Chapter 4

2010 Words
Comment étions-nous? Je rentre chez moi, en Sicile, au moins deux fois par an pour les jours de fêtes et durant l’été si les pauses et les vacances me le permettent. Voyager en avion est pour moi désormais habituel, celà fait partie de mon travail. Même si de nombreuses années sont passées, chaque fois que j’arrive, un intense parfum de fleur d’oranger qui recouvre les orangeries et le vent du sirocco provenant d’Afrique entourent silencieusement même mes souvenirs d’enfance. Aujourd’hui c’est un jeudi du mois de juillet : les trente-six degrés sont dans la norme. Durant l’été cette terre est chaude, lumineuse et ensoleillée : tout apparaît plus lent, difficile de maintenir un rythme de vie dynamique à cause de cette température que j’aime, mais parfois si envahissante. Les rayons du soleil s’étendent sur tous les espaces libres de la peau, ils pénètrent dans les os, souvent me fortifient et parfois me relaxent jusqu’à m’étourdir pour ensuite m’endormir. La “ pause de l’après.midi ”, habituelle dans cette région, interrompt la productivité de la journée. J’écoute le son répétitif et presque hypnotique des pales d’un ventilateur posé sur un coffre antique ; sa brise contraste l’air chaud et étouffant de cet après-midi au ciel bleu privé de nuages. Le soir la température diminue légèrement et d’aimables vents légers apaisent le climat du soir. Je suis invitée chez mes parents et chaque détail sur lequel se pose mon regard, me renvoie à des scènes vécues et des souvenirs désormains lointains. J’entrevois un jupon en soie couleur crême avec une délicate broderie d’un ton légèrement plus clair, pendu dans l’armoire en style Louis XVI que ma mère a choisi il y a plus de quarante ans pour décorer sa chambre à coucher et qui depuis lors est toujours la même, inchangée dans le temps ; moi je m’aperçois au contraire d’être si différente depuis le temps où je me blotissais sous les couvertures de ce grand lit pour écouter les fables qu’elle me raccontait avant d’aller au lit et différente également du temps où plusieures années après, à peine adolescente, en cachette, je parvenais à essayer ses coliers les plus précieux en me regardant dans ce grand miroir au grand cadre doré, placé au centre de la pièce, tandis que je dansais seule de manière spontanée et libre, comme une “ éhontée ”, ainsi aurait dit mon papa, s’il m’avait vue. Je me souviens d’avoir possédé en ce temps là, un sous vêtement d’une couleur identique à celui de ma mère ; j’aimais le porter pour la sensation de légèreté et fraîcheur qu’il me procurait durant les journées les plus humides. Dans l’éducation que j’ai reçue ce vêtement n’était permis qu’à la maison et porté en ayant soin de bien entrouvrir les persiennes, afin éviter les indiscrets regards extérieurs vu que le balcon donnait sur une grande cour interne. Dès mon jeune âge j’ai été amenée à me cacher et à bien me couvrir devant qui que ce soit. Peu à peu des gouttes de pudicité étaient installées dans mon âme, jour après jour. . “ Couvre-toi, couvre-toi car quelqu’un pourrait te voir ! ” me disait-on si parfois je m’attardais dans ma chambre pour me vêtir, en oubliant de tirer les rideaux pour les fermer. Aujourd’hui encore, avant d’enlever mes vêtements, je vérifie que tout soit fermé pour que personne ne puisse me voir, et celà je ne l’ai jamais confessé, même pas à Valentina, une de mes chères collègues avec laquelle j’ai partagé un appartement près de l’aéroport, dans la ville où je réside : Rome. Toute petite j’obéïssais aux règles avec une scrupuleuse attention pour éviter de subir des punitions, souvent excessivement sévères. Il y avait une austérité de point de vues et coutumes transmises de générations en générations. Ma tante Carmela, surnomée Lina, raccontait que la première fois où elle osa dire un gros mot, elle fut invitée à ouvrir la bouche et sortir la langue. “ Quel jeu étrange ! ” pensais-je. Sa mère, ma grand-mère, pris une des épingles à cheveux qui assemblait ses longs cheveux