Je m’étais préparée pour un séjour d’une semaine seulement, convaincue que ce laps de temps suffirait pour exposer ma position devant le Conseil des Anciens et régler les détails du contrat. Mon esprit était tendu, concentré sur la procédure, mais je n’avais pas imaginé que la journée prendrait un tournant aussi inattendu.
Selon la tradition, lorsqu’un Alpha invité quitte une meute, son hôte se doit de lui rendre hommage et de le saluer avec respect. Pourtant, alors que je m’approchais du couloir menant aux chambres d’hôtes, mon attention fut attirée par un mouvement brusque : des bras dépassaient d’une porte entrouverte. Mon souffle se bloqua. Zoé gisait inconsciente, étendue sur le sol de la suite d’Alpha Logan. Un frisson d’incrédulité me parcourut. Que faisait-elle là ? Et surtout, pourquoi dans cette tenue indécente ? Le choc se mêlait à une colère sourde que je ne parvenais pas à contenir.
Je n’eus pas le temps de formuler une pensée claire que Graham surgit, le visage fermé.
— Graham ! Il faut qu’on parle de mon départ pour le Nord, dis-je d’une voix pressée.
— Pas maintenant, Kylie ! trancha-t-il sans même me regarder, avant de soulever Zoé dans ses bras et de s’éloigner sans un mot de plus.
Je restai figée, la gorge serrée. La honte me brûlait le visage. Voir cet homme s’éloigner avec une autre femme dans les bras devant les membres de la meute me donna envie de disparaître. J’eus l’impression d’être dénudée, exposée à tous les regards — à ceux de Beta Asher surtout, dont le silence pesait comme un jugement. Je me forçai à me redresser, à ravaler ma fierté.
Quand je croisai le regard d’Alpha Logan, planté dans l’embrasure de la porte, je compris que le pire restait à venir. Il se tenait là, torse nu, une simple serviette nouée autour des hanches, sa peau encore humide de la douche. Mes joues s’empourprèrent malgré moi. Il émanait de lui une intensité brute, presque sauvage, que je ressentis jusque dans mes tripes. Ses poings serrés, ses muscles tendus, ses crocs à peine dissimulés sous ses lèvres trahissaient la colère de son loup.
— Alpha Logan, murmurai-je avec prudence.
— Kylie, répondit-il, mais sa voix n’avait plus rien d’humain. Elle vibrait d’une rage contenue, rauque et animale, comme si son loup parlait à travers lui.
Mon instinct me hurlait de garder mes distances, pourtant je fis un pas vers lui.
— Je pense qu’il vaut mieux attendre un peu. Graham…
— On n’attend pas ! gronda-t-il, la voix tranchante comme un coup de fouet. Prenez vos bagages, nous partons immédiatement.
— M-mais Graham ne voudra pas que…
Il s’approcha d’un pas, me dominant de toute sa hauteur. Son parfum de cèdre et de musc m’enveloppa d’un vertige troublant. Ses yeux luisaient d’un éclat doré que je n’avais encore jamais vu.
— Tu veux savoir ce qu’elle faisait ici ? demanda-t-il d’un ton sec. Cette femme est venue dans ma chambre pour m’annoncer qu’elle était une meilleure amante que toi.
Je restai un instant muette, la bouche entrouverte.
— Quoi ? soufflai-je, abasourdie.
— Oui. Luna Kylie. Elle s’est présentée à moi avec ce genre de propos. Quand Graham l’a surprise, elle s’est immédiatement évanouie, feignant la panique, et il a prétendu que c’étaient les hormones de sa grossesse qui parlaient pour elle.
Je fermai les yeux, écœurée. Chaque mot frappait comme une gifle.
— Alors dis-moi, insista-t-il en avançant encore d’un pas, veux-tu vraiment rester ici et supporter davantage d’humiliation ?
Je sentis mes yeux me piquer, mais je refusai de pleurer devant lui. Je pris une longue inspiration, retenant mes émotions jusqu’à ce que mon visage redevienne impassible.
Il sembla immédiatement se calmer, comme si ma maîtrise l’apaisait.
