Trahison

2409 Words
Je fixe l’écran de mon portable, abasourdie.  Reprenant mes esprits, je tente de créer un lien télépathique avec Julian.  Je murmure doucement son nom en entrant dans sa tête.  Sa réaction me prend de court.  Il est effrayé.  Pris de panique, il m’éjecte de son esprit.  Surprise, je réessaie aussitôt.  Il me bloque.  Je sens ma bête s’éveiller tellement elle a peur.  Je la persuade de retourner se coucher avec difficulté ce qui signifie que Julian a perdu le contrôle sur la sienne.  J’ai déclenché une perte de contrôle sur la bête de mon amoureux en voulant lui parler.  Je ne comprends plus rien. Je sors de mes appartements quand je vois Jörg arriver au salon commun en même temps que moi.   -          Mina me dit que Julian n’est pas à l’aérogare, m’annonce-t-il.  Elle n’arrive pas à le rejoindre.   -          Son cellulaire est désactivé, lui répliqué-je, alarmée.  Il a perdu contre sa bête.  Il a eu peur de… Moi.    -          Quoi ?  Mais qu’est-ce que tu racontes ?   Je lui explique ce qui vient de se passer, sans rien n’y comprendre, légèrement paniquée.  Jörg ne saisit pas plus que moi ce qui se passe.  Il ordonne à son Initiée de revenir immédiatement à Montréal.  Sa présence ainsi que l’avion, sa nouvelle acquisition, seront plus utiles ici.  Il me demande ensuite si nous nous étions encore chicané Julian et moi.   -          Non, m’exclamé-je, outrée.  Il n’irait pas jusqu’à désactiver sa ligne de téléphone pour ça de toutes façons.  Sa bête le domine Dorken parce qu’il a eu peur.  Peur de moi.  Ce n’est pas la première fois que nous communiquons de cette façon depuis le temps.  Je dois aller le retrouver.  Maintenant.    -          Maintenant ? répète Lydia.  Et manquer la fête de tes 100 ans ?   Elle arrive dans le pièce, élégamment vêtue d’une magnifique robe bleue.  Je soupire.  Je peux difficilement me défiler aux festivités de mon propre anniversaire.  La Professeure Jacobs me demande de sonder l’état de Julian.  Je me concentre sur lui.  Il semble encore sous le choc de ce qu’il vient de vivre.  Il pense qu’il est en train de devenir fou parce qu’il ressent des émotions qui ne lui appartiennent pas, comme si quelqu’un d’autre vivait en lui.  Puis, je sens un élan de passion amoureux me traverser et cet amour ne m’est clairement pas destiné. La jalousie qui m’envahit n’a d’égale que la surprise de voir apparaître le visage de Virginia dans l’esprit de Julian.   -          Je vais lui faire la peau à cette Skugga, hurlé-je en serrant les poings.   Jörg et Lydia tentent de me raisonner, de me ramener au calme, mais je me sens tellement trahie et humiliée que Julian ait pu me remplacer par une minable, affreuse petite Prêtresse de bas étage comme cette stupide Virginia que je suis incontrôlable.  Je n’entends que la voix de ma lignée me murmurer qu’il n’a pas le droit de me mettre de côté de la sorte, que je suis le joyau de Montréal et qu’on ne traite pas une femme telle que moi comme de la pacotille.    -          On va la faire payer Rébecca, me dit Kat.  Et Julian aussi.  Il n’avait pas le droit de te faire du mal.  Tu te souviens ?   Je sursaute presque en la voyant près de moi.  Je réalise alors que j’allais sérieusement perdre pied et suivre la voix de ma lignée.  Heureusement, les membres de ma Coterie me servent d’ancre pour m’éviter de basculer dans l’excès de cruauté dont je pouvais faire preuve si je me laissais aller à mes élans machiavéliques lorsque je suis loin de Julian.  J’ai entièrement confiance en eux, surtout en Kat.  Nous partageons sensiblement le même malaise face à la destruction d’autrui.  Malaise que Lydia et Jörg ne comprennent pas toujours, voir jamais lorsqu’il s’agit d’ennemis.  Malgré nos divergences d’opinions, je sais qu’ils ne feront jamais rien qui pourrait nuire à mon immortalité.  Nous avons signé un serment de notre sang devant le Chancelier Costa à la création de notre Coterie mais cela allait au-delà de cette signature.  Nous nous considérons comme les membres d’une même famille et, pour nous, la famille, c’est sacrée.    -          Ce soir, c’est ta soirée, ta fête, Rébecca, ma sœur, me rappelle Lydia.  