Chapitre 4

3225 Words
CHAPITRE 4Je n’avais pas inventé une excuse pour Myriam. Le lendemain, j’avais une réunion importante au siège, dans la banlieue ouest, avec les autres délégués, les directeurs de région, José et le directeur national, un grand brun ténébreux. Je me fis la réflexion qu’il y avait un « look » particulier, un peu macho, dans ce laboratoire. Le genre beau garçon y était assez répandu, et les femmes assez rares… Cela dit, il ne fallait pas se laisser endormir par ce physique de jeune premier. Patrick Aulne était un professionnel averti, formé à la méthode américaine – la maison mère était aux États-Unis –, et très exigeant. Après avoir fait le point sur les actions en cours et la stratégie commerciale, il laissa s’installer un silence inhabituel. Personne n’osait prendre la parole, pressentant qu’il allait nous donner une information importante. – Bon, maintenant, il faut voir ce problème de dialyseurs1 manquants. Je ne comprends pas ce qui se passe et ça risque de nous porter un préjudice commercial grave. – J’ai été averti de ça tout récemment, intervint José. Il peut arriver qu’il y ait une erreur ponctuelle dans les quantités livrées. Mais là, ça devient troublant car ça s’est produit dans quatre hôpitaux différents. L’hôpital de Pontchaillou à Rennes, le centre hospitalier Sud Francilien, l’hôpital du Bocage à Dijon, et le centre hospitalier d’Avignon. – Eh bien, Messieurs les directeurs de région, à vous de jouer. Il me faut des réponses très rapidement. Comme je m’y attendais, dès la sortie de la réunion, Gilles, notre régional, nous refila le bébé en nous faisant valoir que nous étions sur le terrain, donc les mieux placés pour mener notre enquête. Je n’avais plus qu’à faire un petit voyage à Rennes. Je me consolai en me disant que je pourrais peut-être goupiller un arrêt à Chartres à l’aller ou au retour, si Isabelle arrivait à se libérer un après-midi… * Mon enquête à Rennes se révéla infructueuse. Le service de néphrologie s’était trouvé à court de reins, malgré une commande faite en temps et en heure. La consommation du service faisait l’objet d’un suivi très régulier. Le pharmacien avait reçu une livraison conforme d’après nos bordereaux, mais manifestement le compte n’y était pas, d’où cette rupture de stock. Il fallait donc imaginer un vol de dialyseurs, soit dans la pharmacie, soit à l’intérieur même du service. Un des membres du personnel, médical ou non, subtiliserait des reins pour… pour qui d’ailleurs ? La comptabilité des centres privés était tout aussi minutieuse que celle des centres publics. Je ne pouvais concevoir un trafic de cet ordre dans aucun des centres de la région que je connaissais. On marchait sur des œufs, s’il fallait ne fût-ce qu’effleurer une de ces hypothèses. Plus troublant encore était le fait que ces incidents survenaient en même temps aux quatre coins de l’hexagone. Pour ajouter à ma déception, Isabelle m’annonça qu’elle ne pourrait s’échapper pour passer un moment avec moi, aussi bien à l’aller qu’au retour. Je rentrai frustré et découragé, et je m’attendais à ce que l’ambiance de la prochaine réunion soit du genre polaire si les autres délégués avaient rencontré autant de succès que moi dans leurs investigations. * Ce soir-là, j’appelai Esther en arrivant à Paris. J’avais envie de tendresse. Malheureusement elle devait participer à une réunion de famille incontournable avec ses vieilles tantes. Je n’insistai pas, connaissant l’importance de ces réunions dans les familles juives. Et, ne pouvant me résoudre à passer cette soirée seul, je tentai le coup avec Myriam. Si ça marchait je savais que j’aurais droit à l’érotisme plus qu’à la douceur. Mais je ne m’en plaindrais quand même pas ! Elle sembla deviner mes coupables intentions dès qu’elle décrocha. – Ah, alors ce soir, tu n’as trouvé personne d’autre, c’est pour ça que tu m’appelles ? – Mais pas du tout, bredouillai-je, pris de court. J’ai eu une journée difficile à Rennes et je me demandais si tu accepterais de prendre un pot avec moi. – Qui as-tu donc rencontré là-bas ? Encore des femmes ? – Bah tu sais, elles sont nombreuses dans la profession. Oui, le pharmacien du CHU est une femme… – Blonde ? Brune ? Je l’atomise tout de suite ! Impossible de savoir si elle était sérieuse. « Attention, ce qu’on dit en plaisantant traduit souvent une pensée inavouée », me disait une de mes ex. Lorsqu’elle en eut assez de jouer avec mes nerfs, elle m’invita à prendre un pot chez elle. J’aurais préféré m’installer à une terrasse, mais je savais qu’avec elle, toute discussion était inutile. Et cette invitation signifiait peut-être qu’elle envisageait de m’attirer dans son lit. Je ne me trompais pas. Cette fois-ci, je me préparai à rester toute la nuit si elle me le proposait. J’avais toujours de quoi me changer dans la voiture en cas de bonne fortune. Je ne dormis pas beaucoup. Myriam avait un tempérament de feu et notre complicité érotique était devenue exquise. Je m’écroulai de fatigue au petit matin. Un léger bruit me réveilla un peu plus tard. Je cherchai son corps de rêve à tâtons. Elle n’était plus dans le lit. J’ouvris un œil. Myriam était assise dans un fauteuil, nue, et feuilletait mon agenda. Je toussai et remuai bruyamment pour attirer son attention. Elle sursauta et, rapide comme l’éclair, remit l’agenda en place dans mon veston, puis se coula à côté de moi comme si rien ne s’était passé. Cet épisode me contraria beaucoup car, ce matin-là, sa jalousie maladive m’apparut de façon éclatante. Je décidai de redoubler de prudence à l’avenir, mais je ne pouvais me résoudre à abandonner une amante aussi exceptionnelle. La chair est faible… Lorsque je racontai cet incident à José, il partit encore dans un de ces délires dont il avait le secret. « Cette fille est manifestement une combattante très sérieuse, mon vieux. C’est le genre monoplace rageuse dont les pneus hurlent dans les tournants serrés, alors que tant d’autres sont des limousines bâties pour le confort ! Mais elle doit manier aussi bien la ciguë et le stylet que le levier de changement de vitesse. Méfie-toi ! Je t’ai déjà prévenu. Tu devrais peut-être laisser tomber le chantier. » * Mes collègues chargés d’éclaircir le problème des disparitions de dialyseurs rentrèrent aussi bredouilles que moi. À l’exception de celui qui avait en charge le centre hospitalier Sud Francilien. L’explication, rapidement trouvée, se révéla cuisante pour l’hôpital. Spécialiste des stocks zéro, le pharmacien responsable s’était trompé dans ses commandes et avait cherché à mettre l’erreur sur le compte du service ! Pour les autres hôpitaux, notre direction décida, bien sûr, de fournir gratuitement les dialyseurs manquants et de surveiller de près les livraisons ultérieures. L’été s’écoula sans que de nouvelles pertes soient signalées. Nous commencions à supposer, tout simplement, une erreur dans les quantités distribuées. Je passai quinze jours au Portugal, puis m’installai dans le Lubéron chez des amis qui avaient restauré une maison ancienne et construit une piscine, au pied d’Oppède-Le-Vieux. J’avais réussi à y entraîner Esther. Nous y passâmes un séjour de rêve. Je la sentais de plus en plus détendue. J’avais réussi à lui cacher toutes mes frasques. J’en étais un peu honteux, mais je voulais