LXII
Celle qui s’était noyée
Marie Kerfant, la fille de mon parrain, se noya volontairement à Servel. Quand on retrouva le cadavre, les yeux avaient été mangés par les crabes. Les parents furent fort affligés de cette mort. Ils aimaient beaucoup leur fille et l’avaient mariée avantageusement à un brave homme. Du vivant de Marie, ils n’avaient eu qu’un reproche à lui faire, celui d’être trop ambitieuse. Quelque temps avant de se noyer, elle était venue trouver son père.
– Mon père, lui avait-elle dit, mon mari n’est pas à sa place dans la petite métairie que nous occupons. Il lui faudrait une ferme plus importante. Celle du Bailloré est libre. Prêtez-nous mille écus, et nous la pourrons louer.
– Non, répondit mon parrain, je ne te prêterai pas ces mille écus. Ton mari ne tient nullement à quitter la ferme où vous êtes et où vous vivez très à l’aise. C’est toi qui as toujours dans la tête mille projets ruineux. Je ne veux pas t’encourager dans cette voie qui te mènerait promptement à la mendicité.
Marie Kerfant ne répliqua mot, mais elle s’en alla toute pâle, tant elle était vexée de ce refus et de cette réprimande.
Quinze jours après, on apprenait sa mort.
Ses parents n’osèrent même pas recommander des messes pour son âme, craignant qu’elle ne fût damnée.
Or, une nuit que la vieille Mac’harit, la femme de mon parrain, tardait à s’endormir, elle entendit sur le banc-tossel, près du lit, une voix qui demandait :
– Ma mère, dormez-vous ?
– Non, en vérité, répondit Mac’harit. Est-ce bien toi, ma fille, qui me parles ?
– Oui, c’est moi.
– Pourquoi, malheureuse, as-tu fait ce que tu as fait ?
– Parce que le père n’a pas voulu m’aider à m’établir au Bailloré.
– Nous l’avons pensé depuis. Tu avais grand tort aussi d’être si exigeante…
– Ne parlons plus de cela.
– Puisque tu reviens, c’est que tu n’es pas damnée. Dis-moi comme vont tes affaires dans l’autre monde.
– Ma foi, jusqu’à présent je n’ai pas trop à me plaindre, grâce à deux baisers que j’ai reçus de la Vierge, après avoir été noyée. Toutefois la justice de Dieu est encore à venir.
Elle ne dit point ce que signifiaient ces paroles, et sa mère se donna garde de la questionner là-dessus. La morte cependant ajouta :
– Priez mon homme, de ma part, de ne point se remarier avant six ans. D’ici là, il ne sera pas entièrement veuf. S’il n’attend pas que ce délai soit expiré, il fera croître ma pénitence.
– Je le lui dirai, prononça Mac’harit. Et moi, ne puis-je rien pour toi ?
– Si, vous pouvez supplier en mon nom Notre-Dame de Bon-Secours, de Guingamp, afin qu’elle continue à m’être favorable.
– C’est bien. Mais de ce qui est dans la maison n’y a-t-il rien qui te convienne ?
– Je n’ai besoin de rien.
– Tu vis, cependant. Explique-moi donc comment tu fais pour vivre ?
– Vous voyez, je suis vêtue de haillons. Ce sont les vêtements que vous donnez aux pauvres. Je me nourris de même du pain que vous leur distribuez.
Ce disant, elle disparut. On ne la revit plus. Elle est sans doute sauvée, car sa mère accomplit son vœu à Notre-Dame de Bon-Secours, et son mari attendit sept ans pour reprendre femme.
(Conté par Fantic Omnès. – Bégard, 1887.)
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Pour retrouver le cadavre d’un noyé, on prend une botte de paille ou une planche, on y assujettit une écuelle de bois qu’on emplit de son, et dans le son on plante une chandelle bénite, allumée. On pose le tout sur l’eau. La chandelle se dirige vers l’endroit où gît le cadavre. Il n’y a qu’à chercher là où elle s’arrête.
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Quand on retire de l’eau le cadavre d’un noyé, il se met à saigner du nez, si parmi les personnes présentes se trouve quelqu’un de ses proches.
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Lorsqu’un équipage de barque vient à périr en mer, c’est toujours le corps du patron que l’on retrouve en dernier lieu.
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Quand il y a des naufrages dans la baie de Douarnenez, la mer transporte les noyés dans la grotte de l’Autel, près de Morgat. Leurs âmes séjournent en ce lieu pendant huit jours, avant de partir définitivement pour l’autre monde. Malheur à qui troublerait leur pénitence, en s’aventurant dans la grotte durant ces huit jours ! il y périrait de male mort.
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Les nuits de tourmente, on entend tout le long de la côte les noyés qui s’appellent entre eux.
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Quand un pêcheur périt en mer, les goélands et les courlis viennent siffler et battre de l’aile aux vitres de sa maison.
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À Gueltraz (île Saint-Gildas), près de Port-Blanc, on voit souvent débarquer des noyés qui viennent faire provision d’eau douce. Ils cheminent, silencieux, en une longue procession qu’une femme conduit. Quelquefois cependant on les entend chuchoter entre eux à voix basse. Mais de leur conversation on ne distingue jamais qu’un mot : ia ! ia !… (oui ! oui !…)
La silhouette de leur navire s’aperçoit au loin, comme perdue dans les nuages.
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Quand les pêcheurs de Trévou-Tréguignec s’embarquent la nuit pour la pêche, ils voient souvent des mains de cadavres se cramponner au bordage des bateaux. Les femmes ne s’accrochent pas ainsi avec les mains, mais elles laissent flotter sur les eaux leurs cheveux, où les rames s’embarrassent.