essayé pour l’en dissuader.  Mais on parle de Cassie et vous savez comment elle est…

Je le regarde intriguée.  Il semble vraiment gêné.  Il nous fait signe de passer devant lui.  La salle est bondée.  Sur chaque table, on voit des arrangements floraux à base de tournesols, ma fleur préférée.  C’est de la folie considérant que nous sommes carrément hors saison.  Je reste figée sur place devant la centaine de mini-soleils illuminant la pièce.  Émue par cette pensée, je ne peux retenir une larme.  Julian se place à mes côtés et me prend par la taille.  La voix mélodieuse de ma Sirène s’élève dans la salle.

-          J’ai composé cette pièce en pensant à vous, Mère, notre Révérente Mère à tous.  Ce lien qui vous unit à Julian est si fort, si inspirant.  Votre amour est tellement puissant qu’il nous donne à tous l’envie de chanter.  Vous verrez que c’est très différent de ce que j’ai l’habitude de faire.  Mais c’est totalement vous.  C’est complètement INTENSE. 

Dès les premières notes, je comprends ce qu’elle voulait dire par différent.  Le son est rock, voir alternatif.  Elle qui a un registre beaucoup plus techno, elle en surprend plus d’un, fidèle à elle-même.  Autre nouveauté, elle transforme sa voix pour nous donner l’impression d’un duo entre Julian et moi.  C’est fascinant de nous entendre chanter à travers elle.  Les paroles sont touchantes.  Le couple semble vivre un épisode noir où la mort cogne à leur porte.  Je frémis lorsque je m’entends demander à Julian de ne pas se laisser partir, de ne pas fermer les yeux, une note de désespoir dans la voix.  La détermination dans sa réponse me rassure lorsqu’il répond qu’il ne mourra pas cette nuit.  Ce voyage intense dans une partie de ce que nous avons vécu nous a profondément ébranlé Julian et moi.  Nous sommes sans voix devant la prestation de Cassie. 

-          Not gonna die tonight, Sweet-cubus, me murmure Julian à l’oreille, en me serrant contre lui avec force.  Never.