recueillis, et embrocha sa langue. Vu les conséquences, dans ma famille, peu de filles et petites filles disent des gros mots, même si dans les moments opportuns elles n’en pensent pas moins. Je suis à Catania en vacances pour une semaine et je retrouve les antiques saveurs, odeurs, sensations. Le sourire lumineux de ma mère m’accueille, elle évite de m’embrasser aussi fort qu’elle le voudrait, peut- être par peur de me broyer. Elle caresse maintes fois mes cheveux noirs comme du charbon, semblables aux siens, longs jusqu’aux épaules, déliés pour les libérer des constrictions de bandages imposées par mon travail. La peau de maman est blanche et délicate, tendre comme le sable et parfumée comme des pétales de roses mélangées aux agrumes. Elle me voit toujours amaigrie ( même si selon moi, j’ai bien pris au moins un ou deux kilos par rapport à mon utopique poids idéal ), donc, elle m’invite à manger les gourmandises qu’elle a commencé à cuisiner dès le premier jour, presqu’en m’obligeant à consumer tout ce qu’elle a mis avec abondance dans mon assiette. Aujourd’hui elle a préparé mes plats préférés : linguine au noir de seiche et espadon en papillote. Elle n’en finit pas de me regarder et de me cajoler, euphorique et émue à la seule pensée de me revoir. Même mes tantes et cousines me témoignent leur affection à chaque geste, chaque fois qu’ elle me revoit et veulent tout écouter sur mes voyages et sur mon travail. Dans leur imaginaire, je suis une partie de leur monde qui s’est réfugié dans un autre monde : ce monde fait de rêves devant une revue attrayante même si décrite comme dangereuse, tentaculaire, en mesure de dépraver de manière irréversible. Moi, je suis celle, d’entre elles, qui comme elles avait les yeux illuminés mais qui un jour est partie. Je suis la preuve vivante que le monde vous change mais vous restez la même, parce que celà dépendra uniquement de ce que vous êtes à l’intérieur, et elles sont, pour moi, la partie la plus importante de ce que j’ai appris durant tous ces voyages : que l’on peut aller loin uniquement si on a un lieu intérieur d’où l’on est parti et où on retourne. J’ai appris que l’on pourra être partout, mais en vérité on restera toujours où se trouve nos racines émotionnelles. Elles ont été enchantées par la photo que j’ai prise à New York et elles voudraient partir avec moi pour visiter la Grande Pomme. Elles désireraient aussi que je les emènent visiter Hong Kong pour faire un tour au Stanley Market et au Lady’s Market, les marchés de nuit desquels je leur ai parlé bien souvent avec enthousiasme, oubien passer par Casablanca, où se trouve la médina avec ses couleurs et ses épices, où la menthe et le thé ont une saveur plus forte et une odeur plus presistante que celle de notre mentuccia, goûter les dates exceptionnelles que je leur avais données à mon retour d’un vol, ou circuler dans les ruelles fourmillantes de Shanghai, plonger dans cette foule colorée et ces milles couleurs que j’essaie de décrire sans jamais y parvenir comme je le voudrais Elles ont un grand sens de l’hospitalité, un art naturel de l’accueil transmis au cours des siècles et elles me saluent toujours avec l’habituel pincement sur la joue en tirant pas très délicatement de chaque côté, elles m’embrassent en prononçant la même phrase depuis que j’étais enfant : “ Sangu miu ! ”, “ Zzuccheru miu ! “ Mon père, même en étant heureux de me revoir, est toujours très silencieux, peu expansif et extrêmement réservé. Nous avons la même couleur d’yeux, bleus de mer, mais les siens ont cependant une légère nuance de violet qui fait entrevoir de constants réflexes qui parfois me rendent tristes. Il tend constament à faire des prévisons défavorables, pleines d’anxiété et d’inquiétude, comme ma meilleure amie Stefania, elle aussi sicilienne. C’est un homme instruit, il aime étudier et est toujours informé sur tous les évènements socio-politique actuels. Il est discret dans ses manières et formel dans son comportement, il reste des heures enfermé dans