avant tout la protéger. Mes amis étaient aux anges. Cathy, la maîtresse de maison, me prit un jour à part en me disant qu’Esther était une fille bien et qu’il serait temps que j’envisage de me ranger. Octobre arriva, et par bonheur nos marchés furent renouvelés par la quasi-totalité de nos clients. Nous avions bien fait de nous montrer grands d’Espagne. Je revis Myriam plusieurs fois, accueilli régulièrement par les menaces de tirs nucléaires sur toute personne de s**e féminin qui m’approcherait à moins de cinq cents mètres. J’essayai de ne pas y faire trop attention, mais je la surpris à plusieurs reprises en train de fouiller dans mon agenda ou de manipuler mon portable à la recherche de quelque correspondante. Je ne pouvais pas effacer le contenu de mon répertoire. En revanche, je pris l’habitude de faire disparaître mes SMS et l’historique de mes appels avant de la retrouver. De mon côté, je ne savais toujours presque rien d’elle. Avait-elle été mariée ? Avait-elle des enfants ? Elle éludait mes questions. L’ambiance s’alourdissait entre nous ; je supportais de plus en plus mal ses violences verbales. Mais lorsqu’elle s’offrait à moi avec une impudeur incroyable, j’oubliais tout le reste. * Un soir où je travaillais dans les Yvelines, j’allai rendre visite à Brigitte. Comme d’habitude, nous nous livrâmes une fête des sens, décontractée, sans arrière-pensée ni réflexion désagréable. Un moment de détente complète, comme si je me plongeais dans un bain moussant. Mais Brigitte était fine mouche. – Tu m’as l’air un peu préoccupé en ce moment. Tu as des soucis ? – Bah, il y a toujours des petits problèmes au boulot, mais rien de grave. – Mais toi, tu vas bien ? – Mais oui, assurai-je d’un air fort peu convaincant. Je fus sauvé pas le gong, c’est-à-dire par la sonnerie de mon portable. Je me levai pour le récupérer dans mon pantalon, jeté sur une chaise. – Excuse-moi. – Ne t’en fais pas pour moi, répondit-elle avec son inaltérable gentillesse. C’était Esther. J’étais surpris car elle m’appelait rarement. C’était presque toujours moi qui prenais contact. Je m’éloignai vers la pièce voisine, nu, le téléphone à l’oreille, car Brigitte avait beau être très tolérante, je trouvais indélicat de lui infliger une conversation intime avec une autre. Mais Esther n’était pas d’humeur frivole. Elle semblait paniquée. – Excuse-moi de te déranger, Francis, mais j’avais besoin de te parler. – Tu ne me déranges pas du tout, mentis-je, j’étais en train de lire. – J’ai trouvé hier soir sous ma porte un avis de passage d’un huissier, m’enjoignant de venir retirer un document à son étude. Je ne te l’avais pas dit, mais il n’y a pratiquement plus de boîtes aux lettres dans l’immeuble depuis un bon moment. Elles ont été vandalisées et ne sont pas encore réparées. C’est un vieil immeuble et le syndic ne se remue pas beaucoup. Je n’aime pas du tout ces papiers-là et je suis très perturbée. – Calme-toi, Esther. Ce n’est probablement rien de grave. – Je ne vois pas du tout ce que ça peut être, mais ça me fiche la trouille. Les huissiers, ça n’annonce jamais rien de bon. Sa voix tremblait au téléphone. – Tu y passes quand ? Demain ? – Je ne peux absolument pas, je suis trop occupée ces jours-ci. J’y vais la semaine prochaine. J’espère que ce n’est pas trop urgent. En même temps j’ai peur d’y aller, c’est pour ça que je recule au maximum. – Veux-tu que je t’accompagne ? Je peux essayer de me libérer. – Non, non, je vais y aller seule. Ce serait ridicule, il faut que j’y aille seule, répéta-t-elle d’un ton buté. – Alors, je passe te voir demain soir. Ah non, j’oubliais, demain j’ai une réunion importante (je venais de me rappeler que je devais dîner avec Myriam. Si j’annulais, j’étais mort !). Après-demain, ça te va ? – Cette fois, c’est moi qui ne peux pas, j’ai un travail important à remettre vendredi matin, il faut absolument que je le termine jeudi soir. – Alors, vendredi soir ? – Mon pauvre Francis, nous jouons de malchance. Vendredi c’est le jour où je vais voir mes tantes. Viens samedi soir si tu peux. – Attends, attends. Pour une fois, tu ne pourrais pas manquer le shabbat avec tes tantes et partir en weekend avec moi ? Je t’emmènerais en Normandie. Ça te changerait les idées ! Il y eut un petit silence au bout du fil. Je sentis qu’elle était tentée par ma proposition. – Pourquoi pas ? Je ne suis pas d’astreinte ce weekend. Je vais essayer de négocier ça avec elles. Peux-tu me rappeler demain matin, je te donnerai la réponse. Pour le reste, ça va aller, ne t’inquiète pas. – Esther, n’hésite pas à me téléphoner quand tu veux, vraiment. J’insiste. À cet instant, je compris que je l’aimais. Je me fis même la promesse invraisemblable de lui rester fidèle. Lorsque je revins dans la chambre, un peu gêné, Brigitte me sourit gentiment mais ne fit aucun commentaire. Elle avait tout compris. * Je rappelai Esther comme convenu. Elle m’annonça joyeusement qu’elle pouvait se libérer le vendredi, et m’avoua qu’elle avait subi un interrogatoire en règle concernant le jeune homme responsable de ce manquement à la tradition… J’étais ravi. Je ne savais pas que c’était la dernière fois que je lui parlais. * La soirée avec Myriam démarra mal. J’arrivai encore préoccupé par l’appel téléphonique de la veille et elle le sentit tout de suite. – Alors, ce soir c’est moi et hier c’était qui ? Tu as une santé exceptionnelle. Dis-moi, tu en es à combien de Viagra par semaine ? Il faut que je sorte tous les missiles de ma réserve ? – Arrête, Myriam, ce n’est plus drôle. Je ne passe pas mon temps à voir d’autres femmes, affirmai-je sans me démonter. Pour toute réponse, elle s’assit souplement sur son canapé et s’attaqua à la ceinture de mon pantalon avec dextérité. – Eh bien, puisque tu es venu pour ça… Elle avait mis un pull moulant et une jupe ample à volants, sous laquelle elle portait des stay-up et des dessous vert pomme. Comme toujours, elle savait me rendre fou d’excitation et plus rien d’autre n’exista que mon désir, attisé par son parfum provoquant. Lorsque je m’abandonnai, je criai si fort qu’elle me couvrit la bouche de sa main avec un sourire satisfait. Bien plus tard, je me levai en titubant pour aller boire un verre d’eau. L’heure du dîner était largement passée. À mon retour, je compris qu’il s’était passé quelque chose. Elle était assise sur le lit, le regard glacial, les lèvres serrées, d’un rouge très foncé. Si elle avait eu les cheveux noirs, elle aurait été parfaite pour le rôle de Cruella. – C’est qui, cette pouffe d’Esther ? Je réalisai simultanément que j’avais laissé mon portable à côté du lit et surtout que j’avais oublié d’effacer les derniers appels reçus. Décidément, Esther m’avait perturbé. – Tout simplement une pharmacienne de l’hôpital Foch, un des établissements dont je m’occupe. Ne me dis pas que tu as fouillé dans mes affaires, quand même… Elle ne se donna même pas la peine de relever. – Et elle est enregistrée dans ton portable sous son prénom, bien sûr. Tu vas me faire croire que ce n’est qu’une relation de travail. Celle-là, elle est morte. Condamnée. Je la tue. Nom, adresse. Pourquoi eus-je l’impression qu’elle jouait la comédie ? Pas de la jalousie, qui paraissait bien réelle, mais de la découverte d’une rivale. Elle forçait le trait, mais j’avais l’intuition