Décision

2519 Words
Alna ouvrait les portes du bar. Les clients buvaient ou bavardaient à haute voix sous la musique. Elle trouva John, son ancien patron, comme d'habitude derrière le comptoir. — Alna ? Que fais-tu ici ? Marco m'a dit que tu travaillais au palais. Ne me dis pas que ta langue bien pendue t'a coûté un renvoi, si ? — Glenda est tuberculeuse, j'ai besoin d'argent. John laissa tomber le verre, choqué par la nouvelle. — Je suis désolé, petite. Cette maladie est dure à guérir. Tu travailles déjà au palais et tu ne peux pas quitter ce boulot d'un coup de tête, c'est une atteinte à la cour. — Mais que vais-je faire, John ? Je ne veux pas que ma mère meure, je ne veux pas me retrouver seule ! Alna pleurait tandis que John la prenait à part, essayant de la rassurer. Il se gratta le crâne chauve en réfléchissant. — Il y a quelque chose... Alna écarquilla les yeux subitement. — Quoi ? Dis-moi ! — Ne te réjouis pas trop vite, c'est pas très... — Je ferai n'importe quoi, John. Il soupira, hésitant. — Viens avec moi. John guida Alna loin du bar, traversant des ruelles sombres et mal éclairées. Le silence pesait entre eux, seulement troublé par le bruit de leurs pas sur le pavé irrégulier. Les lumières des lampadaires vacillaient, projetant des ombres mouvantes autour d'eux. Après plusieurs minutes de marche, ils arrivèrent devant un entrepôt délabré, aux murs noircis par le temps et aux fenêtres brisées. John s'arrêta devant la porte principale, un imposant panneau de métal rouillé, et frappa un étrange rythme : trois coups, une pause, deux coups, puis un dernier. Après un bref instant, la porte s'ouvrit lentement, révélant un jeune homme au visage fermé. — John ? Que fais-tu ici à une heure pareille ? demanda-t-il, méfiant, en jetant un regard derrière lui. — Je t'amène quelqu'un, répondit John en désignant Alna d'un geste discret. Le regard du jeune homme se posa sur elle, impassible. — Bonsoir, dit Alna avec une hésitation dans la voix, tentant de cacher son appréhension. Le jeune homme l'ignora ostensiblement, s'adressant uniquement à John. — Qui est-ce ? Tu sais très bien qu'on ne peut pas recruter en ce moment... Ce n'est pas le moment d'introduire des étrangers ici. — Elle a besoin d'argent, Ruben, rétorqua John avec assurance. Malgré ses protestations, Ruben recula pour les laisser entrer. L'entrepôt était sombre, éclairé seulement par quelques ampoules suspendues. L'atmosphère était oppressante, mais Alna ne se laissa pas intimider. Alors que les deux hommes continuaient leur échange, elle s'interposa, déterminée. — S'il vous plaît... je suis là parce que je n'ai pas d'autre choix. Ruben la fixa, comme pour jauger sa sincérité. — Et toi, tu es ? lança-t-il, toujours sur la défensive. — Alna, répondit-elle. Écoutez, ma sœur est gravement malade, elle a la tuberculose. Je dois faire quelque chose pour la sauver. Un silence s'installa. Ruben plissa les yeux, sceptique. — Tu es sûr de ce que tu fais, John ? murmura-t-il. Tu sais très bien que c'est un métier dangereux, et illégal. On ne peut pas se permettre d'ajouter quelqu'un au risque de se faire coincer. John se tourna vers Ruben, plus sérieux. — Tu sais ce que c'est que de ne pas pouvoir aider un proche malade. Tu sais ce que ça fait de te sentir impuissant. pas convaincu. Il fronça les sourcils et croisa les bras, jetant un regard pesant à Alna. — Et toi, est-ce que tu sais seulement dans quoi tu t'embarques ? demanda-t-il, presque sur un ton d'accusation. Alna fronça légèrement les sourcils à son tour, troublée par l'insistance de Ruben. — Vous parlez de danger, mais quel genre de travail est-ce au juste ? Pourquoi est-ce illégal ? Ruben se tourna vers John, comme pour s'assurer qu'il n'était pas