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Jaguin faisait les cent pas devant la baie médicale. Son symbiote était resté à l’intérieur avec le guérisseur et faisait tout pour sauver leur compagne. Il avait voulu rester, mais Tandor, le médecin en chef du vaisseau, l’avait mis dehors en lui disant que son symbiote était utile mais que lui ne faisait que le gêner. La présence du guérisseur et du symbiote serait nécessaire pour garder la femelle en vie.
Se tournant, il fit dix pas sur la gauche avant de pivoter sur ses talons pour revenir sur ses pas. Il ne quittait pas la porte du bloc médical des yeux. Ses doigts allaient machinalement au bracelet doré à son avant-bras toutes les quelques secondes alors qu’il attendait impatiemment.
— Comment va-t-elle ? demanda-t-il d’une voix rauque en caressant le métal doré vivant.
Des images de la femme apparurent soudain dans son esprit. Elle était couchée sur le flanc. Son dos était recouvert d’une fine couche du corps en or du symbiote tandis qu’il œuvrait à sa guérison. La couche d’or disparut et il put voir les épaisses stries de chair rouge refermée avant qu’une nouvelle couche ne vienne les recouvrir. Le guérisseur travaillait sur ses autres blessures.
De la douleur, de la colère et de la tristesse l’envahirent. Il leva la tête quand il entendit un bruit de pas. Il regarda Gunner traverser le couloir dans sa direction. Les lèvres de son ami étaient pincées en une fine ligne.
— Comment va-t-elle ? demanda Gunner en arrivant à son niveau.
— Elle est vivante… tout juste, répondit Jaguin en lâchant le symbiote qui formait une b***e à son bras.
Gunner poussa un profond soupir soulagé
— Et l’autre femelle ? demanda-t-il.
Jaguin secoua la tête.
— Je ne sais pas, avoua-il. Je ne me suis préoccupé que de celle que j’ai amenée à bord.
— C’est compréhensible. C’était elle qui avait les blessures les plus graves, répondit Gunner avec un soupir las. Je ne comprends pas les mâles humains. Comment peuvent-ils traiter de la sorte quelque chose de si précieux, de si fragile ?
— Je ne sais pas, répéta Jaguin en s’adossant au mur. Comment tu t’es fait ce bleu ? Je n’ai pas souvenir de l’avoir vu avant.
Gunner tendit la main et se frotta la mâchoire, grimaçant lorsqu’il toucha l’endroit sensible sur le côté droit. La blessure semblait récente. Une lueur malicieuse illumina ses yeux.
— C’est la précieuse et délicate femelle humaine que j’ai ramenée qui me l’a fait. J’ai essayé de lui voler un b****r, dit-il en riant avant de hausser les épaules. Audrey m’a mis au défi d’essayer. Comment pouvais-je résister à un tel défi ? Pour une guérisseuse et une femelle, elle peut frapper très fort. J’écouterai son avertissement la prochaine fois.
Jaguin secoua la tête et un sourire réticent se dessina sur ses lèvres avant qu’il ne disparaisse et qu’une expression intense ne traverse ses yeux. Son regard se redirigea vers la porte du bloc médical. Le souvenir des paroles de sa compagne le hantait.
— La femelle est ma compagne, déclara-t-il d’une voix rauque.
— Quoi ?! s’exclama Gunner d’un ton choqué qui résonna en lui. Tu en es certain ?
— Oui, répondit doucement Jaguin. Mon symbiote est avec elle. Mon dragon est sur les nerfs, tout comme moi. C’est… difficile de ne pas être avec elle.
Gunner frotta la zone rouge sur son menton et grimaça.
— Oui, ça l’est, marmonna-t-il en se redressant en même temps que Jaguin lorsque la porte du bloc médical s’ouvrit.
— Est-ce qu’elle… ? commença à dire Jaguin avant que sa gorge ne se serre.
Il prit une profonde inspiration avant de continuer.
— Comment va-t-elle ?
Tandor arborait une expression sinistre quand il fit un signe de tête aux deux hommes. Jaguin le regarda se passer une main lasse sur le visage et se frotter le menton avant de laisser tomber sa main le long de son flanc. Il fit signe à Jaguin et Gunner de le suivre dans le bloc médical.
Jaguin avança, son regard se portant machinalement sur la femme silencieuse allongée sur le lit. Il vit les épaisses b****s d’or vivant autour de son cou et de ses poignets. Son symbiote était assis à l’extrémité du lit, la tête posée sur les draps d’un blanc immaculé. De minces fils d’or s’élevaient du symbiote et remplaçaient les fins rubans qui ne cessaient de se déplacer sur son corps.
