Regardez-moi

2784 Words
La grande salle du Munitum est pleine à craquer.  Je suis surprise de voir qu’autant d’Immortels soient présents pour mon anniversaire.  Presque tous les citoyens de Montréal et de Laval sont présents.  Je sais bien que j’œuvre auprès d’eux en tant que Première Prêtresse, que j’organise des soirées où les arts variés sont à l’honneur et que je sois la première née dans la philosophie différente de Montréal, mais je suis vraiment touchée que tant de gens aient réservé leur soirée pour moi.  Mon petit côté « Regardez-moi et admirez-moi » est complètement comblé par toute cette attention.  Lucas me distrait facilement de mon principal tourment en me traînant d’un groupe à l’autre afin que tous puissent me souhaiter un excellent siècle et un merveilleux avenir.  J’ignore ce qui s’est dit avant mon arrivée mais nul ne mentionne l’absence de mon conjoint.  Je les en remercierais presque si j’avais le droit de penser à lui.  Je gère relativement bien le fait qu’il ne soit pas à mes côtés.  J’aurais tellement aimé qu’il partage ces instants avec moi.   Je parviens difficilement à rester en contrôle lorsque je vois apparaître une grande dame aux cheveux longs noirs et en robe rouge à la porte principale.  Lena Schneider, la sœur de mon Père, est venue de Munich pour moi.  Je suis tellement émue que je reste figée debout à la fixer sans dire un mot.  Cassie me regarde perplexe, tout comme Ethan et Lucas qui sont près de moi.  Ils se demandent tous pourquoi je suis là sans bouger.    -          Tante Lena, murmuré-je avant de m’élancer vers elle.    Je m’arrête juste avant de lui sauter au cou.  Elle penche la tête et m’ouvre ses bras, acceptant que je lui fasse un câlin.  Elle me murmure à l’oreille que l’Ambassadrice Fraser lui a tout raconté au sujet de Julian.  Je suis incapable de retenir mes larmes, malgré ma promesse aux membres de ma Coterie de m’amuser cette nuit.  Lena me serre contre elle.    -          Je sais qu’il te manque.  Antoine serait si fier de toi s’il était encore des nôtres.    Je la remercie, à la fois pour ses paroles et pour m’aider à revenir au plan d’origine qui est de ne pas alarmer ma moitié par des émotions négatives ni inquiéter les citoyens en lien avec la situation.  J’ignore d’ailleurs ce qui a été dit par rapport à l’absence de Julian car on ne m’a pas questionné à ce sujet de la soirée.  Même Cassie a été plutôt discrète sur le fait que je sois seule cette nuit.  Pourtant tout le monde sait que nous devions fêter ensemble.  J’essuie mes larmes pendant que Lena, Maréchal de Munich, se présente au Roi.  Elle nous rejoint ensuite.  Je la présente à Cassie qui est plus qu’enchantée de faire enfin la connaissance de cette guerrière dont elle a tant entendu parler.  Il semblerait que notre Maréchal, O’Sullivan, vante les compétences au combat de Lena lors des pratiques hebdomadaires auxquelles participe régulièrement Cassie.    -          On m’a dit que vous étiez une combattante redoutable, la louange ma jeune Sirène.  Qu’une leçon avec vous valait plus que 10 combats dans une arène.   -          O’Sullivan vous a dit ça, sourit Lena, visiblement touchée.    -          Ho, mais pas que lui.  Alex et Caroline sont du même avis, répond Cassie avec enthousiasme.  Ils parlent toujours de leur camp d’entraînement à votre Académie avec des étoiles dans les yeux.  Vous avez définitivement marqué leur immortalité, je vous assure.   -          Je comprends mieux pourquoi tu as voulu la garder pour toi ma chère nièce, rigole Lena.  Elle te ressemble tellement quand tu avais son âge.  Même encore aujourd’hui.    -          Ai-je dit quelque chose de mal, Mère ? me demande ma Fille, mal à l’aise.   -          Bien sûr que non, la rassuré-je.  Puis me tournant vers la sœur de mon Père, un sourire baveux au visage : Ta GRANDE tante Lena se plaît seulement à me rappeler que je suis trop franche et honnête dans une vie.    J’ai mis volontairement l’emphase sur le terme familial, sachant très bien que Lena n’est pas à l’aise avec le concept.  Peu d’Immortels ne l’est en réalité.  En dehors du lien Père-Mère et progéniture directe, notre société n’est pas des plus familiales.     -          Et ta Mère est chanceuse que ce soit la soirée de son anniversaire parce que je lui botterais son joli petit c*l, si nous étions un soir comme les autres, me réplique mon Aînée en me lançant un regard carnassier tout en souriant.    Je lui envoie un b****r volé qu’elle attrape avant de le jeter derrière elle comme si elle n’en avait rien à faire.  J’éclate de rire.  Sa présence me fait le plus grand bien.  Elle me distrait suffisamment de mes inquiétudes pour Julian.  Je remarque malgré tout que Lucas, le Maréchal de Laval, Ethan et la Coterie des Chardons Ardents sont constamment près de moi.  