son bureau, mais à l’heure du déjeûner et du dîner nous nous retrouvons à table, tous ensemble. Ce que mes parents, ma famille, et la société où j’ai vécu m’ont enseigné c’est la grande importance de la famille, du respect des règles et en particulier, du lien inviolable du mariage : une valeur à défendre à tout prix, coûte que coûte, souvent avec d’énormes sacrifices. Une union à sauvegarder dans tous les cas, même en présence de problèmes qui devront être dépassés ou réprimés, parfois même ignorés. Ce lien indissoluble a une sacralité absolue que seule la mort peut rompre. “ Jusqu’à ce que mort ne nous sépare ” Une promesse qui ne peut plus être inobservée à partir du moment où elle a été stipulée. Un engagement rigoureux et constant, opportun pour conserver solidement les racines de la famille. Ce n’est pas uniquement le sentiment d’affection, la cérémonie officielle, le profond devoir qui est inculqué déjà toute petite à travers l’éducation, qui lie la relation matrimoniale, c’est aussi le lourd jugement de la société dans laquelle on vit qui induit et travaille assidûment afin que se maintienne intégralement le lien familial. Dans le couple, la figure féminine a un rôle très important : le dévouement envers l’époux et les enfants est absolu. L’homme s’engage à conduire au mieux son rôle de chef de famille, il a l’obligation de se charger de sa protection et de son soutien. Dévotion et obligation, amour et respect. Peu importe si ces deux dernières voix sont absentes, car il arrive qu’elles s’affaiblissent. Le mariage est quelque chose sur lequel compter durant toute la vie, les enfants sont ceux sur qui compter lors de la vieillesse, sa fin n’est pas permise, ou est seulement quelque chose de fou, quelque chose qui va “ au delà de l’ordre établi ” qu’il faut éviter en trouvant un remède quelqu’il soit. Dans le rituel du mariage, la déclaration de fidelité est une promesse qui honore dans sa forme la plus absolue. Ce sont les normes qui m’ont été inculquées dès mon jeune âge. Mon destin, j’en étais certaine, aurait respecté ces enseignements. J’ai eu une éducation très rigide faite d’attitudes autoritaires, d’ordres, d’obligations et de punitions sans avoir la possibilité de répliquer ou de demander des explications, me conduisant désormais à l’adolescence avec de sérieux doutes et une grande confusion sur ce qui était vraiment juste ou décidément erroné. Les règles strictes suivaient les directives de l’éducation qui fut administrée à mon père dans les années 40 sans tenir compte des profondes transformations qui eurent lieu dans les années 68 et auxquelles je n’ai participé que par ma naissance. Malgré celà, à cette époque, la révolution sociale des années 70 ne semblait nullement toucher notre réalité. Tout était blanc ou noir, juste ou erroné, permis ou interdit, il n’existait aucune nuance, dérogation, compromis. Les modèles et le style de vie conduits étaient selon moi démodés et dépassés. Selon moi blanc et noir étaient uniquement les extrémes d’une multitude de couleurs variées, et pourtant les enseignements devaient être respectés, sans répliquer et sans s’opposer. A partir de l’orientation scolaire jusqu’aux amitiés, aux horaires, aux lieux à fréquenter, à l’habillement, au sport, toutes les décisions suivaient les opinions, les tendances et les goûts qui n’étaient pas les miens et ni même mes inclinations, mais ceux de mon père. Il choisissait les personnes que je pouvais fréquenter après les avoir soigneusement sélectionées par un précédent entretien de présentation initiale, auquel les personnes choisies devaient se soumettre. Je me suis souvent demandée quelle était ma route, ce qui était réellement important, quels étaient mes réels désirs et objectifs, et bien souvent mes réponses étaient totalement différentes de celles imposées par mes parents qui agissaient certainement pour mon bien et pour me former le mieux possibile, mais qui ne reflettaient que leurs rêves.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD