CHAPITRE DEUX

2458 Words
CHAPITRE DEUX Scarlet sentit une langue lui l****r le visage et ouvrit les yeux sur la lumière aveuglante du soleil. La langue ne s'arrêtait pas et, avant même qu'elle ait regardé, elle savait que c'était Ruth. Elle ouvrit juste assez les yeux pour voir que c'était elle : Ruth se penchait sur elle, gémissait, et devint encore plus excitée quand Scarlet ouvrit les yeux. Scarlet sentit une douleur lancinante quand elle essaya d'ouvrir un peu plus les yeux; frappés par la lumière aveuglante du soleil, ses yeux se mirent à pleurer, plus sensibles que jamais. Elle avait un mauvais mal de tête et ouvrit les yeux juste assez pour constater qu'elle était allongée dans une rue pavée quelque part. Les gens passaient précipitamment à côté d'elle et elle voyait qu'elle était au milieu d'une ville animée. Les gens se hâtaient dans tous les sens, s'affairaient de tous côtés, et elle entendait le vacarme d'une foule à midi. Alors que Ruth gémissait sans cesse, elle resta assise là, essayant de se souvenir, essayant de comprendre où elle était. Cependant, elle n'en avait aucune idée. Avant que Scarlet parvienne à comprendre ce qui s'était passé, elle sentit soudain un pied la pousser dans les côtes. “Circule !” dit une voix grave. “Tu ne peux pas dormir ici.” Scarlet regarda et vit une sandale romaine près de son visage. Elle leva le regard et vit un soldat romain qui se tenait au dessus d'elle, vêtu d'une courte tunique, avec, à la taille, une ceinture d'où pendait une courte épée. Il portait un petit casque en cuivre avec des plumes dessus. Il se pencha et envoya à Scarlet un autre coup de pied, qui lui fit mal à l'estomac. “T'as entendu ce que j'ai dit ? Circule, ou je te coffre.” Scarlet voulait écouter mais, quand elle ouvrit plus grand les yeux, le soleil leur fit terriblement mal et elle était complètement désorientée. Elle essaya de se lever mais eut l'impression de se déplacer au ralenti. Le soldat se pencha en arrière pour lui envoyer un méchant coup de pied dans les côtes. Scarlet le vit venir et se prépara, incapable de réagir assez vite. Scarlet entendit un grognement, regarda et vit Ruth, les poils dressés sur le dos, se jeter sur le soldat. Ruth lui attrapa la cheville à mi-course, y plongeant de toutes ses forces ses crocs acérés. Le soldat cria et son cri remplit l'air quand le sang coula de sa cheville. Ruth refusait de lâcher, le secouant de toutes ses forces, et le visage du soldat, tellement hautain il y a un moment, exprimait à présent la peur. Il tendit le bras vers son fourreau et en sortit son épée. Il la souleva haut et se prépara à l'abattre sur le dos de Ruth. Ce fut à ce moment que Scarlet le sentit. C'était comme une force qui prenait le contrôle de son corps, comme si un autre pouvoir, une autre entité, vivait en elle. Sans se rendre compte de ce qu'elle faisait, elle passa soudain à l'action. Elle comprenait pas ce qui se passait et elle était incapable de le contrôler. Scarlet se leva d'un bond, l'adrénaline faisant battre son cœur, et réussit à saisir le poignet du soldat à mi-course, au moment même où il abattait son épée. Alors qu'elle lui tenait le bras, elle se sentit habitée par un pouvoir qui lui était inconnu. Même avec toute sa force, le soldat ne pouvait pas bouger. Elle lui serra le poing et réussit à le serrer si durement que, quand il baissa les yeux vers elle, choqué, il finit par laisser tomber son épée, qui atterrit sur les pavés avec un bruit métallique. “Ça va, Ruth", dit doucement Scarlet, et Ruth relâcha progressivement l'étau dans lequel elle maintenait la cheville du soldat. Scarlet resta là, tenant le poing du soldat, le maintenant dans sa prise fatale. “S'il te plaît, laisse-moi partir”, supplia-t-il. Scarlet sentit le pouvoir qui l'habitait, sentit que, si elle le voulait, elle pourrait vraiment lui faire mal. Cependant, elle ne le voulait pas. Elle voulait seulement qu'on la laisse