sérieux. Puis il la regarda de nouveau, presque incrédule. — Alors, il ne t'a rien dit ? fit-il, un sourire désabusé au coin des lèvres. Alna lança un regard interrogateur à John, qui semblait éviter son regard. Ruben secoua la tête, exaspéré, avant de lâcher d'un ton direct : — On vole les riches. Voilà le travail. Le souffle d'Alna se coupa un instant. Elle resta immobile, essayant de comprendre ce qu'elle venait d'entendre. — Voler ? répéta-t-elle, comme si elle n'était pas sûre d'avoir bien saisi. — Oui, voler. Bijoux, argent, œuvres d'art... tout ce qui peut rapporter gros. On cible les grandes fortunes, expliqua Ruben, son ton froid contrastant avec le malaise évident d'Alna. Elle baissa les yeux, le cœur battant. Ce n'était pas ce qu'elle avait imaginé. Mais le visage de Glenda lui revint aussitôt en mémoire, pâle et affaibli, et elle releva la tête avec détermination. — Je ferai ce qu'il faut, dit-elle fermement. Ruben éclata d'un rire amer. — Tu crois que c'est si simple ? Que tu peux débarquer ici et changer de vie en un claquement de doigts ? Ce n'est pas un jeu, Alna. — Je le sais bien, répliqua-t-elle, plantant son regard dans celui de Ruben. Je sais que c'est risqué, mais je n'ai pas d'autre option. Si je ne fais rien, ma sœur mourra. Ruben resta silencieux, impressionné malgré lui par la détermination de la jeune femme. Mais il n'était pas prêt à céder aussi facilement. — Ce n'est pas moi qui décide, finit-il par dire en se tournant vers John. Si tu veux qu'elle intègre l'équipe, tu sais qui devra donner son accord. John hocha la tête, un air grave sur le visage. — Je m'en occupe, répondit-il simplement. Ruben soupira profondément et désigna un coin sombre de l'entrepôt. — Bien. Mais, qu'elle sache que si ça tourne mal, elle ne pourra compter que sur elle-même. Alna ne répondit rien, mais son regard déterminé ne faiblit pas. Elle savait qu'elle venait de franchir un point de non-retour. Alna retourna au palais le cœur lourd et l'estomac noué. Chaque pas qu'elle faisait résonnait dans sa tête comme un rappel du choix qu'elle venait de faire. La nuit était sombre, mais elle avançait rapidement, espérant que personne ne la croise. Lorsqu'elle approcha des portes du palais, son souffle se bloqua. Une silhouette se détachait dans l'obscurité, près des escaliers menant aux dortoirs des domestiques. Son cœur s'emballa, la panique l'envahissant à l'idée d'être vue. Si quelqu'un la surprenait dehors à une heure aussi tardive, les questions suivraient, et elle ne savait pas si elle serait capable de fournir une excuse crédible. Elle recula légèrement, se dissimulant dans l'ombre d'une colonne. La silhouette bougeait lentement, hésitante, comme si la personne cherchait quelque chose ou attendait quelqu'un. Alna retint son souffle, priant pour qu'elle parte rapidement. Les secondes lui semblèrent des heures. Finalement, l'individu tourna les talons et s'éloigna, disparaissant dans l'obscurité du couloir. Alna ferma les yeux un instant pour calmer les battements frénétiques de son cœur, puis, quand elle fut certaine que plus personne ne pouvait la voir, elle se faufila discrètement vers l'entrée. Ses mouvements étaient rapides et précis. Elle connaissait bien les moindres recoins du palais et savait où poser les pieds pour éviter les planches qui craquaient. Lorsqu'elle atteignit enfin les dortoirs des domestiques, elle poussa un soupir de soulagement. Tout le monde semblait dormir profondément, et elle regagna son lit sans attirer l'attention. Allongée dans l'obscurité, le regard fixé sur le plafond, Alna ne trouva pas le sommeil. Les mots de Ruben résonnaient encore dans sa tête. Voler les riches. Elle avait franchi une limite ce soir, et elle savait que sa vie