5-1- Elle

1500 Words
OMNISCIENT À peine avait-elle franchi le seuil de la maison qu'elle chercha aussitôt refuge dans sa chambre, le cœur lourd et l'esprit épuisé par la soirée qu'elle venait de vivre. Chaque pas semblait alourdi par la fatigue, non pas celle du corps, mais de l'âme. Exaspérée, elle s'effondra sur son lit, se remémorant avec une colère sourde les heures passées à offrir des excuses forcées à des individus pour qui l'intimité d'autrui n'avait aucune valeur. Ils parlaient de la vie des autres comme on murmure un banal ragot, sans gêne, sans honte. Quelle insolence ! pensa-t-elle, frémissant encore à l'idée de leur manque de retenue. En vérité, elle ne pouvait réellement en vouloir à aucun d'entre eux, même pas à Fernando. Ses parents, eux seuls portaient le poids de sa rancœur. C'était leur décision, leur choix imposé, qui la condamnait à cette situation. Pourtant, ce n'était pas la colère qui la tourmentait, mais plutôt une angoisse sourde, insidieuse. L'idée de ne plus avoir de nouvelles de ses proches commençait à la ronger, tel un poison lent. Comment survivre un mois entier ici, avec lui ? La soirée lui avait donné un aperçu troublant de ce qui l'attendait. Elle revoyait encore la scène, son téléphone se brisant sous l'impulsion brutale de Fernando, son regard de feu lui saisissant le menton avec une violence sourde. Cette image hantait son esprit, érodant chaque once de sa résignation. Chaque seconde passée dans cette maison, belle en apparence, mais dénuée de toute chaleur, ne faisait que renforcer son désir de fuir, de ne plus y rester une minute de plus. Le sommeil s'empara lentement d'elle, comme un voile délicat qui tombait sur la nuit. Fernando, quant à lui, venait tout juste de rentrer, mais n'avait pas le luxe de se reposer. À peine avait-il eu le temps de changer de vêtements que son chauffeur le conduisit déjà vers une rencontre décisive : celle avec les parents de sa future épouse. Arrivé à destination, il pénétra dans le salon privé où l'attendaient les parents de Cyana. Leur regard était empreint d'une certaine gravité, comme pour lui rappeler que, malgré son jeune âge, il était loin d'être un homme que l'on pouvait sous-estimer. Ils l'observaient en silence, et Fernando savait que ce moment serait crucial. — Votre fille n'est pas aussi douce que vous l'avez décrite devant mon père il y a quelques jours. Dois-je vraiment lui faire part de son caractère... peu recommandable ? Son ton était calme, presque suave, mais l'insinuation cinglait comme un coup de fouet dans l'air lourd de tension. — Voyons, ce n'est pas nécessaire d'en arriver là, n'est-ce pas ? répondit Dalia, sa voix hésitante masquant mal l'angoisse qui montait en elle. Fernando leva délicatement la tasse de thé servie un peu plus tôt, l'approchant de ses lèvres avec une lenteur calculée, sans jamais détourner ses yeux perçants du visage de la mère de Cyana. Le silence s'étira, oppressant. — Avez-vous manqué l'éducation de votre fille, Dalia... ?, reprit-il, plus froid cette fois, laissant planer la menace implicite dans ses mots. Dalia déglutit péniblement, incapable de répondre. Les mains jointes sur ses genoux tremblaient légèrement, mais elle se força à garder la tête haute. Elle connaissait les conséquences d'une réponse maladroite. — Je... je vous assure que Cyana saura se montrer à la hauteur, murmura-t-elle, la gorge sèche. Fernando posa enfin sa tasse avec un petit tintement sur la soucoupe, son regard toujours rivé sur elle. — Je n'espère pas que cela devienne un problème, Dalia, dit-il d'une voix plus douce, presque aimable. Mais si elle me cause le moindre tort, je me verrai obligé de prendre des mesures... plus définitives. Le cœur de Dalia rata un battement. Elle le savait, ce mariage n'était pas simplement une union. C'était une alliance, une transaction, et Fernando n'était pas un homme à être contrarié. Mais au fond, pouvait-on vraiment lui en vouloir ? Lui aussi était prisonnier d'un poids familial écrasant, un héritage d'autorité et de rigueur qui l'avait façonné dès son plus jeune âge. Cette éducation austère, sans une once de douceur, l'avait dépouillé de toute capacité à exprimer de la tendresse, surtout quand il s'agissait d'affaires d'argent. Et l'argent, dans la famille Perez, ce n'était pas qu'un simple sujet, c'était le centre de tout, une puissance incontournable qui dictait chaque relation, chaque geste, chaque silence. Rafaël, le père de la future mariée, se tenait droit, bien que son visage trahissait une tension intérieure qu'il tentait de dissimuler. Ses yeux étaient fatigués, alourdis par le poids de ses erreurs, mais il fit de son mieux pour garder