Chapitre 4
L’atmosphère s’était figée comme si l’air s’était épaissi d’un seul coup. Aucun de mes frères ne parlait, et je me retrouvais prisonnier d’un mélange de colère et d’inquiétude qui me comprimait le thorax. Impossible de chasser Olivia de mes pensées : l’image d’elle, seule sur le toit sous une chaleur écrasante, me vrillait l’esprit. Une part de moi voulait mettre un terme à tout ça, ouvrir la porte et ordonner qu’on la libère. L’autre murmurait que ce serait céder, montrer une faille devant celle qui m’avait un jour piétiné sans hésiter.
« Qu’est-ce qu’elle comptait faire de ce qu’elle a pris ? » lâcha finalement Levi, d’une voix qui vibrait de rage.
Je tournai la tête vers lui. Son regard noir n’avait rien à envier au mien.
Louis renifla, les mâchoires serrées. « Peut-être qu’elle l’a volé pour un mec. »
Cette simple hypothèse me transperça, brutale et stupide, mais suffisante pour me faire bondir. « Dites aux gardes de retourner sa chambre. Qu’ils cherchent partout. »
Je ne restai pas pour entendre leurs réponses. J’avais besoin de m’isoler.
Ma chambre ressemblait encore à la scène d’un ouragan : éclats de verre, tiroirs éventrés, papiers déchirés. Je traversai ce chaos sans un regard et attrapai la première bouteille du minibar. La brûlure du whisky m’arracha un souffle rauque, sans pour autant apaiser les pensées qui tournaient en rond.
Je m’effondrai sur le lit, les yeux fixés sur la fenêtre. Dehors, le soleil frappait fort. Trop fort. Et là-haut, Olivia…
« Si tu tiens à elle, arrête. »
La voix de mon loup me traversa comme un grondement étouffé.
« Jamais », répliquai-je intérieurement. « Elle ne s’est pas demandé comment j’ai encaissé ce qu’elle m’a fait subir. »
La porte claqua soudain et Anita entra, ses sourcils se haussant devant le désordre puis devant la bouteille que je serrais encore.
« Lennox… tu bois à cause du collier ? » demanda-t-elle, soucieuse.
Je déglutis. La réponse que je voulais donner resta coincée dans ma gorge. Ce n’était pas un bijou qui me rongeait. C’était Olivia. Mais ça, personne n’avait besoin de le savoir.
« Oui. C’était pour toi », soufflai-je finalement.
Elle s’approcha, me prit la bouteille des mains et la posa sur la table, avant de ramener son regard au mien.
« Tu n’as pas à te torturer pour ça. Tu m’en rachèteras un autre, Lennox. Ce n’est qu’un objet. »
Elle avait raison. L’argent n’avait jamais été un souci. Ce qui me détruisait n’avait rien à voir avec des diamants.
« À moins que… » Elle plissa légèrement les yeux. « …il y ait autre chose. »
Je secouai la tête aussitôt. Son sourire s’étira lentement, un sourire que je connaissais bien.
« Je vois. »
Elle se releva, s’approcha encore et posa ses mains de part et d’autre de mon visage, comme pour m’arracher une confession silencieuse. Elle ne dit rien d’explicite — elle n’en avait jamais besoin. Je sentis simplement sa présence, insistante, offerte, cherchant à détourner mon esprit de ce qui l’obsédait. Je me laissai entraîner dans cette étreinte qu’elle guidait avec assurance, dans une intimité qui n’avait rien de tendre mais qui, d’ordinaire, arrivait à étouffer mes pensées.
Pas cette fois.
Même lorsque sa peau se pressa contre la mienne, même lorsque je l’attirai contre moi avec une brutalité contenue, quelque chose en moi restait ailleurs. Chaque geste, chaque souffle, chaque frisson se brouillait, remplacé par une silhouette qui n’était pas la sienne. Dans ma tête, ce n’était plus Anita que je voyais — mais Olivia. Son visage. Son regard. Sa voix que j’imaginais. Et plus je tentais de chasser cette image, plus elle s’imposait.
Je laissai le moment s’éteindre sans chercher à le prolonger. Anita s’étendit à mes côtés, un sourire satisfait aux lèvres.
Je n’eus pas le temps de lui répondre : la porte s’ouvrit à nouveau. Levi et Louis entrèrent, leurs regards glissant aussitôt vers elle. Elle accueillit leur arrivée avec un rire léger, comme si tout cela n’était qu’une routine, un jeu familier.
Je me levai sans un mot et me dirigeai vers la salle de bain. L’eau glacée de la douche coula sur ma peau, sans réussir à effacer ce que je ressentais. Dans la chambre, les voix de mes frères se mêlaient à celles d’Anita. Rien de tout cela ne me choquait : nous avions grandi en partageant presque tout. Les armes. Les combats. Les secrets. Même… ça. La rivalité faisait partie du lot, aussi détestable que nécessaire. Celui d’entre nous qu’Anita choisirait comme compagnon deviendrait sans doute le favori de notre père. Le futur Alpha privilégié.
Et pourtant, au fond de moi, je n’avais jamais vraiment lutté pour elle.
J’avais douze ans quand j’étais tombé amoureux d’Olivia. Douze ans, et persuadé que mes frères ressentaient la même chose. Pendant des années, j’avais cru que quelque chose existait entre elle et moi. Que je n’étais pas seul.
Stupide.
Lorsque je sortis de la salle de bain, une serviette autour de la taille, je croisai la scène sans m’y attarder. Je récupérai un pantalon de survêtement, l’enfilai et me dirigeai vers la sortie. J’avais besoin de courir. De m’éloigner. De respirer.
Je n’avais pas fait trois pas dans le couloir qu’une servante déboula, essoufflée, visiblement paniquée.
« Jeune maître… Olivia… elle s’est effondrée sur le toit. »
Un choc brutal me frappa, comme si mon cœur s’était arrêté l’espace d’une seconde. Je forçai pourtant ma voix à rester calme.
« Alors réveillez-la et renvoyez-la. »
« Nous avons essayé », répondit-elle d’une voix tremblante. « Elle… elle ne réagit pas. »
Je me raidis.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? »
La servante leva des yeux terrifiés vers moi.
« Elle ne respire plus. »
Le monde bascula.