Chapitre 1-1

1363 Words
1 Jaguin s’avança avec une appréhension grandissante dans le long couloir du bâtiment dans lequel ses compagnons et lui venaient d’entrer. Ses yeux balayèrent prudemment la zone à la recherche du moindre danger. Cette mission était censée être simple : protéger Carmen Walker-Reykill, la compagne du prince Creon. Le problème était qu’il n’y avait jamais rien de simple en ce qui concernait la femelle humaine insolite. Pour sa part, il se serait senti beaucoup mieux si Creon s’était contenté d’attacher Carmen et de la laisser à bord du vaisseau spatial ou dans le ranch appartenant à Paul Grove, leur allié humain. Il refoula cette sensation avant de scruter une fois encore les murs intérieurs de la maison de Javier Cuello à la recherche de tout type d’équipement de détection ou d’armes susceptibles d’avertir l’Humain de leur présence. Il n’y avait rien d’autre que du bois foncé poli et des murs blanc cassé. Quelques tableaux étaient accrochés pour égayer le décor, mais c’était tout, d’après ce qu’il voyait. Le mâle humain qu’ils cherchaient était ridiculement sûr de lui de croire que le peu d’hommes qu’il avait engagés le protégeraient. Cela aurait pu suffire contre d’autres Humains, mais le nombre de soldats qui patrouillaient la zone ou qui étaient en position dans les grandes tours à l’extérieur ne faisaient pas le poids face à Gunner, Creon, Jaguin et leurs symbiotes. Ils ne venaient pas de cette planète mais de Valdier, un monde extraterrestre à des années-lumière de là. Les Valdiers étaient une espèce de métamorphes dragons connus dans leur système stellaire pour leur férocité au combat. Ils n’avaient pas mis longtemps à s’occuper des hommes à l’extérieur avant d’entrer dans la maison de Javier Cuello. Chaque guerrier valdier était composé non pas d’un, mais de trois éléments qui faisaient de lui une force létale contre leurs ennemis. L’homme était le premier élément, la seconde forme était son dragon et son symbiote constituait le troisième élément. Ils travaillaient en équipe pour éliminer toute menace. La déesse leur avait permis de trouver l’équilibre de cette façon. Leur malédiction résidait dans le fait qu’ils devaient tous les trois accepter une femelle si elle devait être leur âme sœur. Une tâche presque impossible étant donné à quel point mon symbiote et mon dragon sont têtus et difficiles, pensa-t-il en poussant un soupir de résignation et d’acceptation. Le regard de Jaguin se dirigea une nouvelle fois vers la femelle à côté de lui. Il fut un instant envahi par une vague d’envie. Comme tant d’autres à Valdier, il avait abandonné l’espoir de trouver son âme sœur un jour. Les femelles non accouplées s’étaient faites de plus en plus rares à Valdier au cours des siècles, laissant la plupart des guerriers en proie à un sentiment croissant de désespoir quant à leurs chances de trouver une compagne. Sans compagne, le besoin de s’accoupler de leur dragon les rendait fous. Ils ne pouvaient qu’espérer mourir au combat avant que cela ne se produise. Jaguin ne comprenait que trop bien ces sentiments et cette préoccupation croissante. Le fait qu’il peinait à contrôler son dragon en cet instant prouvait qu’il s’approchait du moment où il devrait rentrer chez lui dans les montagnes. Il devrait admettre aux anciens que son heure était venue de passer à la vie suivante. Jaguin avait espéré trouver une âme sœur parmi les Humaines, tout comme Creon et ses frères. Au cours des dernières semaines, il avait cherché mais aucune des femelles qu’il avait vues au loin n’avait éveillé le dragon en lui ni excité son symbiote. Il était temps d’admettre que sa destinée n’était pas d’avoir une compagne dans cette vie. Ce n’était pas la première fois que les Valdiers se rendaient sur cette planète mais cela l’était pour lui. Zoran Reykill, le dirigeant de Valdier, avait découvert ce beau monde insolite après avoir échappé à la captivité d’un groupe de traîtres qui avaient l’intention de relancer la guerre entre les Valdiers, les Curizans et les Sarafins. Le voyage suivant avait eu pour but de récupérer Paul Grove, le père de l’âme sœur de Kelan Reykill. Cependant, ce voyage-ci était