Espoir

1488 Words
Le bruit du chiffon d'Alna glissant sur le sol résonnait dans le bar presque désert. La fermeture était proche, et elle avait déjà passé plusieurs heures à nettoyer, à essuyer les traces laissées par les clients indifférents. Le sol brillant était un rare moment de paix avant que tout ne soit à nouveau envahi par la foule le lendemain. Alors qu'elle achevait son travail, un homme, trop imbibé pour marcher droit, s'approcha du comptoir et fit tomber un verre de bière, répandant le liquide jaune sur le sol fraîchement lavé. Alna leva les yeux, un soupir d'agacement se formant dans sa gorge. -Tu ne peux pas regarder où tu mets les pieds, p****n ? Regarde, j'avais déjà fini en plus !, s'énerva Alna. L'homme la dévisagea, l'air tout sauf repentant. -Me soûle pas, t'es payée pour ça, non ? Alors fais ton boulot et arrête de râler ! Alna serra les poings, prête à répondre, mais la voix rauque de John, le patron, l'interrompit. -Alna, viens ici, je veux te parler. Elle inspira profondément avant de se diriger vers lui, son regard toujours empli de colère. John la fixa avec une expression de reproche. -Tu te crois où, là ? Ce n'est pas comme ça qu'on parle aux clients, tu sais. Déjà qu'ils sont de plus en plus rares ces derniers temps... Il la scruta un moment, avant de poursuivre d'un ton plus ferme. -Fais attention, tu veux ? Ce n'est pas le moment de perdre la tête. Ils sont notre seul revenu, et toi, tu risquerais bien de faire fuir le peu de clients qu'il nous reste. Alna baissa les yeux, gênée. Elle savait qu'il avait raison. Mais ce n'était pas facile de se retenir quand la frustration montait. -Je suis désolée, dit-elle, une note d'irritation dans la voix malgré tout. C'est juste que... ça commence à devenir vraiment lourd. John soupira, adoucissant son ton. -Je sais, je sais. Mais ça ne sert à rien de faire exploser tout ça. Laisse-les partir, et fais ton travail tranquillement. Tu peux bien tenir encore quelques heures. Alna hocha la tête sans répondre, son regard s'éloignant vers le fond du bar, où l'atmosphère semblait de plus en plus morose. Alna put enfin rentrer chez elle peu de temps après. Lorsqu'elle entra dans leur petit logement, un sourire sincère se dessina sur son visage à la vue de sa petite sœur, Glenda. -Alnaa ! s'exclama la fillette en courant vers elle. La robe de Glenda reflétait tristement la situation précaire dans laquelle vivait la famille. Elle était trop grande pour son âge, avec des trous et des parties cousues de manière maladroite. Malgré tout, Glenda la portait fièrement, un sourire naïf sur ses lèvres. -Qu'as-tu fait aujourd'hui, ma petite Glenda ?demanda Alna, la voix douce malgré la fatigue. -Aujourd'hui, on a eu de bons restes, et il y avait même une tarte aux pommes ! répondit-elle, les yeux brillants d'innocence. -Ah ouais ? répondit Alna, amusée malgré elle par la joie simple de sa sœur. C'est à ce moment que Tante Marguerite fit son apparition dans le petit espace qui leur servait de cuisine. Elle était toujours là, toujours en train de surveiller tout ce qui se passait dans la maison. -Pose-la, il y a la vaisselle qui t'attend. Et ton patron t'a payé, non ?, lança-t-elle d'un ton impérieux. -Euh... oui, répondit Alna, un léger malaise dans la voix. Comme chaque fin de mois, après des courbatures et des humiliations multiples dans ce bar, après avoir travaillé à la sueur de son front, Alna n'avait d'autre choix que de tout reverser à sa tante Marguerite. Chaque centime gagné était pour elles, pour subvenir aux besoins de Glenda, pour assurer leur survie, mais cela n'empêchait pas Alna de ressentir une étrange amertume à chaque remise de son salaire. Elle déposa son sac et se dirigea vers l'évier, prête à accomplir une nouvelle corvée, ses gestes mécaniques, bien ancrés dans sa routine. Le lendemain matin, Alna se réveilla dans la pénombre de la petite chambre qu'elle partageait avec sa sœur. En se levant, elle remarqua immédiatement quelque chose d'anormal. Glenda était tremblante, une chaleur anormale émanait de son petit corps. Alna s'approcha précipitamment et posa la main sur le front de sa sœur. La fièvre était là, évidente. Tante Marguerite !!, cria-t-elle, l'inquiétude se lisant dans sa voix. Quelques secondes plus tard, la porte s'ouvrit brusquement, et Tante Marguerite