Montréal veut célébrer sa Première Prêtresse.    -          Laisse-nous préparer notre expédition à Pittsburgh pendant que tu te laisses gâter par nos concitoyens, me propose Kat.   Je n’ai pas le cœur à la fête.  Tout ce que je veux, c’est comprendre pourquoi Julian ne se souvient plus de moi.  Lui qui me disait hier à quel point il avait hâte de me tenir dans ses bras.  Je soupire bruyamment en songeant que mes sœurs d’ASARA ont raison.  Tout Montréal sera là pour me célébrer au Munitum ce soir.  Mon petit côté « Admirez-moi » en a plus que besoin après cette amère déception de l’avoir vue dans ses pensées.  Mon sang ne fait qu’un tour et je retiens un grognement en la revoyant lui sourire.  Comment a-t-il pu me faire ça aujourd’hui ?  Je serre les poings et promets de faire comme si tout allait bien devant les citoyens de la ville.  En échange, je leur demande de me tenir informer du plan pour la suite.  Ils acquiescent sans hésiter.    -          Quand vous êtes-vous parler pour la dernière fois ? me demande Jörg.   Julian et moi avons discuté pendant quelques minutes au téléphone en début de nuit, hier.  Il était tout excité car il allait enfin recevoir mon cadeau.  Il a refusé de m’en dire plus.  Il a simplement précisé qu’il a trouvé LA perle rare.  Il a ensuite raccroché en me disant qu’il avait vraiment hâte de m’embrasser.  Tout m’a semblé parfaitement normal.    -          Lydia, est-ce que tu parviendrais à faire oublier à Kat qu’elle aime Lucas ? allumé-je tout à coup.   Elle acquiesce en soupirant, visiblement déçue de ne pas y avoir pensé plus tôt.  Elle estime qu’il pouvait être difficile de le faire mais pas impossible.  Dominer mentalement une autre personne, lui faire oublier des pans de sa vie, lui en recréer de nouveaux, le conditionner à réagir de manière qu’il nous obéisse à un moment donné, tout était à la portée de l’Immortel qui prenait le temps de modeler l’esprit de sa victime.   -          C’est un art qui prend du temps, précise notre Molaĩ d’un ton neutre.  Ce n’est pas à la portée de tous.  Il m’apparaît clair qu’une jeune Skugga comme Virginia en serait incapable.  Elle est si contrôlée par son Évêque qu’elle n’aurait jamais pu exercer un tel pouvoir sur Julian.  Même moi, j’ai de la difficulté à vous contrôler tellement votre résistance est forte, surtout la sienne.    Je sens mon cœur se desserrer un peu.  Julian ne m’a pas trahie.  Il est une victime.  Puis je réalise l’ampleur de la situation.  Julian est la victime d’un puissant ennemi. Jörg pose la question à voix haute au moment où je me la suis demandée : à qui était l’ennemi ? À Julian ou à moi ?  S’il s’agit de mon ennemi, est-il au courant de notre lien ? Il est de notoriété publique que Julian et moi nous connaissions.  Nous n’avions pas été discrets avant de nous unir.  Nous n’avions, à cette époque, aucune raison de nous cacher.  Afin de ne pas détruire ce que nous avions déjà entamé, nous avons fait quelques rencontres occasionnelles et publiques dans quelques villes.  Des rencontres chastes comme avant.  Les soirées les plus difficiles des dernières années.  Voir Julian sans pouvoir le toucher est pire que tout.  C’est du moins ce que je croyais à ce moment-là.  Savoir qu’un ennemi l’avait manipulé afin qu’il m’oublie pour en aimer une autre dépasse largement ces soirées.    -          Sans vouloir être alarmiste, cet ennemi sait que Julian et toi étiez intime, m’apprend Lydia.  Il t’a effacée de sa mémoire en le conditionnant à aimer Virginia.  On ne joue pas dans la tête de quelqu’un sans d’abord lire en lui.  Je ne serais pas surprise qu’elle soit mêlée à ça.  Ton instinct ne t’a pas trompée ma chérie.  Elle était bien attirée par ton homme et elle s’est retournée contre vous pour le gagner.  J’en mettrai ma main au soleil sans me brûler.    Je lève les yeux au ciel en soupirant.  La Professeur Jacobs a la capacité de marcher le jour et sous le soleil, à l’occasion, si elle pratique certains rituels des Vinci.  Il est donc facile pour elle de dire ça.  Mais j’ai compris l’essentiel.  Julian a probablement été trahi par sa propre Coterie.  Je ferme les yeux et je me calme.  Trahi par UNE membre de sa Coterie.  