VUn jour il jouait aux osselets dans la salle basse, quand sa mère, regardant fixement le cavalier au casque d’or, lui dit : « Conseillez-moi, seigneur. Cet enfant, je vous le jure, est né sans père. C’est un prodige, c’est le fils d’un songe. Dût son éducation me coûter la vie éternelle, je n’y veux rien épargner. Quel plan suivrai-je ? quelle direction ?
— Vous avez raison, dit le cavalier en ramenant sur son visage son manteau rouge. Parlons-en tout à loisir. »
Pendant ce dialogue, Merlin, faisant semblant de jouer, les écoutait.
« Premièrement, reprenait la mère, je sacrifierai tout ce que je possède pour l’initier au christianisme. Déjà je l’ai voué à la vierge Marie. Voilà pourquoi il porte une robe bleue.
— Cela est bien, Séraphine. Si vous m’en croyez, cependant, vous ne négligerez pas de le faire instruire dans le paganisme. Ses dieux, croyez-moi, ne sont pas si morts qu’on le prétend ; ils sauront un gré infini à ceux qui ne les auront pas reniés dans la mauvaise fortune.
— Pourtant, répliquait timidement la mère, Merlin pourrait être le premier des moines.
— Il vaut cent fois mieux qu’il soit le dernier des druides.
— Mais, véritablement, que peut-on mettre au-dessus du ciel des chrétiens ?
— Beaucoup de choses. Moi, par exemple, je préfère, sans contredit, l’élysée des païens.
— Ne faut-il donc pas diriger Merlin vers les choses de l’esprit ?
— Croyez-moi, ne l’exaltez pas de si bonne heure ; il ne faut pas non plus trop méconnaître la matière.
— Ah ! seigneur, si tous mes vœux étaient comblés, il trouverait le bonheur dans la vie contemplative.
— Que dites-vous ! C’est la vie active qui lui convient ; les affaires, la guerre, fondement de toute noblesse, voilà au moins un but à l’existence.
— Ô céleste ignorance ! puisses-tu l’accompagner jusqu’à son dernier jour !
— J’espère bien, au contraire, qu’il mordra au fruit de la science. »
Pendant ce dialogue, Merlin écoutait avec angoisse, partagé entre deux forces qui l’attiraient aux deux extrémités opposées du monde. Sa mère le couvait d’un regard de bienheureuse. L’étranger le fascinait d’un regard de serpent. Mais nul ne sera jamais plus étonné que l’un et l’autre, quand l’enfant, interrogé sur ce qu’il voulait devenir, répondit d’une voix forte comme d’un géant, et en frappant la terre du pied : « Moi, je veux être un enchanteur ! »