tranquille. Lentement, Scarlet relâcha sa prise et le laissa partir. La peur dans les yeux, comme s'il venait de croiser un démon, le soldat se détourna et s'enfuit sans même se préoccuper de récupérer son épée. “Viens, Ruth”, dit Scarlet, sentant qu'il pourrait revenir avec d'autres soldats et préférant ne pas rester sur les lieux. Un moment plus tard, elles se précipitèrent toutes les deux dans la foule épaisse. Elles foncèrent dans les ruelles étroites et sinueuses jusqu'à ce que Scarlet trouve un coin à l'ombre. Elle savait que les soldats ne les trouveraient pas ici et il lui fallait une minute pour récupérer, pour comprendre où elles étaient. Ruth haletait à côté de Scarlet, qui reprenait son souffle dans la chaleur. Scarlet était effrayée et étonnée par ses propres pouvoirs. Elle savait que quelque chose était différent mais elle ne comprenait pas entièrement ce qui lui arrivait; elle ne comprenait pas non plus où étaient tous les autres. Il faisait très chaud par ici, et elle était dans une ville surpeuplée qu'elle ne reconnaissait pas. Ça ne ressemblait pas du tout au Londres où elle avait grandi. Depuis son refuge, elle regarda tous les gens qui passaient, affairés, vêtus de robes, de toges, de sandales, portant de grands paniers de figues et de dattes sur la tête et sur les épaules, certains d'entre eux portant des turbans. Elle voyait d'anciens bâtiments de pierre, d'étroites ruelles sinueuses, des rues pavées, et se demanda où elle pouvait bien se trouver. Ce n'était absolument pas l’Écosse. Ici, tout avait l'air tellement primitif qu'elle avait l'impression d'être revenue des milliers d'années en arrière. Scarlet regarda partout, espérant entrevoir sa maman et son papa. Elle scruta chaque visage qui passait, espérant, voulant ardemment qu'un d'eux s'arrête et se tourne vers elle. Cependant, ils n'étaient nulle part. Et avec chaque visage qui passait, elle se sentait de plus en plus seule. Scarlet commençait à paniquer. Elle ne comprenait pas comment elle pouvait être arrivée seule. Comment avaient-ils pu l'abandonner comme ça ? Où pouvaient-ils être ? Avaient-ils réussi le voyage, eux aussi ? Ne l'aimaient-ils pas assez pour venir la retrouver ? Plus Scarlet se tenait là, à regarder et à attendre, plus elle comprenait. Elle était seule. Complètement seule, à une époque et dans un lieu qui lui étaient étrangers. Même s'ils étaient arrivés ici, elle n'avait aucune idée de l'endroit où les chercher. Scarlet regarda son poing, l'ancien bracelet où pendait une croix qui lui avait été donnée juste avant qu'ils quittent l'Écosse. Alors qu'ils se tenaient là-bas, dans la cour de ce château, un de ces vieux hommes en robe blanche avait tendu le bras et lui avait glissé le bracelet au poing. Elle avait pensé qu'il était très joli mais elle ne savait ni ce qu'il était ni ce qu'il signifiait. Elle supposait que ce pouvait être une sorte d'indice mais n'avait aucune idée de quoi. Elle sentit Ruth se frotter contre sa jambe et elle s'agenouilla, lui embrassa la tête et la serra contre elle. Ruth gémit dans son oreille et la lécha. Au moins, elle avait Ruth. Ruth était comme une sœur pour elle et Scarlet était très reconnaissante qu'elle ait fait le voyage dans le passé avec elle et tout aussi reconnaissante qu'elle l'ait protégée contre ce soldat. Il n'y avait personne qu'elle aime plus. Quand Scarlet repensa à ce soldat, à leur rencontre, elle se rendit compte que ses pouvoirs devaient être plus profonds qu'elle le pensait. Elle ne comprenait pas comment elle, une petite fille, avait pu le dominer. Elle sentait que, d'une façon ou d'une autre, elle était en train de se transformer, ou s'était déjà transformée, en une chose qu'elle n'avait jamais été. Elle se souvint que, quand elles étaient en Écosse, sa maman le lui avait expliqué; cela dit, elle ne le comprenait pas encore tout à fait. Elle voulait que tout cela disparaisse. Elle voulait seulement être normale, voulait que les choses soient normales, comme elles étaient auparavant. Elle voulait juste sa maman et son papa; elle voulait fermer les yeux et revenir en Écosse, dans ce château, avec Sam, Polly et Aiden. Elle voulait revenir à leur cérémonie de mariage; elle voulait que tout aille bien dans le monde. Cependant, quand elle ouvrit les yeux, elle était encore là, toute seule avec Ruth dans cette ville inconnue, à cette époque inconnue. Elle ne connaissait absolument personne. Personne n'avait l'air amical et elle ne savait pas du tout où aller. Finalement, Scarlet ne supporta plus de rester où elle était. Il fallait qu'elle bouge. Elle ne pouvait pas se cacher ici, à attendre pour l'éternité. Elle supposait que sa maman et son papa étaient quelque part par là, où qu'ils soient. Elle sentit qu'elle avait faim, entendit Ruth gémir et sut qu'elle avait faim elle aussi. Il fallait qu'elle soit courageuse, se dit-elle. Il fallait qu'elle parcoure les rues à la recherche de ses parents et qu'elle essaie de trouver à manger pour elle-même et pour Ruth. Scarlet s'engagea dans la ruelle animée, se méfiant des soldats; elle en repéra des groupes au loin, qui patrouillaient dans les rues, mais ils n'avaient pas l'air de la rechercher en particulier. Scarlet et Ruth se frayèrent un chemin dans les masses de gens, jouèrent des coudes en marchant dans les ruelles sinueuses. Il y avait tant de monde ici, tant de gens qui s'affairaient dans toutes les directions. Elle passa des vendeurs avec des charrettes en bois qui vendaient des fruits et des légumes, des miches de pain, des bouteilles d'huile d'olive et de vin. Ils étaient serrés les uns contre les autres dans les ruelles bondées et hurlaient pour attirer les clients. Les gens marchandaient avec eux de tous côtés. Comme s'il n'y avait pas assez de monde, les rues étaient aussi remplies d'animaux, de chameaux, d'ânes, de moutons et de toutes sortes de bétail menés par leurs propriétaires. Au milieu de tous ces animaux couraient des poulets, des coqs et des chiens sauvages. Ils sentaient très mauvais et rendaient la place de marché encore plus bruyante qu'elle ne l'était déjà avec leurs braiments, leurs bêlements et leurs aboiements incessants. Scarlet sentit que Ruth avait encore plus faim en voyant ces animaux. Elle s'agenouilla et la saisit par le cou pour la retenir. “Non, Ruth !” dit Scarlet fermement. Ruth obéit à contrecœur. Scarlet le regretta mais elle ne voulait pas que Ruth tue ces animaux et provoque un immense tumulte dans cette foule. “Je te trouverai à manger, Ruth”, dit Scarlet. “Je le promets.” Ruth lui répondit par un gémissement et Scarlet sentit qu'elle avait faim elle aussi. Scarlet se dépêcha de passer les animaux et emmena Ruth dans d'autres ruelles, tournant ça et là, passant devant des vendeurs et dans d'autres ruelles. On aurait dit que ce labyrinthe ne finirait jamais, et c'était même tout juste si Scarlet voyait le ciel. Finalement, Scarlet trouva un vendeur avec un immense morceau de viande en train de rôtir. Elle la sentait de loin et l'odeur lui rentrait par chaque pore de sa peau; elle baissa les yeux et vit que Ruth le regardait en se pourléchant les babines. Elle s'arrêta devant, bouche bée. “Tu veux en acheter un morceau ?” demanda le vendeur, un grand homme avec une tunique couverte de sang. Scarlet en voulait un morceau plus que toute autre chose mais, quand elle mit la main dans ses poches, elle n'y trouva pas d'argent du tout. Elle fouilla et sentit son bracelet et, plus que toute autre chose, elle voulait l'enlever et le vendre à cet homme, pour avoir un repas. Néanmoins, elle se força à ne pas le faire. Elle sentait qu'il était important et, donc, elle usa de toute sa volonté pour s'en empêcher. Au lieu de ça, lentement, tristement, elle répondit en secouant la tête. Elle saisit Ruth et l'éloigna de l'homme. Elle entendit Ruth gémir et protester mais elles n'avaient pas le choix. Elles