une façade digne alors qu'il parlait. — Je vous en prie, accordez du temps à ma fille... dit-il d'une voix grave. Ça doit être difficile pour elle, surtout avec la manière brutale dont elle l'a appris. Il y eut un silence lourd, pesant comme un nuage orageux prêt à éclater. De l'autre côté de la pièce, l'homme qui lui faisait face, imposant par sa stature et son autorité, n'était pas enclin à la compassion. — Épargnez-moi vos pitoyables tentatives d'empathie, monsieur Perez, répliqua-t-il sèchement, ses yeux brûlant de reproches. Je crois savoir que c'est bien vous qui n'avez pas hésité à lever la main sur votre propre fille. Mon père m'a soufflé quelques mots à ce sujet. Rafaël, incapable de soutenir le regard accusateur de son interlocuteur, baissa les yeux. La honte s'installa en lui, l'enveloppant comme un manteau lourd et inconfortable. Les mots frappaient fort, résonnaient en écho dans son esprit. Il n'avait aucune excuse valable à présenter, seulement la douleur d'un père ayant perdu le contrôle. Le ton changea brutalement, prenant une teinte plus froide, presque glaciale. — En ce qui concerne les préparatifs du mariage, ma famille prendra en charge tous les aspects. Après tout, vous n'avez plus un sou en poche, n'est-ce pas ? Je m'interroge d'ailleurs... Comment comptez-vous restituer à mon père le reste des millions que vous lui devez ? Rafaël, les poings serrés, tentait de garder son calme. Ses lèvres tremblèrent légèrement avant qu'il ne puisse articuler une réponse. — Nos affaires reprennent petit à petit... Nous allons... Mais il fut coupé net, son interlocuteur ne laissant aucune place à ses explications, balayées comme de simples poussières dans le vent. — Pardonnez-moi d'interrompre vos illusions, ricana l'homme, un sourire ironique aux coins des lèvres. Mais je doute fort que vos petites affaires, aussi insignifiantes soient-elles, puissent combler le gouffre de vos dettes. Vous parlez de reprises, mais que je sache, ce sont des tableaux, des actions, et une immense quantité de marchandises que vous avez fait disparaître dans la nature. Alors, ne me faites pas croire que le mariage de votre fille pourrait, à lui seul, restaurer la fortune que vous avez engloutie. Rafaël, acculé, ne pouvait qu'écouter en silence, chaque mot frappant comme une lame acérée, découpant les derniers fragments de son honneur. — Qui est ce Nath ? Dois-je me méfier de lui ? La voix de l'homme résonnait dans la pièce avec une froideur calculée. Dalia, figée un instant, écarquilla les yeux, décontenancée par la question. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il évoque ce nom. Nath... Comment savait-il ? Elle reprit rapidement contenance, malgré l'agitation intérieure qui montait en elle, et répondit d'un ton qu'elle voulait assurer. — Nath n'est que... l'ex-petit ami de ma fille, balbutia-t-elle en tentant de minimiser l'importance du jeune homme. Il a encore du mal à accepter leur séparation, mais... ne vous inquiétez pas, je m'occupe de lui. Vous n'aurez pas à vous en soucier. L'homme face à elle haussa un sourcil, l'ombre d'un sourire glacé flottant sur ses lèvres. Son regard perçant ne laissait place à aucune hésitation, dominant l'atmosphère d'une autorité implacable. — J'espère bien, déclara-t-il avec une nonchalance inquiétante, tout en s'avançant légèrement. Je n'aime pas vraiment partager ce qui m'appartient. Si vous ne le faites pas, je m'occuperai personnellement de son cas. Un frisson traversa l'échine de Dalia, mais elle dissimula habilement son malaise derrière une courbure respectueuse de la tête. Elle savait que cet homme n'était pas du genre à lancer des menaces en l'air. Chaque mot qu'il prononçait était une promesse, une déclaration de contrôle. — Bien entendu, acquiesça-t-elle en inclinant légèrement la tête, une soumission calculée dans son geste. On vous raccompagne à la porte. — Ce n'est pas nécessaire, rétorqua-t-il sèchement, coupant court à toute tentative d'amabilité. Il ajusta son manteau d'un geste ferme avant de tourner les talons. Dalia le regarda s'éloigner, ses pensées tourbillonnant dans un chaos silencieux. S'en prendre à Nath... C'était risqué. Cela pourrait non seulement attiser les tensions, mais aussi fragiliser l'alliance si précieuse entre les Perez et les Weiss. Et dans ce jeu, elle le savait mieux que quiconque, toute erreur de calcul pouvait leur coûter cher, surtout maintenant que Yanie allait bientôt épouser Christian. Alors que l'homme franchissait la porte sans un regard en arrière, Dalia serra les poings, consciente que la situation était bien plus fragile qu'il n'y paraissait.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD