Ceux que la vérité a dérangés

1824 Words
Je veux reculer, paniquée, mais le dossier du sofa m’en empêche.  Viktor tient ma main entre les siennes dans une tentative rassurante.  Je cherche une explication logique à tout ça.  Sans succès.  L’absence de Julian résonne en moi.  Je ne sens que ce terrible point.  J’ai envie de hurler.  Je sens les larmes rouler sur mes joues.    -          Il ne l’a pas…   Je m’étrangle avec l’idée même que l’on puisse le tuer, oubliant que je suis liée à la vie à la mort avec lui.   -          Tu es encore avec nous, ma chérie, me rassure Lydia.   -          Je ne le sens pas, paniqué-je.  Je veux savoir où il est.  J’ai besoin de lui.  J’ai besoin de plus que d’une sensation dans la poitrine.   Lydia semble soulagée de m’entendre dire que je sens toujours ce point en moi.  Elle conclut que sa théorie se vérifie.  Je lui demande bêtement de m’expliquer.  Selon elle, Julian a subi énormément de dommages lors de la flagellation.  Il serait alors tombé en torpeur au moment où le pieu a traversé son cœur.  Fait intéressant, certaines lignées d’Immortels ont la capacité de se regénérer par eux-mêmes avec le passage du temps.   -          Fort heureusement, c’est le cas de la lignée de Julian, m’annonce Lydia.   -          Fort heureusement, répété-je, perplexe.   -          Comment vous sentez-vous ? me demande alors Monseigneur.   Je lui réponds honnêtement que je me sens perdue.  Apprendre que ce que je viens de vivre s’est en réalité produit il y a trois mois est assez perturbant.    -          J’imagine que si je sens toujours cet horrible pieu, c’est que Julian est toujours avec lui.   Lydia évite mon regard.  Viktor lâche ma main.  Le Roi s’approche de moi.  Il plante ses yeux dans les miens et secoue la tête.  Mouvement que je devine plus que je le vois car j’ai baissé la tête, incapable de soutenir son regard plus d’une demi-seconde.   -          Nous ignorons où est Julian.   Le choc de cette révélation me fait perdre tout contact avec la réalité.  Je reviens à moi dans les bras de Monseigneur.  Il me flatte les cheveux doucement, me murmurant qu’il est là.  Je suis à la fois terrifiée d’être aussi près de lui et rassurée qu’il ne me dévore pas, façon de parler.  Je le sais sincère lorsqu’il me promet de retrouver Julian.  Ma perte de contrôle sur ma bête m’a épuisée.  Elle m’a aussi fait prendre conscience que je suis assoiffée.  Des larmes de sang roulent sur mes joues.  Souhaitant éviter de tacher les habits du Roi, je tente de m’éloigner de lui.  Il me maintient fermement contre son torse.  Je suis en quelque sorte prisonnière d’une statut de marbre.   -          J’arrive au mauvais moment, sourit l’Honorable Nightingale en entrant dans le bureau.   Son arrivée semble redonner vie à Monseigneur qui relâche son étreinte.  Je remarque avec horreur que ses vêtements sont dans un piètre état.  J’ai l’impression qu’il m’a laissé exprimer ma rage sur un sale temps avant de m’arrêter.  Ce que me confirme Lydia d’un hochement de tête.   -          Le Colonel Dorken et la Coterie des Chardons Ardents sont de retour.  Ils l’ont retrouvé, nous annonce le Scholar de sa voix de baryton.   Je ferme les yeux, soulagée.  Je vais enfin retrouver l’homme que j’aime.  Le Roi m’ayant déposée sur le sofa après l’arrivée de l’Honorable Nightingale, je veux me lever mais mes jambes refusent de m’obéir.  Je retombe lourdement sur le coussin, épuisée.  Lydia me tend une coupe de sang.   -          Je suis d’ailleurs étonnée que tu ne sois pas en torpeur après tout ça.  Votre lien est vraiment fascinant.   -          Si Jörg a retrouvé Julian, pourquoi est-ce que je sens encore ce point dans ma poitrine ? lui demandé-je.   -          Nous devons l’observer avant.  Trois mois, c’est long.  Nous ignorons ce qu’ils lui ont fait.   -          Ont fait ? Il n’était pas seul.   Elle regarde vers nos Anciens qui discutent à voix basses à l’autre bout de la pièce.  Voyant qu’ils ne portent pas trop attention à nous, elle me résume les derniers mois.  Ils ont appris, grâce à la Mère de Julian, que le Roi déchu de Philadelphie avait trouvé refuge à New York.  De fil en aiguille, grâce à Farouk qui a repris contact avec un Prêtre Progressiste new-yorkais que nous avions aidé dans le passé, ils ont découvert que Virginia passait beaucoup de temps avec l’ancien Roi.  Je rage à l’idée qu’elle puisse avoir été une cible si facile pour assouvir la vengeance d’un être aussi abominable.  Je regrette tellement d’avoir laissé Julian la fréquenter alors que mon instinct me dictait qu’elle en était indigne.  Puis, je réalise que je suis indirectement responsable du succès des plans machiavéliques de Charles Townsend puisque mes paroles avaient convaincu les Purifiés de sa cité à le destituer, se mettant ainsi à dos plusieurs Congrégations du Diocèse.   