Celle que je n’arrive pas à saisir entièrement depuis le début.  Je sens Julian qui panique.  Il en a plus qu’assez d’avoir des pensées qui ne sont pas les siennes, surtout que ces pensées semblent détester sa dulcinée.  Il a l’impression de devenir fou.  Sa bête grogne de plus en plus et il parvient de moins en moins à la maîtriser.  Puis plus rien.  Comme sa bête a subitement trouvé le sommeil et que je suis toujours active, j’en conclus qu’un Immortel a probablement utilisé une commande mentale sur Julian pour l’arrêter.   -          Je crois que l’on vient d’endormir Julian, annoncé-je aux autres membres de la Coterie.  Il paniquait puis plus rien.   -          Comme lorsque nous vous testions, me demande Lydia.   -          Exactement.  Ça confirme que cet Immortel est puissant.  Tu nous le disais toi-même Lydia.  Nous sommes difficile à dominer grâce à notre lien.  Et tu appréhendais que nous le serions encore plus à compter d’aujourd’hui.   -          Sauf si cet Immortel s’est créé un « droit acquis » sur Julian avec l’usage, soupire Lydia.  C’est ce qui arrive lorsque nous forçons souvent le même esprit.  Nous le connaissons si bien qu’il nous est acquis, donc plus facile à percer.  Un peu comme le lien télépathique qui est plus facile à créer entre des Immortels qui sont proches ou ton pouvoir de convocation qui sera plus facile avec nous parce que tu nous connais bien.   -          Tu veux dire que Julian sera toujours fragile devant cet Immortel, m’inquiété-je.   -          Bien sûr que non, me rassure-t-elle.  Nous le tuerons et ça libérera Julian.  Il ne pourra ainsi plus jamais vous faire de mal.   Kat et moi la dévisageons longuement sans un mot.  Lydia pouvait nous glacer le sang par moment.  Elle a si peu de considération pour l’immortalité de ceux qu’elle place dans le camp ennemi que ça fout parfois la trouille.  Comme à chaque fois, je suis soulagée d’être membre de sa Coterie et qu’elle m’appelle sœur.    -          C’est étrange que tu ne t’en sois pas rendue compte ma chérie, soulève Kat.  Lorsque nous avons testé les pouvoirs de Lydia, Julian et toi parveniez toujours à alerter l’autre de rester sur vos gardes.  Elle n’a pas réussi à vous faire faire quoi que ce soit.   -          Ma bête sentait la bête de Lydia s’exciter quand elle tentait de faire quelque chose, la trahissant.  Je crois que c’est plus notre proximité de Coterie que mon lien avec Julian qui nous protège d’elle.  Rappelez-vous que Monseigneur y arrivait sans difficulté.  Si Virginia est derrière tout ça, je ne pouvais rien voir car il se ferme à moi lorsqu’il est avec elle.  Il sait que je ne l’apprécie pas.  Il évitait donc de m’imposer sa présence.  Julian reste un Skugga qui scanne son univers constamment.  Il est très méticuleux et prudent.  Celui qui a réussi à faire ça doit être quelqu’un près de lui.  Quelqu’un en qui Julian a confiance.   Je me surprends à espérer qu’il n’y ait que cette pouffiasse de petite prêtresse qui l’ait trahi au sein de sa Coterie.  Contrairement à nous, ils n’ont pas signé de serment avec leur sang.  J’ai tenté de leur faire comprendre l’importance d’officialiser leur alliance à quelques reprises, leur expliquant le bien-fondé pour eux de se protéger de la sorte.  Ils ont refusé en bloc, prétextant qu’il était dangereux de s’exposer ainsi.  Si les autorités de leurs cités respectives apprenaient qu’ils formaient une Coterie, ils se feraient assurément punir ou pire, utiliser.  J’ai fini par laisser tomber le sujet, un de plus, souhaitant ne pas créer de tensions avec Julian.  J’avais remarqué qu’il me fermait de plus en plus son esprit lorsqu’il retrouvait les membres de sa Coterie et ça m’attristait.  Je regrette amèrement aujourd’hui de ne pas avoir insisté davantage.  Nous n’en serions peut-être pas là.       -          Kat, promets-moi que Lucas restera laid cette nuit.  J’ai vraiment besoin de sentir que je suis la plus belle du Munitum ce soir, rigolé-je en me dirigeant vers la sortie.   -          Juste pour ce commentaire, tu mériterais qu’il te fasse compétition, cruelle Sakyu, maugrée-t-elle en me suivant. 
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