Chapitre 2

1716 Words
Chapitre 2Drew Depuis plusieurs semaines, Clay m’initie au métier de styliste. Tout fraîchement diplômé de mon école, j’ai eu cette chance incroyable d’avoir été choisi par ce maître pour évoluer encore et encore dans mon art, jusqu’à ce qu’il me laisse la maison. Je ne suis pas pressé qu’il me lâche, au contraire, sa présence me rassure, et je pense avoir besoin de lui, encore très longtemps. Je le considère comme un second père, malgré le fait que j’ai eu des parents en or. On ne peut qu’aimer Clay. C’est un homme droit et intègre, pour qui le stylisme est une manière de vivre et non un métier. Il est parfois dur, mais toujours juste dans ses décisions, et ne fait jamais rien sans avoir une bonne raison. Cela fait pas mal de temps qu’il me parle de son épouse et de sa fille, qu’il tient absolument à ce que je les rencontre et « fasse partie intégrante de la famille ». C’est alors avec une profonde angoisse que je quitte ce soir mon appartement, les clefs dans la serrure, fermant la porte à double tour. Je sens que quelque chose ne va pas se dérouler comme il faudrait, et c’est avec cette appréhension que je fais tout le trajet. Je me dis depuis le début que pour sa fille cela ne doit pas être évident de partager son père, de laisser quelqu’un d’autre reprendre l’entreprise familiale. Je me présente donc au perron, et toque deux coups pour signaler mon arrivée. Après quelques secondes, la poignée s’abaisse et c’est une jeune fille que je découvre quand la porte s’ouvre. Le cœur battant, je n’arrive qu’à la fixer, la dévorer des yeux, saisi par sa beauté à couper le souffle. Tout est grâce en elle, je ne sais pas si c’est l’âge qui fait ça, mais elle est tout simplement sublime. Je la dévisage sans retenue, happé par ce visage si pur. Ses yeux verts ornés de noir dans un maquillage tout discret lui donnent un regard de biche, sa bouche en forme de cœur, rose et brillante comme la rosée du matin, me donne l’envie de la goûter. Quel homme je suis pour réagir de cette manière en l’espace de trois minutes ? Je pense immédiatement à Clay qui a confiance en moi, et que s’il savait à quoi je songe en voyant sa fille, il me tuerait sur le champ. Je tente de prendre une contenance, mais au lieu de ça, je fais le con en la taquinant, et elle démarre au quart de tour. Je regrette immédiatement de me l’être mise à dos, pourtant je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire à son sens de la répartie. Ce petit bout de femme vient de me dérouter en trente secondes, alors peut-être est-ce mieux comme ça d’avoir jeté un froid entre nous dès le départ. Cette attraction soudaine et brutale échappe à mon contrôle. Après avoir été invité à entrer, je dépose les armes et me concentre sur ses parents, notamment Clay avec qui je parle boulot. Janice reste en retrait, et semble simplement soulagée de voir à quel point son mari est heureux de partager sa passion avec moi. Je lui souris en retour, alors que dans de petites interventions avenantes, elle me propose des petits fours. La seule à ne pas avoir intégré la sphère chaleureuse de la soirée, c’est Soni. Je ne peux me retenir et jette quelques coups d’œil en sa direction de temps en temps, c’est un besoin incontrôlable. Elle n’a pas dit un mot depuis que nous sommes installés, et je ne sais plus où me mettre non plus. Ses bras nus, ses mains jointes tenant son visage, comme toute jeune femme se tiendrait face à un vieux con comme moi. Je peux même deviner les grains de sa peau frissonner sous les courants d’air frais de la soirée. Je la sens pensive, ailleurs, alors que son regard a à nouveau décroché du mien pour fixer les toasts disposés soigneusement sur la table basse. J’aime sa candeur et sa nonchalance. Ses cheveux longs ondulés retombent jusqu’au creux de ses reins, épousant ses formes avec légèreté. Elle est tout simplement magnifique, et a ce « je-ne-sais-quoi » bien à elle qui fait qu’on ne peut qu’être subjugué et attiré par son côté mystérieux. Alors que tout se passe sans encombre, une incontrôlable envie de la provoquer me prend, et à mon tour, je l’agresse en lui balançant un pic en pleine face. Ce n’est pas méchant en soi, mais cela suffit à la faire réagir. Qu’est-ce qu’il me prend ? J’ai passé l’âge des enfantillages ! Je regrette aussitôt ma remarque, surtout lorsque je la vois se lever et partir. Pourtant, une partie de moi aime voir son impétuosité, sans que je comprenne pourquoi. La fin de soirée s’annonce alors qu’il est déjà tard et je sens déjà le vide qu’elle va provoquer par son absence. Je la regarde s’éloigner d’un pas souple et chaloupé, elle a un déhanché à faire craquer n’importe quel homme. Je dois me ressaisir et fissa ! J’ai quasiment le double de son âge, je ne peux pas fantasmer, ni désirer cette toute jeune femme, qui répond au doux prénom de Soni, c’est impossible. Rien qu’en pensant à Clay et à mon statut professionnel vis-à-vis de lui, rien que l’âge nous sépare, tout fait barrage à cette attirance que j’ai pour elle. Après une poignée de main, je les quitte, et monte dans ma voiture. Une douce chaleur empourpre mes joues à la pensée de cette soirée plus que mouvementée. Le feu m’envahit, étrange paradoxe, un mélange de sentiments contradictoires me secoue le ventre et l’esprit. Je démarre et ouvre la vitre, pour que l’air frais qui s’engouffre dans l’habitacle me rafraîchisse le corps et les idées. Je roule assez vite pour profiter du flot continu de la brise nocturne quand, jetant un coup d’œil dans mon rétroviseur, j’aperçois les gyrophares d’une voiture de police. La sirène retentit dans la ville, dans la nuit noire et silencieuse de ce jeudi. Je soupire en actionnant mon clignotant et me gare sur le bas-côté. Je commence à saisir mes papiers, lorsque l’agent arrive à ma hauteur et se penche dans l’encadrement de ma vitre. — Drew ? me demande l’agent, un peu surpris. — Oh salut Seb, comment vas-tu ? Je reconnais alors l’agent et le salue comme on salue un vieil ami, malgré la situation gênante et risible dans laquelle je me trouve. — Bien et toi ? — Apparemment mal barré, dis-je en rigolant, je roulais trop vite, c’est ça ? — Un peu, mon pote, tu es pressé ? — Non, non pas vraiment, mais c’est bien connu, les belles femmes nous font perdre la tête… — Je vois, bon allez, ça passe, mais fais attention quand même, et va prendre une douche froide, ça te fera pas de mal, me dit-il clément. Il tapote sur le toit de la voiture avant de faire demi-tour, et je redémarre en riant tout seul, accroché à mon volant. Heureusement pour moi, je le connaissais, sinon ma journée aurait encore bien plus mal fini qu’elle n’avait commencé, et je n’ai vraiment pas besoin de ça en ce moment. Arrivé chez moi, je me débarrasse de ma veste et de mes affaires, les jetant négligemment dans le canapé, mais j’ai besoin de plus pour m’aérer la tête, l’air frais n’a pas été suffisant. Je me verse un verre de whisky et me plante devant ma baie vitrée surplombant une partie de la ville de Bordeaux. Les lumières des immeubles encore pleins de vie, les lampadaires qui éclairent les marcheurs nocturnes, et plus loin, les maisons en périphérie que l’on distingue vaguement. Tout en faisant tourner le liquide ambré dans son récipient, je laisse mon regard se perdre dans ce paysage qui m’est si familier. Né ici, je pense y mourir aussi. Je n’ai de ma vie encore, vu et connu de plus belle ville que celle-ci. Je pense alors à elle, son image s’impose d’elle-même dans mon esprit, elle qui vit à quelques minutes de moi, dans un environnement différent du mien. J’habite dans un duplex moderne, où tout est « bling bling », quant à elle c’est plutôt le genre « campagne, rustique ». Une chose de plus qui semble nous opposer, sur une liste déjà bien trop longue à mon goût. Je dénoue ma cravate que je jette sur le divan avec le reste, détache mon veston, ma chemise, et le reste de ce que je porte encore, puis me glisse sous la douche. Je règle l’eau sur froid, et le contraste avec mon corps bouillant est saisissant. J’en frissonne un instant et me penche tête en avant, la main appuyée sur le carrelage en face de moi. Seb a raison je dois me reprendre. Je ne peux pas laisser une adolescente pas encore majeure avoir cet effet sur moi. Je dois penser avec mon cerveau avant de laisser parler mes hormones. Je ne suis plus un ado dirigé uniquement par ce qu’il a entre les jambes, je dois faire preuve de self-control. Pourtant, une fois séché et rhabillé, je fonce sur mon Mac pour voir si elle a un profil f******k. Bingo ! Je tombe rapidement sur son profil et fais défiler les photos. Elle est là face à moi, en photo, magnifique, presque tout autant qu’en réalité. Piqué par la curiosité, je commence à lire ses statuts, ses échanges et apprends à la connaître à travers cet écran virtuel. PATHÉTIQUE ! Pris de colère contre moi-même, j’éteins tout, et me glisse sous la couette, rageur. J’agis comme un pervers, un pédophile. Je ne dois plus penser à elle de cette manière, je suis un monstre ou quoi ? Une bonne nuit de sommeil ne me fera que du bien… Au réveil, je ne me sens pas comme à mon habitude, quelque chose ne tourne pas rond, mais quoi, je ne sais pas. J’ai eu une nuit plutôt agitée. Je me souviens avoir tourné un moment dans mon lit avant de rejoindre enfin les bras de Morphée. Je me verse un café, allume la radio dans un geste matinal pour me tenir au courant des informations, et soudain, la soirée d’hier me revient en mémoire. Soni ! Je regarde ma montre, et une boule me noue l’estomac. Je vais devoir retrouver Clay d’ici une heure, je vais devoir faire face à mon trouble d’hier, et faire comme si de rien n’était. Rien que de penser à elle, mes sens sont de nouveau en alerte, au souvenir de son visage si délicat, son parfum dont les légers effluves sont parvenus jusqu’à mes narines, ses gestes gracieux, mais aussi son air farouche et rebelle. Je soupire, la partie n’est pas gagnée d’avance, et j’ai intérêt à être prudent si je ne veux pas que Clay me soupçonne d’avoir des pensées immorales sur sa fille. Je secoue la tête et entreprends de me préparer. M’occuper m’évitera de faire une fixette sur tout ça, et revêtir le masque professionnel me rassure, il me permet de mettre un peu de distance avec tout ça.
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