ne serait plus jamais la même. Ce matin-là, Alna travaillait dans les jardins avec d'autres domestiques, retirant les fleurs fanées sous les premières lueurs du jour. Le vent léger apportait un parfum subtil de terre et de rosée, mais son esprit était ailleurs. Elle n'arrêtait pas de repenser à la rencontre de la veille et à la fameuse sélection définitive qu'Esme devait annoncer sous peu. Une tension sourde lui nouait la gorge, et chaque geste devenait mécanique. — Hé, toi ! Alna sursauta et releva la tête. Sabine se tenait devant elle, un sourire narquois aux lèvres, les bras croisés. — Tu pourrais me lâcher deux secondes ? répliqua Alna d'un ton las, sans même cacher son agacement. Je ne suis pas d'humeur à jouer à tes messes basses aujourd'hui. J'ai d'autres préoccupations, merci. Sabine haussa un sourcil, visiblement amusée. — Quelle rabat-joie, dis donc ! Mais... hier soir, tu n'étais pas dans ton lit. Où étais-tu ? Le cœur d'Alna se mit à battre plus fort. Elle se figea un instant, son râteau suspendu en l'air. Qu'avait-elle vu ? Sabine était une pipelette invétérée, et la simple idée qu'elle l'ait aperçue quittant le palais la veille lui glaça le sang. — Ça ne te regarde pas, si ? répondit-elle en tentant de garder son calme. — Loin de moi l'idée de me mêler de ce qui ne me concerne pas, lança Sabine avec une fausse innocence. Mais... Alna leva les yeux au ciel, exaspérée par son petit manège. — Mais quoi ? crache-le une bonne fois pour toutes. — Tu sais qu'il est interdit d'errer dans le palais la nuit, reprit Sabine, un sourire venimeux sur les lèvres. On pourrait croire que tu complotes quelque chose. Et ce serait tellement dommage qu'Esme apprenne que tu enfreins les règles... Tu ne voudrais pas te faire renvoyer, si ? Alna sentit la colère monter, mais elle s'efforça de ne rien laisser paraître. — Je ne sais pas de quoi tu parles, Sabine. J'étais juste... aux toilettes. Voilà. Maintenant, laisse-moi tranquille. Le sourire de Sabine s'élargit, satisfaite. Elle recula lentement, son visage radieux d'une fierté mal placée. — Très bien, je te laisse, dit-elle en sautillant presque, comme une enfant qui venait de gagner un jeu mesquin. Alna la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans une allée bordée de rosiers. Quelle peste... pensa-t-elle en serrant les dents. Elle savait que Sabine n'allait pas en rester là. Si elle avait vraiment des doutes, elle trouverait un moyen d'utiliser cette information à son avantage. Une chose était certaine : il faudrait qu'Alna soit encore plus prudente à l'avenir. C'était le jour du verdict, et toutes les domestiques s'étaient rassemblées dans la grande salle de service. L'air était lourd, chargé d'une tension palpable. Esme, droite et impassible, parcourait la pièce du regard, s'arrêtant un instant sur chacune d'elles. Alna se tenait immobile, les mains moites, espérant que Sabine n'ait pas parlé de ses soupçons concernant la veille. Dans un coin isolé, Sabine agrippa Alna par le bras, son visage dur et autoritaire — Alna, tu vas m'écouter très attentivement. Quand Esme te posera des questions, tu diras que ce n'était pas moi qui ai renversé le thé, mais Laura. Tu m'entends ? Alna fronça les sourcils, hésitante. — Mais... Sabine, c'est toi qui l'as fait. Je t'ai vue de mes propres yeux. Pourquoi veux-tu que je mente ? Sabine roula des yeux avec un mélange d'agacement et de mépris. — Tu crois que ça m'intéresse, tes grands principes ? Écoute bien, si tu refuses de témoigner pour moi, je dirai à Esme que tu erres dans les couloirs la nuit. Tu enfreins les règles, et tu sais très bien ce qu'elle ferait d'une fille comme toi si elle l'apprenait. Alna ouvrit la bouche pour protester, mais Sabine ne lui laissa pas