— Parfait, dit-il simplement. Mes hommes seront prêts dans quinze minutes. Fais préparer tes bagages.
Je hochai la tête, incapable de répondre, tandis qu’un sourire imperceptible effleurait ses lèvres avant qu’il ne disparaisse dans sa suite.
Je pris le chemin de ma chambre pour rassembler mes affaires. En traversant le couloir, je tombai sur Beta Asher, l’air soucieux.
— Luna Kylie, je suis désolé, mais aucune voiture n’est disponible. Alpha Graham a ordonné à toute la sécurité de rester stationnée devant la maison, expliqua-t-il d’un ton tendu.
Je restai interdite.
— Tu veux dire… que je ne peux pas partir ?
— Pas pour le moment. Il faudra attendre qu’une voiture soit libérée.
Avant que je puisse répliquer, une voix grave et autoritaire retentit derrière nous.
— On n’a pas besoin de voiture. Elle vient avec moi.
Je me retournai. Alpha Logan s’avançait vers nous, vêtu d’un jean noir et d’un polo assorti, des lunettes sombres sur le nez. Chaque pas qu’il faisait semblait alourdir l’air autour de lui. Il dégageait une puissance froide, presque menaçante.
— Alpha Logan ! s’exclama Asher en s’inclinant. Mais… sans chauffeur, comment…
Logan balaya la rangée de véhicules du regard.
— Il y a dix voitures et dix conducteurs. On trouvera bien une place. Maintenant, prends ses bagages… ou dois-je croire que ta meute manque d’omégas pour servir sa Luna ?
— Tout de suite ! répondit Asher, pâle comme un linge, avant de détaler.
Je demeurai immobile, le cœur battant à tout rompre. J’avais honte de me sentir soulagée. Je triturai nerveusement mes doigts, incapable de le regarder en face.
— Merci, murmurai-je simplement.
— Ce n’est rien, répondit-il d’un ton neutre.
À cet instant, Gamma Shir arriva en courant, essoufflé.
— Luna Kylie ! lança-t-il en s’inclinant respectueusement.
— Ton Alpha ne t’avait-il pas ordonné de rester à l’hôpital ? demandai-je, intriguée.
— Si, mais je n’ai pas supporté l’idée que personne ne t’accompagne. J’ai confié ma garde à Fenris pour venir ici.
Je lui souris, touchée par sa loyauté, mais Alpha Logan émit un grondement sourd.
— Inutile, Shir. Ta Luna m’accompagne, déclara-t-il, chaque mot appuyé d’une autorité implacable. Prends ses bagages. Nous partons.
Shir cligna des yeux, surpris, puis se pencha pour saisir mes valises sans discuter. Son regard, lorsqu’il se releva, oscillait entre la confusion et la crainte. Derrière lui, Beta Asher revenait précipitamment de la maison principale, les bras chargés.
— Par la Déesse, murmura Logan, amusé malgré lui. Pourquoi voyages-tu avec autant d’affaires ?
Je haussai les épaules avec un sourire contraint.
— Que veux-tu, j’aime voyager avec style.
Pour la première fois, un éclat sincère adoucit son visage. Peut-être même un léger rire. Mais ce moment de légèreté s’effaça aussitôt. L’air vibrait d’une tension nouvelle, quelque chose d’indéfinissable, comme si une force invisible resserrait son emprise autour de nous.
Je sentis alors, sans pouvoir l’expliquer, que le plus étrange restait à venir.
Des véhicules alignés dans l’allée, c’était la Rolls Royce, stationnée au centre, qui attirait le regard — celle dans laquelle il était arrivé. Sans un mot, Alpha Logan s’en approcha et en ouvrit la portière avec une assurance tranquille. Je restai un moment immobile, hésitante, mon regard oscillant d’une voiture à l’autre, incertaine de celle où je devais monter.
Beta Asher, debout non loin de là, observait la scène d’un air tendu, des perles de sueur glissant le long de ses tempes. Ses yeux passaient de moi à son Alpha, cherchant visiblement à comprendre la situation sans oser intervenir.
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