IVQuelques années sont passées, cinq ou six, tout au plus. Le héros de cette histoire est né. Il est né ; et il n’y eut pour lui ni pleurs, ni cris, ni sanglots, ni allaitement, ni sevrage. Sa mère n’osait pas même lui présenter le sein en secret. Elle l’appela Merlin.
Le lendemain du jour où il vint au monde, elle le tenait tristement dans ses bras et pleurait.
« Ne pleurez pas, ma mère ! » lui dit le nouveau-né d’une voix d’homme, en ouvrant la paupière.
Effrayée et ravie du prodige, sa mère le laisse tomber à ses pieds. Il se relève sain et sauf, en souriant, et sort du maillot.
« Mère, je vous consolerai.
— Tu es ma honte.
— Je serai votre gloire.
— Tu m’épouvantes, mon enfant ! »
Sur cela, échappé de ses langes, il se mit à marcher devant elle à grands pas, un livre ouvert dans sa main. Il y tenait les yeux attachés, tout pensif.
« Qui t’a appris à lire, Merlin ?
— Je le savais avant de naître.
— Pourquoi, cher enfant, clouer sitôt tes yeux sur ce grimoire ? attends, mon fils, que tu sois devenu un homme.
— Devenir un homme, chère mère, comme ils sont tous ? Cela en vaut-il la peine ? Ma vie à venir, je vous l’assure, étonnera plus que ma naissance. »
Tel fut le premier avertissement que la mère de mon héros reçut des destinées de son fils. Toutefois, sage et prudente, elle craignait de s’abuser. Combien de fois les éclairs prématurés de l’intelligence ont été suivis d’imbéciles ténèbres ! Combien n’a-t-on pas vu de ces prodiges au berceau devenir des nullités le reste de leur vie ! J’en ai connu moi-même plusieurs, que je pourrais citer sans trop d’embarras.
Là était le danger pour Merlin, si sa mère s’en faisait trop accroire. Il y avait des instants (nous venons de le voir) où il donnait de lui-même l’idée d’un dieu-enfant.
Rien n’est plus vrai. Mais que fallait-il pour faire naître une idée tout opposée ? Un jeu de dés, de palets, un cerf-volant, un tambourin, un grelot, et la merveille des cieux n’était plus qu’un chétif homoncule.
Aider la nature dans un sens, la combattre dans l’autre, grande affaire pour une jeune femme telle que Séraphine, presque toujours seule, sans conseil, et qui osait à peine porter le nom de mère.