Il est vrai qu’ils font partie de mes proches au sein de notre communauté mais je soupçonne que le fait qu’ils soient armés plus qu’à leurs habitudes ne fassent pas partie de leurs costumes pour ma fête.  En fait, tous les guerriers de la cité ont leurs armes sur eux.  Même Lena n’a pas reçu l’ordre de laisser son katana au Cerbère du Munitum à son arrivée.  Alors que je remarque ce détail un peu dérangeant, Lucas se plante devant moi en souriant étrangement.  Les lumières de la pièce s’éteignent d’un coup sauf celles éclairant le centre où l’on se présente habituellement devant notre Roi.  Une douce musique envahit la salle.  Je reconnais immédiatement la mélodie qui a suscité tant de réactions lors du bal de clôture de l’Assemblée à Philadelphie.  La magnifique voix de ma pupille s’élève dans la pénombre, nous enveloppant d’un bien-être inexplicable.  Le Zhutko me tend la main, m’invitant à recréer ce moment désormais mythique pour le plaisir de nos citoyens.  J’accepte en me demandant pourquoi nous n’y avions pas pensé avant.    -          On dirait que tu t’es pratiqué en secret cher ami, le taquiné-je lorsqu’il me fait tournoyer sur le plancher de danse improvisé.   -          Ta Fille sait se montrer persuasive quand elle a une idée dans la tête, rigole Lucas.  Elle est un bourreau IMPITOYABLE, lui crie-t-il en la regardant par-dessus son épaule.   Cassie hausse simplement les épaules sans se laisser démonter.  Elle poursuit son chant comme si rien n’était.  Je comprends qu’elle a tout orchestré depuis longtemps.  J’imagine que cela devait donner la chance à Julian de m’offrir cette fichue danse que je n’aurai toujours pas.  Je retiens difficilement une larme.  Lucas l’essuie sans un mot et me serre un peu plus contre lui.  À la fin de la danse, je suis surprise de sentir la prise d’un autre Immortel sur mon bras avant même que mon partenaire n’ait le temps de me laisser.    -          Vous permettez ? me demande galamment Monseigneur, resplendissant de « Jeunesse Éternelle ».   Lucas recule poliment et je me positionne dans les bras de mon Roi et mentor.  Cassie démontre son talent naturel pour la musique en entamant une autre mélodie des plus magnifiques.  Avant ce bal à Philadelphie, nous ignorions que ma chère protégée ne s’adonnait pas qu’à la musique électronique.  Elle a également une formation classique.  Elle excelle au violon, au piano et à la flûte traversière.  Elle est définitivement un trésor et je suis plus que fière d’être sa Mère.  J’avais remarqué qu’un piano à queue avait été placé dans le coin avant de la salle lors de mon arrivée.  Je ne suis donc pas étonnée d’entendre les notes de sa dernière composition emplir la pièce.  C’est si doux et envoûtant.  Je me laisse porter par les pas de mon partenaire qui est un aussi bon danseur qu’il est un excellent mentor.  Je remercie la vie de me gâter autant.  Une seule ombre au tableau : Julian est absent.   -          Soyez forte, pour lui, me rappelle mon Ancien.  Vous en êtes capable.  Vous avez su faire preuve d’une grande sagesse depuis le départ de votre Père.  Vous avez accompli tant de choses avec votre Coterie et vous en réaliserez tant d’autres.  L’Évêque Fabre serait tellement fier de vous s’il vous voyait ce soir.  Je suis fier de vous Rébecca.   -          Merci Monseigneur !  Vous savez à quel point cela me touche de vous l’entendre dire, lui avoué-je en osant le regarder dans les yeux.    -          Vous méritez qu’on vous le dise, c’est votre soirée après tout.   Son regard est empreint d’une tendresse que seul un père peut démontrer à ses enfants.  Nous disons souvent que notre Roi nous considère comme les enfants qu’il doit protéger.  Cette nuit, je comprends qu’il ne s’agit pas que d’une rumeur.  Je ressens dans ma chair que je suis la Fille de Montréal et qu’il en est le Père.  Les dernières notes de piano se font entendre.  Une présence dans mon dos m’indique que je doive changer de partenaire.  Le sourire de Monseigneur m’informe en partie sur mon futur partenaire.  Il n’y a qu’un Immortel qui a droit à ce genre de complicité : l’Honorable Nightingale.  C’est au son du violon que j’évolue dans les bras du Scholar du Cénacle.  Il me félicite pour mes qualités de danseuse et je le remercie en riant que j’aurais été une piètre descendant de Sakyu si je n’avais pas su enflammer un plancher de danse.    -          On m’a pourtant rapporté qu’un certain plancher de danse de Trois-Rivières vous aurait plutôt enflammé vous, rétorque le Molaĩ avec un clin d’œil.   -          Voyons, Honorable Nightingale, répliqué-je, tout sourire, réprimant toutefois l’envie d’aller frapper un certain Colonel.  Il ne faut pas croire tout ce qu’Ethan raconte.    Des gloussements provenant du fond de la salle me confirment que c’est bien lui qui répandait encore cette histoire de mon passé, la honte de mon immortalité.  