— C’est une bonne chose que tu sois son compagnon, répondit Tandor à voix basse en passant à côté des deux lits tandis qu’il se dirigeait vers la zone du bureau sur la gauche. Elle n’aurait pas survécu sans la capacité de ton symbiote à la guérir. Nous sommes beaucoup plus avancés dans le domaine médical que d’autres, mais rien n’égale un symbiote dans la guérison du corps.
— Et l’autre femme ? demanda Gunner en fronçant les sourcils. Elle n’est pas accouplée.
— Elle a un traumatisme crânien, ainsi que d’autres blessures, admit Tandor en secouant la tête. J’ai pu la guérir en majeure partie, mais même nos symbiotes ne peuvent pas guérir un esprit ou une âme brisés. La femme était consciente, mais elle n’a jamais parlé ou répondu. C’était comme si seul son corps était là et rien d’autre. Je peux voir les blessures infligées aux femelles sur un plan physique, mais je ne peux qu’imaginer les dégâts sur le plan mental. Seul le temps dira si elles survivront.
— Il faut que celle-ci survive, rétorqua Jaguin, se tournant pour jeter un nouveau coup d’œil par la vitre en direction de sa compagne. Elle… elle est mienne.
Le regard de Tandor suivit celui de Jaguin vers le visage paisible.
— Je sais, murmura-t-il. Tu dois être patient, Jaguin. Jusqu’à son réveil, je ne peux que supposer les dégâts subis par son esprit.
Le regard de Jaguin resta rivé sur le visage de la jeune femme. Il ne connaissait même pas son nom. Elle ressemblait à une statue pâle. Sa respiration était si faible qu’il voyait à peine sa poitrine se soulever et s’abaisser. Son symbiote se rapprocha et poussa un de ses bras fins de son museau.
L’espoir et la détermination s’embrasèrent en lui quand son bras glissa autour de la tête dorée. Il savait que c’était la poussée de son symbiote qui avait fait bouger son bras, mais pas ses doigts. La chaleur l’inonda lorsque les doigts de la femme s’enfoncèrent très légèrement dans le corps soyeux et lisse de son symbiote.
— J’attendrai, peu importe le temps que ça prendra, répondit Jaguin, cette promesse résonnant au plus profond de lui.
Sara était à nouveau piégée dans le cauchemar de ses souvenirs. Une petite partie de son cerveau lui disait qu’il ne s’agissait que d’un souvenir, que ce n’était pas réel, mais elle jurait qu’elle pouvait sentir sa chair se déchirer à chaque coup de fouet. Elle serrait tant les mâchoires qu’elle en avait mal aux dents, mais elle refusait de donner à Cuello la satisfaction de l’entendre crier.
Son corps se raidit de surprise lorsqu’elle sentit une vague de chaleur la submerger soudainement. C’était un raz-de-marée doré qui emporta la douleur et l’apaisa. L’espace d’un instant, elle ne parvint pas à reprendre son souffle. C’était comme si elle se faisait écarteler. Une partie d’elle était coincée dans l’horreur de sa captivité tandis que l’autre partie était libre alors qu’un autre monde s’élevait pour l’entourer.
Les images éclatantes qui explosèrent dans son esprit la submergèrent de confusion. Elle s’attendait à ce que sa mémoire la ramène à l’époque où elle était enfant, ou en Colombie quand elle travaillait à l’université. Au lieu de quoi, ce fut un monde étrange, différent, dans le bon sens du terme, de tout ce qu’elle avait jamais vu.
Ses doigts s’écartèrent involontairement lorsqu’elle tendit la main vers les herbes hautes. L’herbe était violette ! Elle n’en avait encore jamais vue de pareille. Sa main caressa les extrémités des brins d’herbe. Ses lèvres esquissèrent un sourire lorsqu’ils lui chatouillèrent la paume. Le faible sourire se transforma en un froncement de sourcils quand une nouvelle vague de chaleur l’envahit.
Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que je suis morte ? se demanda-t-elle en regardant la prairie.
Non, elila, tu n’es pas morte, seulement endormie, répondit une voix rauque.
Elle essayait de tout assimiler, son cœur tambourinant avec tant de force qu’elle croyait qu’il allait exploser. Le faible son d’un doux murmure la traversa un instant avant qu’elle ne sente quelque chose de froid contre sa joue. En quelques secondes, son corps se détendit. Peu importe ce qu’on lui administrait, cela l’attirait plus profondément dans la fosse dans laquelle elle était involontairement tombée.
Je vais me cacher là, pensa-t-elle quand son corps atterrit dans un lit en or moelleux. Il ne me trouvera jamais dans le noir.