Chapitre 1

804 Words
1 Emma Je pleure pendant la première heure du vol de deux heures et demie vers Orlando. Je ne peux pas m’en empêcher. Mon cœur n’est pas seulement brisé, j’ai l’impression qu’on l’a arraché de ma poitrine. Et c’est moi qui l’ai fait. J’ai dit à Marcus que je ne pouvais pas emménager avec lui. Je lui ai dit que c’était fini. Mes voisins de siège, un chauve d’une cinquantaine d’années près du hublot et une adolescente blonde du côté de l’allée, s’écartent de moi lorsque je me mouche pour la cinquième fois. Seulement, il n’y a nulle part où aller. Bon, techniquement, la blonde peut se lever et s’éclipser aux toilettes, mais elle l’a déjà fait trois fois pour prendre ses distances, alors elle reste en place et me jette quelques coups d’œil désapprobateurs. Je ne lui en veux pas. La seule chose pire qu’un bébé qui pleure dans un avion, c’est un adulte qui pleurniche. — Vous, euh… ça va ? C’est l’homme chauve, qui tente enfin une gentillesse, et je secoue la tête, souriant à travers mes larmes. — Oui, désolée. Juste une… Je ravale la boule dans ma gorge. — Une rupture difficile. — Oh, super, fait l’adolescente, dont le visage s’illumine sensiblement. Je pensais que tu venais d’apprendre que tu avais un cancer ou quelque chose comme ça. Je grimace avec l’impression d’être une minable. Parce qu’elle a raison, ça pourrait être bien pire. Les gens vivent tous les jours de véritables tragédies, des horreurs qu’ils ne peuvent éviter. Alors que c’est moi-même qui me suis infligé la douleur que je ressens. Il y a quelque temps, j’ai rencontré Marcus Carelli, un milliardaire spécialisé dans les fonds spéculatifs, si loin de mon milieu qu’il vient presque d’une autre planète. Je suis tombée amoureuse de lui en sachant que nous n’avions pas d’avenir, et maintenant j’en paie le prix. — J’ai connu une rupture difficile une fois, confie l’adolescente en mâchonnant son ongle vert brillant. Ce connard m’a trompée avec ma meilleure amie au collège. Elle l’a embrassé derrière les gradins du stade, tu te rends compte ? — Oh, waouh, c’est terrible. Je suis désolée, dis-je sincèrement. Au collège ou ailleurs, c’est toujours douloureux. Au moins, Marcus ne m’a jamais trompée. Il a disparu pendant trois jours après un week-end incroyable ensemble, mais pour autant que je sache, aucune autre femme n’était impliquée. Enfin, sauf Emmeline. Elle est toujours là, entre nous, elle ou un quelconque clone tout aussi parfait. — Bah, ce sont des choses qui arrivent, dit la fille avec philosophie en haussant les épaules. Et toi ? Qu’est-ce que ce crétin a fait ? — Il… Je déglutis à nouveau. — Il m’a poursuivie à l’aéroport et il m’a demandé d’emménager avec lui. La fille et l’homme me dévisagent comme si une méduse venait d’apparaître sur ma tête et je m’empresse d’expliquer : — Il ne le pensait pas. Pas comme les gens dans ces circonstances. Disons que c’est une affaire de commodité pour lui. Il va épouser quelqu’un d’autre. Il me l’a dit lors de notre première rencontre et… — Il est fiancé ? s’exclame la jeune fille avec horreur. — Non, non, dis-je en secouant la tête. Ils n’ont pas encore commencé à sortir ensemble. Ce ne sera pas forcément elle, d’ailleurs. Il a un critère très particulier, en fait, et je n’y corresponds pas. Pas du tout. Il y a une alchimie, mais ça ne suffit pas pour une relation à long terme. Je ne suis pas le genre de fille qu’il voudrait présenter à ses amis ou à ses clients. Au mieux, je ne suis qu’un divertissement pour lui, et tôt ou tard, il va s’ennuyer et s’en aller. Et alors… Je laisse traîner ma phrase dans un souffle tremblant. — Ce serait bien pire. — Donc, vous avez envoyé paître ce pauvre homme à titre préventif ? L’homme a l’air fasciné, comme si je lui offrais un aperçu spécial de la psychologie féminine. — Un peu comme on frapperait le premier dans un combat, pour minimiser les risques de perdre ? J’acquiesce et me mouche à nouveau. — Oui, en quelque sorte. Sauf si le but est de gagner ce combat, j’ai déjà perdu. Mon cœur appartient à l’homme dont je me suis éloignée, et il est difficile d’imaginer que cela puisse faire plus mal que maintenant. Pourtant, je suis certaine d’avoir fait le bon choix en rompant avec lui. Si je ressens cela après un week-end ensemble, je n’ose pas imaginer combien ce serait pire encore si j’étais avec Marcus depuis un certain temps. Non, c’est le seul moyen. Il faut arracher le pansement – emportant un morceau de mon cœur, en l’occurrence – et aller de l’avant. La plaie est appelée à guérir avec le temps. N’est-ce pas ?
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