LXXII
La vieille de Kor-Is
Deux jeunes hommes de Buguélès étaient allés nuitamment couper du goémon à Gueltraz ce qui est sévèrement prohibé, comme chacun sait. Ils étaient tout occupés à leur besogne, quand une vieille, très vieille, vint à eux. Elle pliait sous le faix de bois mort.
– Jeunes gens, dit-elle d’une voix suppliante, vous seriez bien gentils de me porter ce fardeau jusqu’à ma demeure. Ce n’est pas loin, et vous rendriez grand service à une pauvre femme.
– Oh bien ! répondit l’un d’eux, nous avons mieux à faire.
– Sans compter, ajouta l’autre, que tu serais capable de nous dénoncer à la douane.
– Maudits soyez-vous ! s’écria alors la vieille. Si vous m’aviez répondu : oui, vous auriez ressuscité la ville d’Is.
Et, sur ces mots, elle disparut.
(Conté par Françoise Thomas. – Penvénan, 1886.)
La montagne du Roc’h-Karlès, entre Saint-Michel-en-Grève et Saint-Efflam, sert de tombe à une ville magnifique.
Tous les sept ans, pendant la nuit de Noël, la montagne s’entrouvre, et par la fente on entrevoit les rues splendidement illuminées de la ville morte.
La ville ressusciterait, s’il se trouvait quelqu’un d’assez hardi pour s’aventurer dans les profondeurs de la montagne, au premier coup sonnant de minuit, et d’assez agile pour en être sorti, au moment où retentirait le douzième coup.
CHAPITRE XII
Les assassinés et les pendus
Toutes les fois qu’un accident suivi de mort immédiate se produit sur une route, il ne faut pas manquer d’ériger une croix aux abords de ce lieu, sinon l’âme du mort ne sera apaisée que lorsqu’un accident semblable se sera produit au même endroit. C’est pourquoi l’on rencontre le long des routes bretonnes tant de croix de pierre ou de bois plantées au flanc des talus.
Dans la Haule-Cornouaille, quand on passe devant ces « croix du malheur », l’usage est de jeter une pierre à leur pied dans la douve.
(Communiqué par Hourmant. – Collorec.)
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Sur la route de Quimper à Douarnenez se trouve la tombe d’un nommé Tanguy.
Il périt en cet endroit, assassiné.
On ne passe jamais devant le tertre de terre sous lequel il est enseveli, sans y planter une petite croix qu’on improvise à l’aide de quelque branche coupée aux haies voisines .
Oui manque à cette pratique risque de faire mauvaise rencontre en route et de mourir, comme Tanguy, de male mort.
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Lorsqu’une personne a été assassinée, si l’assassin entre dans la pièce où est déposé le corps, ou même, simplement, passe dans la rue, devant le seuil de la maison, les blessures du cadavre se rouvrent et se remettent à saigner abondamment.
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Il y a un procédé infaillible pour découvrir un assassin resté inconnu. Seulement, il n’est praticable que sept ans, jour pour jour, après le décès de la victime, alors que les reliques de celle-ci ont été exhumées et transportées au charnier.
Voici comment on fait. On choisit dans le charnier un des menus os de la main droite du mort, autant que possible un des os de l’index, on le trempe dans le bénitier de l’église, puis on l’enveloppe dans son mouchoir de poche et on le garde sur soi jusqu’à ce que l’on se rencontre en tête à tête avec l’individu que l’on soupçonne d’avoir commis le meurtre. On lui demande, sans faire mine de rien :
– Est-ce que vous n’avez pas perdu quelque chose ?
Lui, aussitôt, de chercher, de se tâter et, le plus souvent, de répondre :
– Non, je ne crois pas… Qu’est-ce donc que vous avez trouvé ?
Alors, vous tirez votre mouchoir, vous dépaquetez l’objet et, le serrant dans votre poing fermé, vous dites :
– Tendez la main.
Lui, sans méfiance, il la tend et vous y déposez l’osselet.
Il ne l’a pas plus tôt reçu que – si c’est lui le meurtrier – il le rejette bien vite, en faisant une vilaine grimace et en criant :
– Damné sois-je !… C’est un charbon ardent (eur c’hlaouen tan) que vous m’avez passé là !…
Et vous pouvez, en effet, constater qu’il a dans le creux de la main une grosse ampoule, comme si l’osselet du mort y avait imprimé la marque d’un fer rouge.
(Communiqué par Françoise Thomas. – Penvénan.)
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Les sonneurs, qui sonnent le glas pour quelqu’un qui a péri de mort violente, sans qu’on ait pu découvrir par quelle cause, savent, dit-on, d’après la voix des cloches, s’il y a eu accident ou crime.
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L’instrument, quel qu’il soit, qui a servi à commettre un meurtre, blesse inévitablement toute personne qui veut l’utiliser par la suite pour un usage normal. C’est ainsi que, lorsqu’un moissonneur se coupe avec sa faucille, un ne manque jamais de dire :
– Ar fals-man, zur mad, a zo eun dra bennag a fall da lard warnhi (Cette faux, assurément, il y a quelque chose de mal à dire sur elle).
Entendez qu’on a dû, précédemment, l’employer à quelque mauvais coup.