Je culpabilise, comprenant que j’avais donné des alliés puissants à cet Immortel en dérangeant les dirigeants de ma Congrégation lors du Séminaire.  Les Évêques de Pittsburgh, New York et Washington s’étaient ralliés à ce monstre pour l’aider à manipuler Julian et obtenir ainsi l’avantage sur nous, selon les informations recueillies.  J’étais sidérée.  Son propre Évêque l’avait trahi, l’utilisant comme un vulgaire pion pour aider un tyran.  Sans oublier que Washington était la ville de son frère de Coterie, le Prêtre Francisco.  Faisait-il lui aussi parti du complot ou l’Évêque de cette cité a-t-il simplement bénéficié des visites de Julian à son allié pour le manipuler aisément ?  Je m’en veux encore plus de ne pas avoir insisté pour qu’ils signent tous le serment de sang.  Tout ceci n’arriverait pas si j’avais été plus vigilante.   -          Nous avons mis à peine une semaine pour faire un topo réaliste de la situation, m’explique Lydia.  Déjà, la nuit de ton anniversaire, Julian n’était plus à Pittsburgh.  Ou s’il y était, il n’était pas dans ses appartements, ni au Presbytère.  Dès que le Roi a eu confirmation du nom de nos ennemis, il a mis une chasse de sang sur leur tête avec mention spécifique de les ramener en torpeur.  Nous devons absolument les interroger pour savoir ce qu’ils ont fait à Julian.    -          Mais pourquoi s’en prendre à lui ?  Comment ont-ils su ?   -          Virginia vous a trahi, comme tu l’avais dit.  Elle s’est fait promettre de l’avancement et une vie à ses côtés.  L’EX lui a dit qu’elle aurait Julian et que tu la regarderais être heureuse alors que tu souffrirais pour l’éternité.   -          Je vais lui faire la peau, cette s****e, craché-je, irritée qu’elle ait pu croire que j’aurais laissé faire ça sans broncher.   -          Trop tard.  Jörg s’est payé la traite avec Kiara.  Ils n’en ont même pas laissé à Ethan qui a râlé pendant des nuits.  Elle repose dans une urne sur le mur du Munitum.  Juste à côté de celles de la Raseri qui a explosé la grande salle et le Protecteur qui a attaqué Lucas.  Nous avons déjà les urnes pour l’EX et les trois Évêques.   Son ton détaché me fait frissonner.  Je sais que j’ai en ce moment des pulsions destructrices envers ces ennemis.  Je suis également consciente que leurs destructions finiront, tôt ou tard, par me peser sur la conscience malgré tout le mal qu’ils me font.  Je n’arriverai jamais à considérer la mort, même celle de mes ennemis comme un sujet aussi anodin que la météo.  Lydia me tend une nouvelle coupe de sang et prend la vide dans ma main.  Elle poursuit en me disant que Jörg, Ethan et les autres ont poursuivi les ennemis de la ville jusqu’à aujourd’hui.    -          Dorken et les Chardons Ardents sont sur la piste de Julian depuis des semaines.  Ils nous donnent peu de détails pour éviter que ceux qui déplacent le corps interceptent les communications.  Ces Initiés sont malins.  Marcher de jour est un net avantage.  Le continent est vachement grand.  Disons que, par moment, c’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin.   Des Initiés ont déplacé le corps de Julian pendant des semaines à travers le continent.  Mais ils auraient pu le tuer, le perdre, l’oublier quelque part, avoir un accident en plein jour et… je préfère ne pas y penser.  Comme si elle lisait dans mes pensées, Lydia me prend la main et soupire avec moi.   -          Je sais, ma chérie.  C’est pourquoi Monseigneur t’a veillée tout ce temps, murmure-t-elle.  Il n’a presque pas quitté son bureau depuis les trois derniers mois.  Seuls Viktor, le Scholar et moi pouvions venir te voir chaque jour.  Nous ne savions jamais ce qui allait arriver d’une nuit à l’autre.  Ta moitié était en cavale, aussi inconscient que toi.    -          Où est Cassie ? Et Myriam ?  Elle avait senti mon absence lors de la torpeur de Julian à la bataille royale. Comment va-t-elle ?   -          Kitamura, mon apprenti, prend soin de Myriam.  Coupée de tout contact avec toi, elle a dépéri rapidement.  Un peu comme lorsqu’elle est devenue l’Initiée de l’Immortel de Québec, mais ça frôlait la démence cette fois.  Son psyché est définitivement connecté au tien.  Vous êtes liées mystiquement et il pourrait sérieusement vous arriver malheur si l’une d’entre vous venait à mourir.  Nous l’avons donc mise dans un coma artificiel pour la sécurité de son esprit.  Quant à Cassie…   Lydia se tait.  Pour la première fois depuis que je la connais, je la vois hésiter.  J’ai l’impression qu’elle cherche une paire de gants blancs avant de m’annoncer la suite.  Elle se ravise subitement comme si elle se rappelle finalement qui elle est.   -          Cassie a disparu quelques nuits après ton anniversaire.  Nous sommes sans nouvelle depuis, m’avoue-t-elle, sans toutefois oser me regarder.  
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