I

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I C’était un samedi, le grand jour matrimonial pour les petites gens qui « guaignent cahin-caha leur pauvre et chétive vie », comme dit Rabelais. Le lendemain, les ateliers sont fermés et l’on peut rester plus tard au lit. Ce n’est pas raffiné de sentiment ; mais à Scheweling, en Hollande, les pêcheurs ne se marient qu’en hiver, parce que, m’a dit naïvement l’un d’eux, les nuits sont plus longues. C’était un samedi, et vers cinq heures du soir ; les bois avoisinant la grande ville, j’entends ceux de Boulogne et de Vincennes, étaient sillonnés de fiacres emportant des messieurs dont les habits noirs, enfermés depuis longtemps, craquaient aux manches, et des dames gantées de blanc, le dos fleuri de palmes par un cachemire, le tout suivant de plus grands fiacres où se prélassaient des demoiselles couronnées d’oranger. Là où les cortèges avaient fait halte, on jouait au bouchon en manches de chemise et les compagnes de la nouvelle épousée cancanaient entre elles. C’est un tableau que Paul de Kock a fait cent fois et avec infiniment de vérité. Donc, dans un de ces bois, non pas celui de Boulogne, mais de Vincennes, M. Bernard, menuisier de son état, et sa jeune femme, Agathe de son petit nom, fraîchement unis par leur maire, avaient conduit les gens de la noce, comme dit la chanson. On avait copieusement déjeuné, et M. Bernard qui adorait le jeu de tonneau s’y livrait avec délices, en compagnie de camarades d’atelier et au mépris des lois de la plus vulgaire galanterie, laquelle lui ordonnait de demeurer auprès de sa bien-aimée. Mais bast ! il aurait bien le temps de la voir dans son ménage. Et allons donc ! Il n’était pas de ces soupirants mélancoliques qui se collent aux jupes de leurs belles. Il y a temps pour tout, et il était pour le positif. Mais Agathe ?… Agathe en avait pris son parti et faisait un tour dans les allées au bras de M. Michel, un ami de Bernard que celui-ci avait chargé d’amuser son épouse. Or, ce Michel était un homme particulièrement consciencieux, et comme Agathe avait témoigné qu’elle n’aimait pas s’amuser au soleil, il lui avait cherché, au cœur des taillis, des routes obscures qu’embellissait l’ombre oblique du couchant, où seule s’entendait la chanson furtive des oiseaux.
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