le temps de répondre. — Réfléchis bien. Veux-tu risquer ton poste ici pour une bêtise pareille ? Alna sentit un poids s'abattre sur ses épaules. Elle baissa les yeux, se mordant la lèvre. — Sabine... je ne veux pas mentir. Ce n'est pas juste pour Laura. Sabine se pencha vers elle, son regard plus menaçant que jamais. — Ce qui n'est pas juste, c'est que je sois accusée à tort pour une maladresse insignifiante. Maintenant, décide-toi. Esme attend des réponses. Alna sentit son estomac se nouer. Elle savait que Sabine était capable de tout pour sauver sa peau, et la peur de perdre son emploi, sa seule source de revenus, la paralysait. Esme prit la parole d'une voix claire : — Comme vous le savez, certaines infractions ont été signalées récemment. Je ne tolérerai aucun manquement aux règles dans ce palais. Sabine, il a été rapporté que c'est toi qui as renversé le thé lors du goûter royal. Que réponds-tu à cette accusation ? Sabine secoua la tête avec véhémence, affichant une expression d'indignation bien maîtrisée. — Ce n'est pas moi, madame Esme. C'était Laura. Elle était près de la table à ce moment-là, et je l'ai vue. Vous pouvez demander à Alna, elle était là aussi. Esme tourna lentement la tête vers Alna, qui se tenait à l'arrière du groupe. Tous les regards convergèrent vers elle. Elle sentit sa gorge se serrer, incapable de parler. Elle leva les yeux vers Sabine, qui la fixait avec insistance, puis vers Esme, qui attendait une réponse claire. Après un moment d'hésitation, Alna baissa la tête et murmura : — Oui... c'était Laura . Un murmure de surprise parcourut la salle. Loran s'exclama aussitôt, outrée : — Mais ce n'est pas vrai ! Je n'ai rien fait ! Sabine ment ! — Silence, Laura , coupa Esme avec une sévérité qui glaça l'atmosphère. Je n'ai pas besoin de votre agitation. Esme resta silencieuse un instant, jaugeant les réactions autour d'elle. — Laura , je vous avais déjà avertie plusieurs fois sur votre comportement négligent. Je n'ai plus confiance en vous. Vous êtes renvoyée. Prenez vos affaires et quittez immédiatement le palais. Les mots tombèrent comme un couperet. Laura se mit à pleurer, mais personne n'osa intervenir. Sabine, quant à elle, afficha un sourire discret, satisfait de son stratagème. Anna, de son côté, se sentait envahie par une profonde culpabilité, incapable de soutenir le regard de Laura qui quittait la salle en larmes. — Il y aura d'autres renvois aujourd'hui. Il reste encore trois personnes qui ne sont pas à la hauteur. Les murmures s'élevèrent doucement parmi les domestiques, mais Alna resta figée, le cœur battant à tout rompre. Elle savait qu'elle ne pouvait pas se permettre de perdre ce travail, surtout avec la situation de sa sœur. Esme élimina les domestiques une à une — Vous aussi. Prenez vos affaires et quittez immédiatement le palais. les deux autres domestiques furent escortées hors de la salle sous le regard impuissant des autres. Lorsqu'elles furent parties, Esme reprit la parole , son regard se posant sur Alna — Toi, dit-elle d'un ton sec, approche. Alna avança, les jambes tremblantes. — Les événements de ces derniers jours n'étaient peut-être pas de ta faute, mais tu aurais pu les éviter, dit Esme d'un ton sévère. Je te garde, mais sache que je vais te surveiller de près. Un seul faux pas, et tu suivras les autres. Est-ce clair ? Alna hocha la tête rapidement, le souffle court. — Désormais, vous n'êtes plus que quinze. J'espère que cette réduction de vos rangs vous servira d'avertissement. Je n'accepterai aucune erreur supplémentaire. D'ailleurs, la princesse Mathilde aurait besoin d'une dame de compagnie durant son séjour ici alors tu t'occuperas d'elle. — Bien madame
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