I

956 Words
ISitôt que la renommée de Merlin fut établie, il y eut autour de lui un concours immense d’hommes qui venaient lui demander d’enchanter leurs voies. Les premiers qui se présentèrent au seuil de sa porte dès l’aube du jour furent les rois, les ducs, les comtes et les barons. Parmi eux on distinguait au premier rang le roi Arthus, son allié, Hoël d’Armorique, Ossian dans un nuage, Marc de Cornouailles, la reine Genièvre, Yseult la blonde, le roi Lear, suivi d’une cour innombrable, Pharamond le chevelu, qui traînait après lui tout un peuple de fer. Le roi Arthus parla pour eux tous. Il dit en s’inclinant : « Merlin, le plus sage des hommes, si pourtant vous n’êtes pas un dieu, c’est de vous que nous voulons tenir nos sceptres et nos couronnes. Veuillez les enchanter, afin que les peuples nous soient soumis. Car si la force seule s’en mêle, ils sont toujours prêts à se révolter. Mais quand un charme est attaché au joug, ils le portent avec joie ; tout est facile pour eux et pour nous. » Merlin, qui ne s’était jamais vu dans une assemblée aussi solennelle, se troubla d’abord ; il parut très-ému. Bientôt il se maîtrisa. Il reçut d’Arthus les trente couronnes ; après les avoir touchées et y avoir mêlé ses enchantements, il les rendit aux rois, non pas cependant sans y joindre de sages conseils. Il voulut attacher de ses mains, par des liens de diamant, le bandeau au front de plusieurs, et les oindre de rosée ; ce qu’il fit en particulier pour le grand Arthus, pour Pharamond, et pour le roi des Aulnes, parce qu’ils étaient des chefs de race. « Vous le voyez, dit-il, j’aime ; c’est pour cela que j’ai reçu mon pouvoir magique. Si je n’aimais pas, malgré ma science puisée auprès de Taliesin, je ne pourrais rien de plus que les autres. Je vous ai dit mon secret ; c’est à vous de m’imiter. Que vos peuples soient pour vous ce que Viviane est pour moi. — C’est ainsi que nous ferons, dit Arthus. — Vous le promettez ? — Nous le jurons. » Tous ceux qui entouraient le roi Arthus se mirent à répéter après lui, la main haute : « Nous le jurons ! » Pour confirmer le serment des seigneurs, la troupe des chevaliers salua de l’épée. « Donnez-moi aussi vos glaives, que je vois altérés de c*****e, dit alors l’Enchanteur ; je les rassasierai. » Ayant pris dans ses mains les épées, il les baptisa l’une après l’autre ; à la mieux trempée il donna le nom de Durandale. « Je vous les rends, ajouta-t-il, mieux affilées, afin que vous tranchiez le nœud de la justice. Mais si vous les faites servir à un autre usage, elles se tourneront d’elles mêmes contre votre propre cœur. Si seulement vous méditez d’avance la violence, le sang qui n’est pas encore versé tachera la lame jusqu’à la poignée ; il criera contre vous jusqu’à ce que la terre s’éveille. » Un seul glaive était resté dans ses mains ; c’était celui de Pharamond le chevelu. L’Enchanteur en regarda longtemps le fil bleuâtre, après quoi il s’écria, comme si la parole manquait à sa pensée : « Ô France, vois au moins ce que je fais pour toi ! Combien de fois, race moqueuse, oublieuse, tu me navreras de cette épée que j’ai forgée moi-même ! Elle croîtra d’âge en âge, toujours plus acérée, si bien que la pointe atteindra les colonnes d’Hercule ; et déjà j’en sens la blessure profonde au cœur. Pourquoi, France, me navres-tu de ce glaive que moi-même j’ai aiguisé ? Tes enfants seront éblouis des étincelles de fer et d’acier qui en jaillissent ; ils s’enivreront de cette rosée de fer ; ils en oublieront l’innocente lumière du jour. » Alors une voix qui semblait sortir d’un brouillard épais lui cria : « Quelle sera mon épée ? ma couronne ? M’en irai-je d’ici les mains vides ? — Qui es-tu, toi que j’ai peine à discerner, tant le manteau qui t’enveloppe est chargé de frimas ? demanda Merlin. — Les filles des nues m’appellent Ossian, » répondit celui qui habitait une brume éternelle ; et il laissa retomber sa barbe de neige sur la harpe invisible ; elle rendit un son comme le souffle d’un homme qui expire. « Ossian, roi des brumes, qu’as-tu besoin d’épée ? repartit Merlin. « Tu régneras comme moi, non par le glaive, mais par la harpe. De tous les royaumes, c’est le seul que le fer ne peut ébranler. Chaque accord élèvera autour de toi des colonnes de diamants, et tu feras ton séjour dans la verte grotte d’émeraude, où j’irai moi-même te porter des présents. » À ces mots, le vieillard apaisé se tut, ses larmes se confondirent sur ses joues avec la rosée argentée du soir. Comme ils allaient se retirer, un seigneur des îles, chef de clan, de haute taille, sortit à grands pas de la foule qui l’entourait : « Voyez, Merlin, ma couronne de lord n’est pas solide sur mon front. Je la sens qui chancelle. Rattachez vous-même mon bandeau, ou je me sens périr ! » Merlin répondit : « C’est ta faute, ô Macbeth. Pourquoi prêtes-tu déjà l’oreille à celle qui te parle bas avec une joie homicide ? Regarde ton épée. La voilà qui sue le sang. Macbeth ! tu as déjà médité le meurtre ! » Se voyant dévoilé jusque dans le fond de l’avenir, Macbeth garda le silence, et il alla s’égarer dans les bruyères. Mais tous les yeux restèrent attachés sur son glaive qui dégouttait d’une rosée vermeille. Plusieurs furent trahis au même moment par un signe semblable.
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