Souvenirs néfastes

2599 Words
Trois semaines sont passées depuis notre soirée avec Marco. J’ai fini le livre et en ai entamé un autre. Midi approche, les premiers rayons de soleil du printemps se montrent, et je décide de manger sur ma petite table dehors. Je me fais vite une salade et m’installe. Je reste dans le silence. Ça me fait un bien fou. Le soleil me réchauffe et j’observe les premiers bourgeons de fleurs arriver. J’ai des nouveaux voisins depuis deux semaines. Je les ai aperçu en sortant mes poubelles. Un couple de retraités. Madame a l’air douce et effacée, peu souriante avec une posture qui montre son mal-être. Je connais bien cette posture et ce regard pour l’avoir eu moi-même pendant des années. Quant à Monsieur, il a l’air beaucoup plus confiant, un peu trop souriant, un peu trop … de quelque chose qui me met mal à l’aise. Je ne sais pas l’expliquer. Je ne préfère pas me focaliser dessus. On sait trop qu’un mauvais jugement peut faire du mal. En débarrassant mon couvert, j’entends la voix d’une petite fille, je dirais qu’elle doit avoir 4 ou 5 ans. Elle est dehors en train de jouer. J’entends qu’elle appelle sa grand-mère et elles jouent ensemble. C’est agréable de les entendre. Moi, malheureusement, je n’ai plus ma maman. Même si nos relations n’ont jamais vraiment été des plus harmonieuses, elle me manque. Les rires de la petite et de sa grand-mère m’apportent du baume au cœur. Je laisse la porte-fenêtre ouverte pour les entendre. Tout d’un coup, leurs rires s’arrêtent et j’entends la voix du grand-père. Ils les appellent pour aller faire les courses. La petite, qui apparemment se prénomme Manon, perd le sourire dans sa voix et on entend la peur. Il faut dire qu’il y a quelque chose dans la voix de son grand-père qui me perturbe aussi. Le lendemain matin, je me lève de bonne heure. Les températures sont remontées et me permettent d’ouvrir les portes. Je sors avec ma tasse de thé et me pose avec mon plaid sur ma chaise longue. J’entends des paroles dans le jardin d’à côté qui me tétanise.  « On est bien d’accord, Manon, ce qui s’est passé hier soir et notre secret » Je reconnais la voix du grand-père.  « Oui Papi, je ne dirais rien. » répond la petite, la voix tremblotante.  « C’est bien ma petite chérie. Mamie et tes parents ne te croiraient pas. Tu n’as pas envie d’être une menteuse et que tout le monde te fâche, n’est-ce pas ? »  « Non, je ne suis pas une menteuse et je ne veux pas que maman et mamie se fâchent après moi ! » Manon se met à pleurer.  « Ne pleure pas, viens dans mes bras. »  « Non, ça va papi. » Leur conversation s’arrête lorsque la grand-mère arrive. Mon corps se tend, mon cœur se met à palpiter, ma respiration se met à saccader et les larmes me montent. J’ai peur d’avoir compris, j’ai peur que la petite Manon soit une enfant…non même là je suis incapable de terminer ma phrase. C’est impossible. Je rentre dans la maison, ferme la porte et me et à pleurer et essaie, encore une fois d’oublier et d’effacer.  *Marco J’ai enfin fini l’Alpine. C’est un crève-cœur de la rendre à son propriétaire mais c’était un régale d’avoir bosser dessus. Le weekend approche et je n’ai pas eu le temps d’aller voir ma petite Angélique. Son anniversaire est dans deux semaines. Je sais que Mégane ne peut pas venir car elle sera encore en voyage. Je vais organiser une surprise à ma moitié. Je ne sais pas encore quoi mais on va fêter son anniversaire, c’est sûr. À la débauche, je vais chercher notre habituel repas chinois et me rend chez Angélique. Lorsque j’ouvre la porte, la maison semble vide. Je me dirige vers le salon, personne, je me rends à la cuisine, personne non plus. Mais, en m’approchant de la chambre, j’entends de la musique et quelqu’un qui pleure. Je pousse la porte et découvre ma meilleure amie en boule dans son lit en pleurs. Je l’appelle, m’approche et me stoppe lorsqu’elle me demande de partir car elle a besoin d’être seule. Je cherche à comprendre et m’assoie sur le lit. Je vais pour lui décaler ses cheveux qui cachent son si joli visage et je me fais encore stopper.  « S’il te plaît Marco, laisse-moi. Ne m’en veux pas mais je ne me sens pas très bien. J’ai juste besoin d’être seule. »  « Que se passe-t-il ma puce ? Parle-moi. Je n’aime pas te savoir comme ça sans pouvoir te réconforter. »  « Ne t’inquiète pas, juste un gros coup de fatigue. Rentre chez toi, je te rappellerai. »  « J’ai emmené le repas. Les nems sont tous chauds. Tu n’as pas faim ? »  « Non, vraiment pas. Propose ça à un des tes p******l. Tu passeras une meilleure soirée qu’avec moi qui pleure. »  « Arrête tes conneries ! Tu sais très bien que c’est avec toi que je préfère passer mes soirées. »  « Vraiment, Marco, s’il te plaît. »  « Bon, très bien mais appelle-moi dès que tu te sens mieux. »  « Promis. » Au moment de quitter la chambre, elle me rappelle pour me dire merci et me demande un câlin. On ne va pas se mentir, ce câlin me fait autant de bien qu’à elle. Je pars et lui laisse le repas dans son frigo avec un petit mot pour lui dire de le manger en pensant à moi. Je rentre, inquiet de la savoir comme ça. La nuit est longue car je n’arrive pas à dormir. Vers 4h00 du matin, je trouve enfin le sommeil. Ma nuit est agitée car j’entend une voix d’homme me marteler la tête en répétant : • « N’oublie pas ta mission : la protéger et la guider. Elle est ta rédemption. » Je me réveille la tête en vrac et ne comprenant pas la phrase. Á qui appartient cette voix et de qui parle-t-il ? Je décide de ne plus y penser et d’embaucher pour ma dernière journée de la semaine. Bien sûr j’envoie un message à la plus belle mais elle ne me répond pas. Je suppose qu’elle dort. Je réessaierai dans la journée. * Angélique La nuit a été affreuse ! J’ai refait les cauchemars que je ne faisais plus depuis des années. Ce grand-père, ses phrases, la réaction de sa petite-fille…Tout ça m’a ramené en arrière. La peur, l’angoisse, la douleur, les pleurs, les sensations, les odeurs…On n’imagine pas tout ce qui peut se rapporter à un souvenir, à un traumatisme. Je vous promets que, même à mon âge, toutes ces choses restent ancrées en vous, malgré vos efforts pour les oublier. Ce que j’ai entendu hier m’a fait faire un voyage dans le temps que j’aurai aimé éviter. La venue de Marco aurait dû me réconforter mais personne de mon entourage ne connaît mon passé. J’ai honte, je me sens sale même si j’ai mis au monde mon trésor. Je n’aime pas mon corps, je n’aime pas ma voix. Je ne m’aime pas du tout. Et vous savez pourquoi ? Parce que je me dis que si j’avais parlé, peut-être que tout se serait arrêté plus tôt, peut-être que j’aurais pu avoir une autre enfance, une autre adolescence, une autre vie d’adulte. Peut-être que j’aurai une autre image de moi et que j’aurai confiance en moi. Je ne sais pas comment les autres vivent ce traumatisme. Pour moi, c’est un boulet dont je ne pourrais jamais me séparer. J’ai essayé de montrer une version de moi confiante et épanouie aux autres mais, à chaque fois, j’ai été déçue. Alors, plus personne ne rentre dans ma vie et je n’impose plus ma présence aux autres. Ma conclusion est que la vie m’a oublié alors je m’oublie. Mon seul but est d’être là quand mon Trésor, Mégane, a besoin de moi ou que ma moitié, Marco, a besoin de moi. Le reste du temps, je survis. Mon anniversaire approche est juste envie de rester seule. Une semaine est passée et mes nuits sont remplies de cauchemars. Tous les mêmes avec sa voix, son rire, ses phrases, sa respiration, tous ce qui me hantent depuis mes 5 ans. C’est une horreur et je n’arrive pas à y échapper. J’essaie de ne pas dormir en regardant la télé, en lisant, en travaillant mais, malheureusement, le sommeil finit toujours par me rattraper. J’ai revu Marco. Nous avons mangé ensemble et nous n’avons pas reparlé de ce qui s’est passé. Je sais bien qu’il se pose des questions mais il ne cherche pas à savoir. J’aime savoir que j’ai un véritable ami. Il a remarqué mes cernes et mon air triste, même si j’essaie de le cacher. Je n’ai pas revu, ou entendu mon voisin ni sa petite-fille. Je ne peux rien faire et ça me tue. Je n’ai pas de preuve, je ne peux donc rien prouver. L’après-midi est ensoleillé et j’en profite pour jardiner. Je me dis que, peut-être, je vais entendre d’autres choses qui pourront m’aider à prouver ce que je redoute. Il est presque 15h00 quand j’entends ma voisine dire à son mari qu’elle part faire des courses. Le mari acquiesce et là j’entends une conversation qui balaie mes doutes sur ce que je pensais mais me confirme ce que je pensais de lui. Il n’est pas net et c’est un vicieux. En effet, je l’entends en pleine conversation avec une fille qui, au son de sa voix, pourrait être sa fille. Leur conversation prouve qu’ils sont en visio. Ils ont en échange que je ne vous rapporterais pas tellement ça me choque, et très clairement ça ne laisse aucun doute sur leur relation uniquement basé sur le sexe. Et j’entends le pervers dire que, cette fois, sa petite fille n’est pas là pour les surprendre en pleine visio dénudés et en pleine action. Je comprends tout maintenant. La pauvre petite a surpris son grand-père en train de faire une s*x web avec une femme. La pauvre doit être choquée. Je comprends mieux leur conversation. Et je comprends aussi que j’ai reporté ce que j’ai vécu alors que ce n’était pas ça. Mon traumatisme m’a fait mal