poursuivirent leur chemin et, finalement, le labyrinthe aboutit à une place grande ouverte, brillante et ensoleillée. Scarlet fut déconcertée par le ciel ouvert. Après toutes ces ruelles, on aurait dit la chose la plus grande ouverte qu'elle ait jamais vue, avec des milliers de gens qui y grouillaient. Une fontaine de pierre s'élevait au milieu de la place qu'un immense mur de pierre encadrait, s'élevant à des dizaines de mètres de hauteur. Chaque pierre était si grande qu'elle faisait dix fois la taille de Scarlet. Contre ce mur, des centaines de gens se tenaient en train de gémir, de prier. Scarlet n'avait aucune idée de la la raison pour laquelle ils le faisaient, ou de l'endroit où elle était, mais elle sentait qu'elle se trouvait au centre de la ville et que c'était un endroit très saint. “Hé, toi !” dit une méchante voix. Scarlet sentit les poils se dresser sur sa nuque et, lentement, elle se retourna. Elle vit un groupe de cinq garçons qui, assis sur un affleurement rocheux, la regardaient fixement. Ils étaient crasseux de la tête aux pieds et vêtus de haillons. C'étaient des adolescents. Ils avaient peut-être 15 ans et elle voyait la méchanceté sur leur visage. Elle sentait qu'ils cherchaient à créer des ennuis et qu'ils venaient de repérer leur prochaine victime; elle se demanda si on voyait à quel point elle était seule. Parmi eux, il y avait un chien sauvage, immense, qui avait l'air enragé et faisait deux fois la taille de Ruth. “Qu'est-ce que tu fais ici toute seule ?” demanda le meneur sur un ton moqueur, provoquant le rire des quatre autres. Il était fort et avait l'air idiot, avec de larges lèvres et une cicatrice au front. Quand elle les regarda, Scarlet se sentit envahie par une nouvelle sensation qu'elle n'avait jamais ressentie auparavant : c'était la sensation d'une intuition accrue. Elle ne comprenait pas ce qui se passait mais, soudain, elle put lire clairement dans leurs pensées, sentir ce qu'ils ressentaient, connaître leurs intentions. Elle sentit immédiatement et sans ambiguïté qu'ils n'avaient que de mauvaises intentions. Elle savait qu'ils voulaient lui faire du mal. Ruth grogna à côté d'elle. Scarlet sentait venir une confrontation de taille et c'était exactement ce qu'elle voulait éviter. Elle se pencha et commença à éloigner Ruth. “Viens, Ruth”, dit Scarlet en commençant à se retourner et à partir. “Hé, la fille, je te parle !” hurla le garçon. En s'éloignant, Scarlet se retourna et, par dessus son épaule, vit les cinq garçons descendre du rocher d'un bond et commencer à la suivre. Scarlet s'enfuit en courant, repartit dans les ruelles, voulant mettre autant de distance qu'elle le pouvait entre elle-même et ces garçons. Elle pensa à sa confrontation avec le soldat romain et, un instant, se demanda si elle devait s'arrêter et essayer de se défendre. Cependant, elle ne voulait pas se battre. Elle ne voulait faire de mal à personne. Ni prendre des risques. Elle voulait seulement trouver sa maman et son papa. Scarlet tourna dans une ruelle déserte. Elle regarda derrière elle et, en quelques moments, elle vit le groupe de garçons qui la poursuivaient. Ils n'étaient pas loin derrière et prenaient rapidement de la vitesse. Ils allaient trop vite. Leur chien courait parmi eux et Scarlet voyait que, dans quelques moments, ils la rattraperaient. Il fallait qu'elle tourne dans la bonne ruelle pour les semer. Scarlet tourna un autre coin, espérant trouver une sortie. Cependant, quand elle eut tourné, son cœur s'arrêta de battre. C'était une impasse. Scarlet se retourna lentement, Ruth à côté d'elle, et fit face aux garçons. Maintenant, ils étaient peut-être à trois mètres. Ils ralentirent en approchant, prenant leur temps, savourant le moment. Ils se tenaient là, riant, de cruels sourires au visage. “On dirait que tu es à court de chance, fillette”, dit le meneur. Scarlet pensait la même chose.
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