apparut, les cheveux en désordre et le regard irrité. Qu'est-ce que tu as à crier ainsi !? Tu n'es pas encore prête pour le boulot ? Tu n'as pas intérêt à te faire renvoyer ! grogna-t-elle, visiblement plus agacée par la gêne causée que par la situation. Glenda a de la fièvre, expliqua Alna d'une voix précipitée. Je lui ai mis une serviette froide, mais j'ai besoin d'argent pour acheter des médicaments. Tante Marguerite la fixa, une lueur de mépris dans ses yeux. Quel argent ? Ce n'est qu'une petite fièvre, ça ira. Va t'en, avant de te faire virer ! Mais... elle a vraiment besoin de soins, Marguerite, il faut... Il n'y a pas de mais qui tiennent ! Fais ce que je te dis, bonne à rien !, lança-t-elle en lui tournant le dos, le ton définitif. Alna resta figée un instant, le cœur lourd. Elle savait que sa tante ne changerait pas, que ses préoccupations n'avaient jamais été les siennes. Glenda pouvait bien souffrir, cela n'avait pas d'importance pour elle. Le regard d'Alna se posa sur sa sœur, toujours fiévreuse, et un sentiment de désespoir la submergea. Alna, malgré ses inquiétudes, se prépara pour le travail. Tout au long de sa journée de service, ses pensées ne cessaient de tourner autour de sa petite sœur. L'idée que Glenda puisse ne pas aller bien la rongeait, et elle espérait secrètement qu'elle tiendrait le coup. Incapable d'ignorer son anxiété plus longtemps, elle prit une grande inspiration et s'approcha de son patron, déterminée à demander une faveur. — John... Il se retourna, les sourcils légèrement froncés. — Qu'est-ce que tu veux, Alna ? Elle hésita un instant avant de se lancer. — J'aurais besoin d'un peu plus d'argent... John plissa les yeux, méfiant. — Je t'ai payé hier. Tu comptes jouer la même carte que Maguy et me soutirer davantage ? — Non, non, ce n'est pas ça ! répliqua-t-elle précipitamment. Ce n'est pas pour moi, c'est pour Glenda... Elle ne va pas bien. J'aimerais lui acheter des médicaments, peut-être même des remèdes traditionnels. L'expression de John s'adoucit un peu, mais il secoua la tête. — Je comprends... Écoute, je t'apprécie beaucoup, Alna. Mais là, je suis juste au bord avec les finances. Je n'ai que de quoi faire le réapprovisionnement pour le moment. La déception s'abattit sur elle comme un poids, mais elle hocha la tête, résignée. En sortant du bar après son service, Alna croisa Marco, l'apprenti boulanger. C'était un vieil ami et il semblait surpris de la voir à cette heure-là. — Alna ? Elle releva la tête, un peu fatiguée, mais heureuse de voir une figure familière. — Marco ! Comment vas-tu ? — Plutôt bien, mais toi... Tu as une mine affreuse. Elle lâcha un rire nerveux. — À ce point-là ? — Oh oui. Qu'est-ce qui se passe ? Elle soupira profondément. — C'est ma sœur, Glenda. Elle avait une forte fièvre ce matin quand je suis partie travailler. Et avec Marguerite... Tu sais comment elle est, toujours à parler d'argent. Bref, je suis dans le pétrin. Il me faudrait de l'argent, ou au moins une solution pour m'en sortir. Marco, sans hésiter, fouilla dans sa poche et en sortit quelques pièces. — Tiens, prends ça et achète ce qu'il faut pour elle. Alna ouvrit de grands yeux, surprise. — Mais... Qu'est-ce que tu fais ? — Ce qu'un ami ferait. Et, pour le reste, j'ai peut-être une solution pour toi. Elle le fixa, intriguée. — Une solution ? — Oui. Mon patron a des relations avec la cour royale. En ce moment, ils cherchent une domestique. Il m'avait demandé de trouver quelqu'un, mais la personne que je devais proposer est tombée malade. Elle devait se présenter demain, mais ce sera impossible pour elle. Alna comprit soudain où il voulait en venir. — Tu veux que je la remplace, c'est ça ? Marco esquissa un sourire. — Exactement. Les yeux d'Alna s'illuminèrent. Submergée de joie, elle se jeta à son cou. — Tu es un ange tombé du ciel, Marco ! Merci, merci, merci ! Elle attrapa sa main pour la couvrir de baisers, ce qui fit éclater Marco de rire. — Eh, doucement ! C'est rien. Mais écoute-moi bien : sois prête demain à quatorze heures. Pas de retard. Bien habillée, cheveux attachés, ongles propres et coupés. Je viendrai te chercher. — Tout ce que tu voudras ! Merci infiniment, Marco ! — À demain, Alna. Elle le regarda s'éloigner, le cœur un peu plus léger.
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