Chapitre 1

1440 Words
CHAPITRE 1 Six ans plus tôt : — Salut, Addie ! Tu vas à la fête ce week-end ? demanda Pam en arrivant derrière Addie dans le couloir de la Centennial High School à Portland, Oregon. Addie Banks repoussa ses cheveux blonds avec un soupir las. Elle ne s’était pas sentie bien de la journée, mais n’avait pas voulu rater le grand contrôle de chimie pour lequel elle avait révisé comme une folle pendant deux jours. Un frisson secoua sa fine silhouette tandis qu’elle souriait à Pam. — Je l’espère, répondit-elle, refermant son sac à dos et le hissant sur son épaule. Je ne me sens pas très bien. Je rentre tout de suite après les cours aujourd’hui. Ted a dit qu’il me ramènerait à la maison. Pam fronça le nez. Ted était le meilleur ami d’Addie, même s’il ne faisait pas partie des gars « cool » avec qui il était bien de traîner. Honnêtement, elle se demandait ce qu’Addie voyait chez lui, si ce n’était qu’il était son voisin depuis la maternelle. C’était un vrai ringard et depuis ses treize ans, son visage donnait l’impression d’être passé dans un hachoir. — Je sais pas pourquoi tu traînes avec Ted, marmonna Pam, pivotant pour reluquer d’un air appréciateur deux garçons qui passaient par là. C’est un pauvre type. Ça va pourrir ton image si on te voit dans sa voiture, tu le sais, hein ? Si elle n’avait pas eu autant mal à la tête, Addie aurait levé les yeux au ciel en réaction à l’attitude égocentrique de Pam. Mais elle se contenta de se tourner vers les portes qui menaient au parking. Elle était simplement soulagée que la journée soit finie et de pouvoir rentrer chez elle. — Ted est vraiment gentil. Son visage n’est pas si terrible. Il a un petit problème d’acné, mais ça s’arrange. — Il a des bagues ! rétorqua Pam alors que Ted les rejoignait. — Ce qui veut dire qu’il aura des dents bien droites quand il les enlèvera, répondit Addie avec exaspération. — Salut, Ted, grommela Pam en lui adressant un sourire forcé. — Salut, Pam, sourit-il en tendant la main vers le sac de son amie. Je vais le porter, Addie. Il a l’air lourd. Celle-ci respira plus facilement lorsqu’elle sentit le poids disparaître. — Merci, Ted. À plus tard, Pam. — D’ac. Appelle-moi plus tard. — Promis. Addie grimaça et frissonna. — Merci de me ramener, Ted. — Pas de problème, Addie, répondit ce dernier en examinant le visage rouge de son amie. Ça va ? — Je ne me sens pas très bien, admit-elle. Addie fit un signe de la main à Ted, qui repartait dans l’allée. Elle lui avait dit qu’il pouvait simplement se garer chez lui, à deux maisons de la sienne, à quoi il lui avait répondu que ce n’était pas grand-chose, d’autant plus qu’elle ne se sentait pas bien. Elle n’avait pas voulu lui dire que c’était un euphémisme ; elle était gelée et avait mal partout. Addie poussa la porte d’entrée et laissa tomber son sac à dos par terre. Elle se toucha la tête, laissant échapper un petit gémissement ; son front était brûlant. — Maman ? appela-t-elle, s’agrippant au dossier du canapé alors qu’elle vacillait. Maman ? — Je suis dans la cuisine. Tu es rentrée tôt. — Je… Maman, je ne me sens pas très bien, s’étrangla-t-elle, une nouvelle vague d’une douleur atroce lui vrillant la tête. — Quoi ? demanda Helen Banks en entrant dans le salon. Addie ! Addie entendit le cri de sa mère, mais comme s’il provenait du bout d’un long tunnel. La douleur dans sa tête explosa, et elle se sentit tomber. Elle paniqua quand ses muscles se mirent soudain à se contracter tous seuls. Son appel à l’aide resta bloqué dans sa gorge tandis que la douleur submergeait son corps par vagues. Puis les ténèbres l’engloutirent. Addie se réveilla plusieurs fois. Elle entendit les implorations de sa mère et les questions calmes de son père, mais elles étaient décousues et semblaient étranges. Elle eut vaguement conscience de flashs de lumières et d’images floues de gens qui parlaient avec inquiétude autour d’elle. La lumière du soleil lui provoqua des élancements douloureux et la renvoya dans l’obscurité. Un peu plus tard, elle sentit son corps se faire soulever. Elle tenta de se concentrer sur ce qui se passait, mais les lumières qui clignotaient rapidement au-dessus d’elle lui