différent. Cette fois, ils étaient sur Terre afin que Carmen Reykill puisse en finir avec l’homme qui avait tué son ancien compagnon et son enfant à naître. Jaguin comprenait le besoin de vengeance de Carmen. Il connaissait également les dangers d’une telle mission. Les émotions étaient souvent exacerbées dans de telles situations et pouvaient conduire à des erreurs fatales. Il incombait à Gunner et Jaguin de s’assurer que rien n’arriverait à Carmen. Si elle mourait, leur prince mourrait également. Personne ne survivait à la mort de son âme sœur. Le fait que Carmen était de toute évidence enceinte ne rendait la tâche que plus difficile. L’homme en lui voulait la protéger tandis que le dragon voulait l’enfermer dans une pièce capitonnée où rien ne pourrait l’atteindre. La vague de malaise qui le traversait s’intensifia, lui labourant les entrailles comme son dragon déchirant la chair de sa proie. Il sentait autant son symbiote que son dragon pousser contre lui. Quelque chose n’allait pas. Cette sensation s’était intensifiée à mesure qu’ils approchaient du camp. Des écailles ondulaient sur sa peau sous sa chemise, signe visible de l’agitation de son dragon. Quelque chose va pas, grogna soudain son dragon en lui. Je sens du sang. Jaguin pouvait presque sentir le goût de l’odeur cuivrée qui flottait dans l’air. Inquiet, il jeta un coup d’œil à Creon Reykill. Celui-ci lui rendit son regard méfiant avec un signe de tête presque imperceptible. Il la sentait également. Jaguin sentit l’agitation de son symbiote quand il passa à côté de lui. Son corps scintillait, reflétant les couleurs du couloir, et il passait continuellement d’une forme à l’autre comme s’il ne savait pas à quoi s’attendre. Cela ne fit qu’augmenter l’inquiétude de Jaguin pour la femelle délicate mais farouche qui se tenait entre Gunner et lui. — Je n’aime pas ça, grommela Gunner entre ses dents. Je pense que l’un de nous devrait escorter dame Carmen hors d’ici, Creon. — Non, siffla Carmen en fixant la porte au bout du couloir qu’une jeune femelle leur avait désignée silencieusement quand ils étaient entrés dans le bâtiment. Je dois en finir. — Ne t’éloigne pas, grogna Creon à voix basse. Rappelle-toi de la promesse que tu m’as faite, Carmen. Jaguin vit le regard de Carmen s’adoucir un instant lorsqu’elle se tourna pour regarder Creon. — D’accord. C’est promis, murmura-t-elle. — Au moindre signe de danger, sortez-la d’ici, marmonna Creon à Jaguin avant de se tourner vers la porte. Ouvre-la ! ordonna-t-il à son symbiote avec un signe de main. En un éclair, le corps doré s’élança et jaillit à travers l’épaisse double porte au bout du couloir. Le corps du symbiote changea, formant de longs tentacules qui se déployèrent et s’enroulèrent autour des hommes à l’intérieur de la pièce. Jaguin s’avança afin de protéger Carmen de son corps tandis que Gunner se positionnait derrière elle. L’odeur accablante de sang fut la première chose qui frappa Jaguin quand ils entrèrent. Son symbiote le dépassa à toute allure et il sentit une vive douleur lui transpercer le corps en réaction à sa détresse. L’intensité de la douleur le laissa hébété et il chancela l’espace d’un instant avant de se reprendre. Son regard balaya la pièce avant de se figer avec horreur sur la silhouette qui pendait mollement à une structure grossière. Le corps maigre de la femelle humaine était recouvert de sang. Sa tête pendait en avant, sa longue et épaisse tresse de cheveux blonds masquant partiellement son visage. Ses bras étaient étirés dans une position douloureuse, supportant le poids de son corps et aggravant encore plus la torture. Une rage suffocante le frappa violemment, suivie par une vague intense d’une tristesse inattendue. Le choc le paralysa un instant. Il comprenait la rage… mais la tristesse ? Il prit une inspiration tremblante quand son symbiote se tourna vers lui. Il le sentit le supplier de l’aider. Son dragon se tendit pour rejoindre la femme. Ce fut alors qu’il comprit leur puissante réaction. Il avait enfin trouvé ce qu’il avait cherché pendant des siècles. Notre compagne ! rugit son dragon de chagrin.
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