jugée la situation. Je retombe dans l’incompréhension et m’en veux de ne pas savoir m’en défaire. Je sens un nouvelle angoisse m’envahir et la honte aussi. Comment est-ce possible de se sentir si minable, si stupide. Je n’en peux plus. C’est trop. Je me demande ce qui me retient sur cette terre. Je suffoque, les larmes montent, la honte, la tristesse et la colère aussi. C’en est trop. Je me pose dans mon canapé, je fais un bilan : En dehors de Mégane et Marco, je n’ai personne. Mégane est en train de réussir sa vie, elle n’a plus vraiment besoin de moi et Marco s’empêche de vivre ses histoires pour être tout le temps avec moi. Mon chat sera heureux avec Marco, ils s’entendent très bien tous les deux. Je peux partir sereine en sachant que je ne serais plus le boulet à leurs pieds, qu’ils n’auront plus à s’inquiéter pour moi et qu’ils vivront leur vie à fond. Je m’installe devant mon ordinateur et commence à écrire des lettres à mes deux piliers, mes deux amours. Je vais commencer par ma fille. « Mon trésor, ma vie, Je t’écris cette lettre pour te dire à quel point je suis fière de toi, fière de la jeune fille que tu es devenue, fière de tes réussites et surtout fière que tu sois ma fille. Je me demande souvent comment j’ai pu mettre au monde une telle merveille. Je veux que tu te souviennes de tout l’amour que je t’ai apporté, de tous tes merveilleux souvenirs d’enfance que tu as vécus. Même si notre histoire avec ton père s’est mal finie, souviens-toi comme nous t’aimons tous les deux. Ma petite chérie ne m’en veux pas de quitter cette vie maintenant mais il m’est trop difficile de continuer à vivre ainsi. Trop de choses ont noirci mon cœur et mon âme et personne ne peut m’aider. Je pars en paix en sachant que tu es très bien entourée de ton père et de ton parrain. N’oublie que je t’aime au-delà des arc-en-ciel et des étoiles. Maman » Écrire cette lettre m’a fait du bien. Je vais lui envoyer par courrier à son université. Je veux qu’elle en garde une trace. Et maintenant celle pour Marco.   « Marco, ma moitié, mon double, mon amour caché, Par quoi commencer cette lettre. Je t’imagine bien rire en te demandant ce qui a bien pu me passer par la tête pour t’écrire une lettre. Si tu savais le nombre de fois à laquelle j’y ai pensé, le nombre de fois où j’ai voulu te dire Je t’aime. Mon tendre Marco, notre amour impossible ma tenu en vie pendant toutes ces années. Avec Mégane, vous avez été ma force, mon essentiel, mes piliers. Tant de fois, j’aurais aimé être à la place de ces filles qui ont fini dans ton lit, tant de fois j’aurais aimé ne pas avoir honte de moi, avoir confiance en moi et te dire tout ce que je ressentais pour toi. Mais il est mieux pour toi que je ne t’ai rien dit. Je n’avais rien à t’apporter de bon. J’ai des traumatismes qui ont noirci mon cœur et mon âme et, il m’était impensable de noircir la tienne. Je vais quitter cette vie en sachant que j’ai eu l’honneur de te connaître, de faire partie de ta vie, et que j’ai eu l’honneur et le bonheur de partager une nuit avec toi. La plus belle de toute ma vie. (Range ton sourire, beau gosse !) Voilà, je te dis adieu mon amour. Prends soin de ma fille, ta filleule, et de mon chat. Je t’aime pour toujours et à jamais. Angélique » Je mets les lettres dans des enveloppes, inscrit l’adresse de Mégane et y met un timbre. Je mets des affaires dans une valise, envoie monde dernier travail à mon agent avec une lettre de démission. Je mets mon chat dans sa caisse. Une fois tout mis dans la voiture, je démarre. Je me rends chez Marco, je rentre chez lui dépose mon chat avec toutes ses affaires et dépose la lettre sur sa table basse, bien en évidence. Ensuite, je poste la lettre pour ma fille et je pars. J’ai tout emmené pour en finir : cachet et alcool. Avant ça, je vais partir un week-end à la mer et mourir là-bas. Au bout d’une heure de route, j’entre dans le mobil-home que j’ai loué. Je m’installe, ensuite, face à la mer. Je repère l’endroit idéal pour en finir. J’ai trouvé une petite crique où il n’y a personne et où je serais tranquille. J’ai passé la première journée à repenser à ma vie. Plus les heures passaient, plus j’étais convaincue que c’était ce que je devais faire. Le lendemain soir, je rends les clés du mobil-home, je pars à la crique. Je mets de la musique sur mon téléphone et je commence mon cocktail de cachet / alcool. Très vite je me sens partir, j’ai des douleurs au ventre bien sûr, mais la satisfaction de savoir que tout est bientôt fini prend le dessus. Les derniers sons que j’entends avant de sombrer complètement sont la voix d’un couple qui me parle et après plus rien.
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