qu’elle connaissait l’existence d’Esther depuis longtemps. Son nom était dans mon téléphone et dans mon agenda, avec son adresse, il ne lui aurait pas été difficile de la relever. Je me résolus à demander à Esther si elle avait reçu récemment des appels téléphoniques bizarres. En espérant que ça ne lui mettrait pas la puce à l’oreille. N’était-il pas trop tard, d’ailleurs ? Son trouble de la veille n’était-il motivé que par cette histoire d’avis de passage d’un huissier ? Pour l’instant, je ne pouvais pas baisser la garde devant cette furie. – Arrête ça, Myriam. Franchement, c’est un peu lassant. Et je trouve inacceptable que tu fouilles dans mes affaires. C’est un manque de respect que je ne me permettrais pas. Et je sais que ce n’est pas la première fois. Je n’ai rien dit avant, mais… – Ah, parce que tu me surveilles maintenant ! coupa-t-elle avec une incroyable mauvaise foi. – Stop, stop, ça suffit, on arrête tout de suite. Cette discussion est ridicule ! J’avais levé mes deux mains, paumes en avant, comme pour me protéger. Elle resta assise sur le lit, le visage fermé. – Je t’ai tout donné, et qu’ai-je reçu en retour ? Je suis sûre que tu me trompes tout le temps. Ça ne se passera pas comme ça. Je ne les laisserai pas me prendre mon homme. Des larmes coulèrent sur ses joues. Elle arrivait encore à retourner la situation. Je me sentais coupable, d’une part parce qu’elle avait percé à jour mon infidélité chronique, d’autre part parce que je n’avais pas réalisé à quel point elle était attachée à moi. Ce que j’avais pris pour une grande connivence sexuelle n’était que le témoignage de son amour. Son ironie était une façade et je la faisais souffrir. Incapable d’ajouter un mot, je ramassai mes affaires en silence et quittai son appartement. * Le lendemain, une bonne surprise m’attendait, qui allait peut-être me faire oublier cette soirée calamiteuse. Vers 11 heures, je reçus un appel d’Isabelle. – Francis, je t’appelle à tout hasard. Mes enfants sont partis pour les congés de la Toussaint et mon mari n’est pas là pendant deux jours. Tu ne passes pas ce soir dans le coin par hasard ? – Mais ça peut s’organiser, bien sûr, répondis-je, émoustillé par la proposition. Vers vingt heures, ça te conviendrait ? – C’est parfait, mais je dois rester sur place. Mon mari appelle tous les soirs. Je te préparerai un petit en-cas. – Mais ça ne pose pas de problème que je vienne chez toi ? – Non. Il faut seulement prendre quelques précautions à cause des voisins. En particulier, ce serait mieux de garer ta voiture loin de la maison. Passe-moi un coup de fil dès que tu es là. J’ouvrirai la porte. Tu pourras entrer discrètement. Un court instant, je la soupçonnai d’utiliser cette manœuvre avec d’autres amants, mais je chassai cette idée inconvenante. La soirée qui s’annonçait si bien commença mal. Des encombrements monstrueux me retardèrent. À vingt heures, j’étais encore au péage de Saint-Arnoult… Je passai un coup de fil à Isabelle pour l’avertir de mon retard, et mon portable tomba en panne. Pour couronner le tout, j’étais au bord de la panne sèche ! Je m’arrêtai à la première station-service après le péage pour faire le plein et demandai le téléphone. Isabelle prit la situation avec humour. – Il n’y a qu’à toi que ça arrive. Ne t’inquiète pas, je vais entrouvrir la porte d’ici vingt minutes. Je profitai de la cabine téléphonique pour appeler Esther, mais je tombai sur le répondeur. Je l’ignorais, mais à cet instant, elle était déjà morte. Après un moment d’hésitation, je raccrochai sans laisser de message. * Je passai un moment délicieux avec Isabelle. J’étais touché qu’elle m’invite