Oser raconter mon humiliation publique à l’un de nos Anciens, il venait de dépasser une limite à ne pas franchir.   Je me promets de lui faire payer tout ça dans les règles de l’art.  Je crois que mon air déterminé inquiète le Vinci car il me demande de ne pas en vouloir au jeune Imperius qui ne voulait que pimenter ma soirée d’anniversaire en racontant nos aventures passées.    -          Le but de la soirée est de faire connaître NOTRE Première Prêtresse à ses citoyens et vous montrer à quel point nous vous aimons.  Rire de vous en votre présence est bien la preuve que nous tenons à notre petit virus adoré, me convainc-t-il en souriant à son tour.    J’ai du mal à conserver mon sourire même si je sais tous les efforts qu’ils ont mis à organiser tout cela.  Je sais que Julian devait être à mes côtés et bénéficier de tout cet amour également.  J’en veux de plus en plus à cette satanée Skugga de s’être interposée entre nous.  Je sens l’esprit de Julian s’embrouiller et je me calme immédiatement, revenant subitement à ma danse avec l’Honorable Nightingale.  La main de ce dernier exerce une plus grande pression contre mon dos, comme pour me soutenir, me rappeler qu’ils sont tous avec moi.  Il me fait un clin d’œil avant de m’envoyer tournoyer jusque dans les bras de son Éminence Kovacs.  Cette fois, c’est sur un fond de piano que Cassie nous joue de sa flûte traversière.  Je ferme les yeux, me laissant à la fois transporter par la merveilleuse mélodie et par mon excellent partenaire de danse.  Je sais que Viktor est un danseur presque parfait pour avoir eu l’audace d’aller l’inviter à m’accompagner pour une danse lors du bal de clôture à Philadelphie.  Tout comme notre Roi, il a revêtu sa « Jeunesse Éternelle » favorisant ainsi un contact rapproché.  Je ne comprends toujours pas pourquoi l’Honorable Nightingale ne nous fait pas le même effet de prédateur que ses deux homologues en âge.  Mon hypothèse est qu’il est un érudit alors qu’ils sont des guerriers.  Mon Évêque pose son doigt sur mon front en ricanant.   -          J’ignore à quoi tu penses, mais tu ne te concentres pas sur notre danse, se plaint-il.  Tu as ton pli de réflexion intense, jeune Sakyu.   -          Je me demandais pourquoi Monseigneur et vous en imposiez tant par votre présence, pourquoi votre bête nous effraie-t-elle autant alors que le Scholar se fait beaucoup plus discret.  Il est pourtant du même âge que vous.  D’autant plus que Julian et moi sommes désormais presque de la même puissance de sang que vous et…   -          Et…   -          Lorsque je vous ai croisé tout à l’heure, avant que vous n’enclenchiez votre « Jeunesse Éternelle », votre bête m’a semblé aussi terrifiante qu’avant.  Je croyais que tout était interrelié.   Sans cesser de me faire valser, mon Ancien pencha la tête sur le côté et m’observa longuement.  Il promet de m’enseigner et de répondre à mes questions une autre nuit.  Il me rappelle que c’est soir de fête.  Il m’ordonne de sourire et de me concentrer sur notre danse.  Nous nous amusons si peu dans notre monde.  Je lui réponds qu’il n’a qu’à m’accompagner au Festin Nu s’il tenait tant à danser.  Il lève les yeux au ciel en maudissant ce corps à corps indécent que nous appelions danse.    -          Je pourrais peut-être vous y rejoindre afin d’assister à l’une de vos compétitions de séduction.  Il paraît que le Maréchal de Laval est un adversaire difficile à battre, laisse-t-il tomber juste au moment où se termine notre danse.    Je pince les lèvres dans un sourire forcé.  Ethan et Lucas se sont vraiment donné le mot pour pointer du doigt les échecs de mes jeunes années.  Ma fierté en prend un sale coup.  Je relève la tête et les épaules afin de bien montrer toute ma magnificence.     -          Il est vrai que son masque a séduit plus d’humains que moi cette nuit-là.  Si je n’avais pas compétitionné contre lui, je lui serais probablement tombé dans les bras moi aussi.  Mais n’oubliez pas qu’au naturel, c’est moi la Belle et lui la Bête.   Je me tourne alors vers Lucas, tout sourire.  Les gens dans la salle sont estomaqué de ma réplique acerbe, voir offensante pour les Zhutko.  Il est rare que je les attaque directement sur leur apparence.  Mon allié, mon frère, me regarde en souriant également.   -          Tu l’as cherché mon frère, lui murmuré-je en lui faisant un clin d’œil.    Il éclate de rire, cassant immédiatement le malaise qui s’était temporaire établi dans la pièce.  J’ai tout à coup l’impression de boire le meilleur sang qui soit.  Je m’immobilise et reste aux aguets.  Je sens ma bête qui s’éveille.  J’entends Viktor dire mon nom près de moi.  Sans lui répondre, j’entre dans la tête de Julian.  Je réalise rapidement que je ne suis pas seule.  Quelqu’un d’autre est avec moi.    -          Il est à moi, crié-je en télépathie.  
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