XIIls marchaient tous deux au bord de l’Océan. Leurs pieds laissaient à peine une empreinte sur le sable argenté ; et pendant qu’ils conversaient, le flot curieux parti de la haute mer se brisait à leurs pieds en les couvrant de coquillages, et semblait dire : « Prenez-moi pour témoin. »
« Qui donc es-tu ? disait Merlin. Quand nous marchons dans les prés, tes regards sont plus doux que le muguet et la jonquille entr’ouverte à la rosée ? Maintenant ton regard est plus profond que l’Océan.
— T’ai-je demandé qui tu es ? répondait Viviane en frissonnant. Ô Merlin, que tu me feras souffrir ! Il ne te suffit donc pas de savoir que je t’aime ? tes pensées à toi ne sont donc pas toutes renfermées comme les miennes dans le moment où nous sommes ? Pour moi, ce moment est l’éternité ! Ah ! si tu savais aimer ! »
Puis elle ajouta : « Qui je suis ! Je l’avais oublié. Pourquoi me le rappeler ? Demande-le, si tu le veux, aux roseaux et aux aigles. Ils le savent peut-être ! Moi, je ne le dirai pas. »
Deux larmes coulèrent de ses paupières ; au même moment, la dernière étoile qui brillait dans le ciel s’éteignit subitement, comme une torche qu’on renverse ; les fleurs se penchèrent et se flétrirent. On entendit dans la forêt un long gémissement qui roula sur les flots.
Combien Merlin se repentit de ce qu’il avait dit ! Il s’accusait intérieurement d’avoir affligé par une question indiscrète celle pour laquelle il aurait voulu mourir. Sans doute c’était une fille de reine qui oubliait pour lui son trône. Fallait-il l’en faire souvenir ? Peut-être leurs conditions les séparaient-ils à jamais ? Peut-être était-elle fiancée à quelque roi, à quelque chevalier de la cour d’Arthus ? Que pouvait être l’anneau vermeil qu’elle portait à son doigt, sinon l’anneau des fiançailles ? Toutes ces idées, mille autres plus cruelles, traversèrent en un moment le cœur et l’esprit de Merlin, qui se prit à pleurer silencieusement comme elle.
À peine elle aperçut ces larmes, elle en conçut une folle joie, non de méchanceté, mais de délices. Et, passant à une autre extrémité, elle montra à Merlin qu’elle était la personne du monde la plus folâtre, la plus rieuse que l’on eût vue jamais. Tout se prit sur-le-champ à sourire avec elle.
« Tu commandes donc à l’univers ? lui dit Merlin.
— Assurément ! Comment s’en étonner ? J’aime. Avec ce mot, tout est facile.
— Mais moi aussi j’aime ! répliqua Merlin en pâlissant. J’aime, et pas un brin d’herbe ne m’obéit !
— Tu te trompes. Depuis que nous avons pleuré ensemble, tu as le même pouvoir que moi. Essaye seulement. Voici mon anneau. Que voudrais-tu ?
— Que ton nom soit écrit à la voûte des cieux ! dit Merlin en prenant l’anneau vermeil.
— Eh bien, regarde ! »
À ces mots, les cieux s’ouvrent comme un livre ; on y voit écrit en lettres d’or par sept étoiles : Viviane.
Ainsi Merlin, en se sentant aimé et en aimant devint Enchanteur. Depuis ce moment tout ce que ses yeux rencontraient se trouvait ensorcelé. La rosée, sous ses pas, se changeait en diamants ; il n’avait besoin que de toucher une chose pour qu’elle devint immortelle. De chaque objet, comme d’une lyre, sortait un hymne sacré qui l’enivrait. Dès que Merlin et Viviane paraissaient dans les bois, aussitôt, dans une cadence merveilleuse arrivaient des dames, des damoiselles, des héros vêtus de pourpre, qui les accompagnaient en se tenant par la main. Les uns dansaient, les autres chantaient, et leurs voix étaient si douces, qu’on croyait entendre les anges. Le refrain était :
Tout est divin !
L’amour commence !
Puis vient la fin :
Douleur immense !
À leurs pieds naissaient des fleurs, qui s’épanouissaient au souille de la mélodie ; elles avaient autant de feuilles diaprées autour de leurs calices qu’il y avait de vers dans le refrain de la chanson. Des bocages de clématites s’étendaient sur la tête de Merlin dans les endroits où il n’y avait auparavant que la roche nue et brute. Les parents de Viviane et les peuples les plus voisins s’étonnèrent de rencontrer cette compagnie, d’entendre cette musique des choses. Ils racontèrent, en l’exagérant, ce qu’ils avaient vu, aux cantons les plus éloignés.
De bouche en bouche, de royaume en royaume, le bruit se répandit bientôt sur toute la terre qu’il venait de paraître au monde un grand Enchanteur.