Société immortelle - Âmes Jumelles - partie 2 (terminé)

Une vérité dérangeante

Nerveuse, je me tortille discrètement les mains dans les manches de ma robe de Prêtresse.  J’écoute son Éminence Kovacs annoncer aux membres de la Congrégation présents au Séminaire de Philadelphie qu’il est heureux de laisser la parole à sa jeune protégée.  Un brouhaha de stupéfaction s’élève parmi la foule des Purifiés.  Il est plutôt inhabituel qu’un Évêque laisse son droit de parole à un subalterne, surtout si cet Immortel est aussi jeune que je le suis.  D’autant plus que notre Évêque est le plus âgé sur place, tout le monde se serait attendu à ce qu’il commente lui-même la question sur laquelle nous devions nous prononcer en tant que Congrégation : devrions-nous exiger que la Faction des Gardiens du 4ième Pouvoir demande la permission d'un Roi sur un territoire donné avant de faire « Page blanche » sur une cité ? 

Je me souviens lorsque Monseigneur de Cornouailles nous avait lu les sujets des réflexions de l’Assemblée de Philadelphie lors de notre toute première rencontre préparative pour cette grande semaine.  La première faisait écho d'un débat faisant rage en Europe depuis des années : devrions-nous cesser toute utilisation de la nouvelle technologie au sein de notre société ? Par nouvelle technologie, les organisateurs font références aux cellulaires, ordinateurs et autres objets pouvant se connecter à un réseau quelconque ainsi qu’à internet.  Nous savons que cette connectivité inquiète nos aînés car ils croient que ça nous mènera assurément vers des bris d’Apparences et vers une société où les Gardiens domineront sur le long terme grâce à la souplesse de leurs immortalité.  La deuxième attaquait indirectement notre liberté d’actions en tant que Nouveaux-Nés à Montréal : devrions-nous permettre à de jeunes Immortels de voyager et d’agir sans supervision ? 

-          Je crois que Monseigneur Townsend se souvient encore de notre passage dans sa cité, avait rigolé Jörg.

-          C’est d’ailleurs pourquoi je donne à la Coterie ASARA la mission de vous assurer que la mythique réunion des Nouveaux-Nés se réalise cette fois, nous avait alors ordonné le Roi. 

Nous avions accompli notre mission avec succès dès la deuxième nuit en sol américain, créant un précédant et irritant davantage Monseigneur Townsend.  Je laisse de côté mes souvenirs et regarde mon Évêque qui me fait signe de me lever pour prendre la parole devant la centaine d’Immortels présents.  Une Assemblée est un événement qui n’arrive que deux ou trois fois par siècle, nous n’avons aucun contrôle sur ça.  Ce sont les Magistrats, les grands Maîtres de nos raisons d’exister, qui en déterminent les dates et lieux.  Lors de ses Assemblées, une nuit est réservée à un Séminaire ouvert à tous les membres de la Congrégation du Diocèse.  C’est d’ailleurs lors de ce Séminaire que l’on pourrait exiger un changement de Cardinal si nous le désirions, par exemple.  Ce qui ne risque jamais d’arriver dans le cas qui nous intéresse, notre cher Cardinal de Québec, j’imagine qu’il doit avoir un nom mais je ne m’en préoccupe guère, étant tellement apprécié de ses disciples.  Je souris juste à y penser.  D’ailleurs, il semble spécialement heureux de me voir lui faire face en ce moment même.  Je sens qu’il s’attend à être vraiment enchanté de ce qu’il va entendre.  Son sourire est faux, tout comme l’attitude calme de son visage.  Il semble déjà regretter avoir été si complaisant avec moi lors du procès contre le Père de Cassie que j’avais demandé plus tôt dans la semaine.  Ses yeux m’ordonnent de ne pas ouvrir la bouche. 

Sans me laisser intimider, je lui fais mon sourire le plus charmeur et sans utiliser de pouvoir surnaturel pour séduire mon auditoire, je débute mon discours d’une voix douce et calme.

-          Paisible nuit à tous.  Historiquement, notre Congrégation a toujours été aux côtés de la Maison des Imperius afin de les guider et de les conseiller.  Nous nous assurons ainsi qu’ils soient des dirigeants justes et raisonnables tel que leur position l’exige.  Cette façon de faire ancestrale prend sa source du livre des Règles du Mont Sinaï, écrit par la main même de notre fondateur Loudas.  Nous avons le devoir d’assurer que les membres de notre société soient traités avec tout le respect qu’ils méritent car nous savons mieux que quiconque que notre immortalité a une raison d’être qui nous dépassent.  Les Rois de nos cités, tels des pères de familles, doivent veiller à la sécurité de leurs citoyens et ont le devoir de faire respecter les Traditions et lois qui régissent notre société.  Ils peuvent punir si le besoin s’en fait sentir et, en honnêtes citoyens, nous leur devons allégeance.  Toutefois, si nos dirigeants empruntent des chemins où l’injustice, l’abus de pouvoir, le totalitarisme et la dictature effacent les droits des citoyens et que la sévérité des punitions dépasse la gravité des actes commis, nous, les Purifiés avons le devoir de réagir en les ramenant dans le droit chemin. 

"Si la Faction des Gardiens du 4ième Pouvoir a vu le jour et que ses « Pages blanches » mystiques existent, je crois que c’est parce que nous avons malheureusement échoué à quelques reprises à répondre à cette règle de Loudas.  Je pense que si nous désirons éviter que cette jeune raison d’exister utilise ce moyen, il serait temps que nous reprenions notre réel pouvoir sur la politique interne de nos cités.  Nous pourrions ainsi être de nouveau perçus comme étant une raison d’être puissante et respectée pour notre sagesse. Nous pourrions aussi faire comprendre aux Imperius qu’ils doivent nous craindre car leur pouvoir dépend de nous et non l’inverse. S’ils agissent mal, nous serons là pour les remettre à leur place.  Cessons d’être des agneaux alors que nous sommes les lions de Dieu.

"N’oublions pas que nous avons des fidèles parmi les Gardiens.  Nous devons penser à rendre douce leur immortalité pour le salut de leurs âmes également.  Guider, conseiller et déloger si la situation l’exige.  Voilà la lourde tâche que nous avons tous acceptée lorsque nous avons dit oui à Loudas.  Assurons-nous désormais de ne pas laisser une si jeune raison d’exister nous pointer nos défaillances.

"Je vous remercie de m’avoir écoutée.

Mes jambes se mettent à trembler sous la jupe de ma robe dès que j’ai terminé mon élocution.  Je me suis sentie confiante tout au long de mon exposé, sachant que ce que je disais n’était qu’une vérité dérangeante.  Je suis consciente que je venais de faire la leçon à des Immortels qui pouvaient aisément me faire payer cher cet affront.  Après mûres réflexions, ils devraient d’abord oser défier mes Protecteurs : le Roi de Cornouailles, l’Évêque Kovacs et le Scholar Nightingale.   Je vais me rasseoir derrière son Éminence Kovacs.  Il me fait un clin d’œil lorsque que je passe à ses côtés.  Il se lève pour m’applaudir en me louangeant pour cette magnifique remise en question, créant un énorme malaise dans la salle.  Étonnamment, plusieurs Immortels se joignent à lui d’emblée.  Je remarque que le Premier Prêtre Julian Peters est debout derrière son Évêque qui est resté assis.  Son sourire est à croquer.  Je suis à peine surprise d’avoir hâte au lendemain pour me retrouver dans ses bras lors de la danse qu’il m’a promise.