chez elle, quoiqu’un peu anxieux. Dans ces situations, je me méfie toujours du mari soupçonneux qui fait mine de laisser le champ libre pour mieux piéger sa femme. Mais la soirée se déroula sans encombre. Il appela vers vingt et une heures trente, Isabelle lui répondit très naturellement. Ensuite, nous pûmes profiter l’un de l’autre sans craindre de sursauter à la première sonnerie de téléphone. Mais je n’osai pas dormir là-bas, et d’ailleurs, Isabelle ne me le proposa pas. * Le lendemain, je m’éveillai un peu plus tard que d’habitude. Ça tombait bien, je n’avais pas de rendez-vous avant onze heures. Mon portable était rechargé. Je préparai en sifflotant mon sac pour le week-end, cherchant un endroit digne de nous accueillir en Normandie. Honfleur ou Deauville ? Nous aviserions le moment venu. La journée passa rapidement et j’arrivai chez Esther, d’humeur guillerette, vers dix-sept heures. J’avais retenu entre-temps une chambre à Honfleur. Mais j’eus la mauvaise surprise de trouver porte close. Aucune réponse à mes coups de sonnette répétés. Je commençai par appeler Foch, pensant qu’elle avait été retardée et qu’elle se trouvait encore à la pharmacie, mais on me répondit qu’on ne l’avait pas vue de la journée. Du palier, je composai son numéro, sans succès. J’entendais le téléphone sonner à l’intérieur de l’appartement. Je ne savais que faire. Il n’y avait pas de concierge dans l’immeuble et je n’avais évidemment pas les coordonnées de ses tantes. Je décidai d’attendre encore un peu. Elle était peut-être partie faire quelques courses. Au rez-de-chaussée, une impression d’abandon se dégageait des boîtes aux lettres éventrées. À vingt heures, je renonçai à attendre davantage. Esther avait eu un empêchement grave. Elle n’avait pourtant enregistré aucun message sur mon répondeur. Je n’arrivais pas à croire qu’elle me faisait faux bond. Elle semblait si contente de partir en week-end. Devais-je prévenir la police ? À quel titre ? Je n’étais même pas de la famille. Je tentai quand même le coup et comme je le craignais, je me fis envoyer sur les roses. Mon interlocuteur pensait à une querelle d’amoureux ou je ne sais quoi. Je rentrai chez moi oppressé. Je dormis très mal. Où pouvait-elle être ? Que lui était-il arrivé ? Le samedi vers huit heures, on sonna à ma porte. Oubliant qu’Esther ne connaissait pas mon adresse, je me précipitai, le cœur battant. Pour tomber nez à nez avec deux hommes à l’air aimable d’un bouledogue mal réveillé. – Hé là, vous m’avez fait peur. Qui êtes-vous ? – Désolé. Vous êtes bien Francis Liotais ? dit l’un des molosses. – Oui, c’est bien moi. C’est à quel sujet ? Je suis pressé, j’ai un rendez-vous. – Je crains que votre rendez-vous ne doive attendre, répondit l’homme en montrant un insigne barré de tricolore. Lieutenant Pivert, de la Police Judiciaire. Et voici mon collègue Robin, ajouta-t-il en désignant son acolyte. Nous souhaiterions vous poser quelques questions. – Mais que se passe-t-il ? – Vous connaissiez bien Mademoiselle Esther Stern ? L’utilisation de l’imparfait me glaça. – Qu’est-il arrivé ? J’avais rendez-vous avec elle hier soir. – Nous pensions que vous pourriez nous aider à le savoir. Mademoiselle Stern a été assassinée jeudi soir. Pouvez-vous nous suivre à la P. J. ? Nous avons quelques questions à vous poser. 1. On appelle dialyseur la partie du rein artificiel où le sang est filtré au cours de la dialyse. Il s’agit d’un cylindre en plastique d’une vingtaine de centimètres de long, rempli de fibres creuses, utilisé à chaque séance. En jargon médical, on dit volontiers « rein ».
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