donnèrent la nausée. Apeurée, elle ferma les yeux. Une larme silencieuse coula le long de son visage. Je ne veux pas mourir, pensa-t-elle vaguement. J’ai encore tant à vivre. Quatre jours plus tard, Addie cligna des yeux d’un air endormi. Un pli lui barra le front à la vue d’un ballon qui flottait au-dessus du lit. Les mots « Bon rétablissement » inscrits sur le ventre d’un ours en peluche la laissèrent perplexe. Puis ses yeux se posèrent sur les fleurs sur le rebord de la fenêtre. Lorsqu’elle sentit un mouvement à sa droite, elle tourna la tête. Sa mère était penchée au-dessus d’elle. Un sourire inquiet courba les lèvres d’Addie face au visage fatigué baigné de larmes de sa mère. Déconcertée, Addie pencha la tête sur le côté. Elle vit la bouche de sa mère bouger, mais aucun son n’en sortit. Quand la porte s’ouvrit, Addie tourna la tête. Elle cligna de nouveau des yeux en voyant un homme avec une blouse blanche sur laquelle était épinglé le nom W. H. Harris. — Bonjour, Addie, je suis le docteur Harris, dit l’homme en venant près du lit. — Elle vient de se réveiller, précisa Helen avec soulagement. Addie, ma chérie, comment tu te sens ? Le regard d’Addie ne cessait de passer de l’un à l’autre tandis que la panique et la confusion l’envahissaient. Elle voyait leurs lèvres bouger, mais elle n’arrivait pas à entendre ce qu’ils disaient. Levant sa main droite, ses doigts effleurèrent faiblement son oreille pour voir si quelque chose la recouvrait. — Qu’est-ce qu’il y a, Addie ? demanda Helen, entrelaçant ses doigts à ceux de sa fille quand elle lui tendit la main. — Je ne t’entends pas, murmura-t-elle en la fixant. Maman, pourquoi je ne t’entends pas ? Les yeux d’Helen Banks s’agrandirent d’horreur. Addie se tourna alors vers le docteur. Tous deux la dévisageaient avec inquiétude. Encore une fois, elle le vit remuer les lèvres, mais elle ne savait pas ce qu’il disait. Des larmes de frustrations menacèrent de couler tandis que son regard passait de l’un à l’autre. Pourquoi ne pouvait-elle pas les entendre ? Deux mois plus tard, assise à l’arrière du Honda CR-V de ses parents, Addie regardait par la fenêtre sans rien voir du paysage qui défilait. Elle savait que ses parents parlaient, mais elle ne prenait pas la peine d’essayer de comprendre ce qu’ils disaient. Ils venaient de voir un autre spécialiste, le cinquième en autant de semaines. Cette fois, aucune larme ne lui brûlait les yeux ; elle s’était promis qu’elle ne pleurerait plus. Elle en avait marre de pleurer, ça ne servait à rien. Depuis son réveil à l’hôpital, elle avait versé bien trop de larmes. Elle avait pleuré, elle avait râlé, et finalement, elle s’était simplement renfermée sur elle-même. Au début, le silence la suffoquait presque. Elle était habituée à toujours avoir un bruit quelconque en arrière-plan. Elle adorait écouter de la musique et discuter avec ses parents et ses amis. Elle parlait même toute seule quand il n’y avait personne d’autre ! À présent, il n’y avait plus rien. Elle commençait à comprendre une partie de ce qui se disait entre les médecins et ses parents en observant leurs expressions et en lisant quelques mots sur leurs lèvres. Ce spécialiste leur avait dit la même chose que les autres : il était plus que probable qu’elle n’entende plus jamais. La fièvre élevée et prolongée due à la méningite infectieuse qu’elle avait contractée avait réduit son monde au silence pour toujours. Ils pensaient qu’elle l’avait attrapée lorsqu’elle s’était baignée à leur cottage, le week-end précédent. Addie regarda sans aucune émotion une moto s’arrêter à côté d’eux. Elle ne pouvait entendre son vrombissement alors que le conducteur attendait que le feu passe au vert. Au lieu de cela, elle posa sa main contre la vitre et en sentit les vibrations. Envahie par une profonde tristesse, elle ferma les yeux. Jamais plus elle n’entendrait les sons qu’elle avait tenus pour acquis. Une larme silencieuse s’échappa. Elle la laissa rouler sur sa joue. Il y avait peut-être encore de la place pour une larme, pensa-t-elle, se faisant finalement à l’idée qu’elle n’entendrait plus jamais. Une dernière.
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