CHAPITRE 5

1554 Words
Chapitre 5 Je reviens à moi, au moment où quelqu’un me soulève dans ses bras. Je n’ai pas besoin d’ouvrir les paupières pour savoir que c’est Simon. Je reconnaîtrais son odeur boisée et ensoleillée entre mille. Pendant un instant, j’ai l’impression d’être à nouveau au bord du lac. Puis, l’horreur me frappe en pleine figure. — Tu saignes de la bouche. J’essaie d’y porter la main, mais je n’ai plus de force. Je suis totalement vidée. Simon m’assied à côté de lui sur une banquette, et mes paupières se lèvent enfin. Nous sommes toujours dans la cour du centre de test. Je regarde dehors, mais il n’y a plus rien à voir. Les autres navettes sont déjà parties. Un sanglot monte dans ma gorge. Je n’arrive pas à le retenir. Je me retourne vers Simon et je m’effondre dans ses bras en pleurant. Il me caresse tendrement les cheveux sans rien dire puis il sort un mouchoir en papier de sa poche pour tamponner ma bouche. — Tiens ça un moment sur ta lèvre ; le temps que le sang arrête de couler. Je m’exécute. J’ai l’impression d’être un robot. Mon cerveau ne parvient pas à appréhender toute la situation. Aurore ! Elle est la seule chose qui tourne en boucle dans ma tête ! Ma moitié ! Nous ne la reverrons plus. Il me semble que mes larmes ne vont jamais se tarir. Dès que je crois que je vais enfin me calmer, ça repart de plus belle. Simon est là. Il me tient dans ses bras, me réconforte sans un mot. Après ce qu’il me semble être une éternité, je me calme finalement. Je quitte les bras de Simon et me redresse. — Ça va ? me demande-t-il, l’air inquiet. — Non… c’est l’horreur, Simon ! Mais comment tout cela peut-il être possible ? On nage en plein cauchemar ! Simon me regarde avec une infinie tristesse. Il me caresse la joue et dit : — Tu sais, j’ai eu très peur de vous avoir perdues, toutes les deux. J’ai cru que je devenais fou quand j’ai vu qu’ils vous emmenaient. — Moi, c’est maintenant que je crois devenir folle ! Aurore est toute seule, complètement perdue, je crois vraiment que j’aurais préféré rester avec elle. — Tu ne peux pas dire ça et le penser vraiment, Eléa ! Pense à tes parents, à ta sœur, pense à l’horreur qu’ils auraient vécue si tu étais partie avec elle ! Je m’emporte. — Et alors ? Simon ! Pense aux parents d’Aurore ! C’est leur fille unique ! Comment crois-tu qu’ils vont le vivre ? Il baisse les yeux. — Je sais… Peinée par sa réaction, je me tourne vers la vitre et regarde dehors. Je ne le comprends pas. Il devrait être scandalisé. Non pas défaitiste ! Nous survolons encore la ville, un quartier que je ne connais pas. Au loin, j’aperçois le champ magnétique de la coupole qui entoure la cité vibrer. C’est la première fois que je vais sortir des frontières de la Nouvelle Paris. J’ignore tout de l’extérieur et malgré l’horreur de la situation, j’ai hâte de voir à quoi ressemblent les vastes étendues. Je sais que, dès que nous serons sortis de la Nouvelle Paris et que nous aurons franchi le champ magnétique, la navette va basculer sur de l’air comprimé. L’air, en dehors des grandes localités, est irrespirable. Elle condamnerait à court terme toute personne qui ne serait pas équipée d’un apport en oxygène. Les villes disposent donc toutes d’une coupole de protection qui permet de déployer un air riche afin que nous puissions vivre. La coupole est plus ou moins efficace en fonction de la cité où vous vivez et de ce qu’il s’y fait. Nous, par exemple, à la Nouvelle Paris, nous sommes des agriculteurs ; il nous faut donc un air très riche en oxygène. De ce fait, nous avons, avec le Nouveau Mexico, le meilleur air de la planète. Par contre, à la Nouvelle Tokyo, vu qu’ils travaillent principalement en laboratoire, leur atmosphère n’a pas besoin d’être aussi riche, ils se contentent d’apporter l’oxygène dans les bâtiments. Simon me prend la main. — Excuse-moi, Eléa, je ne voulais pas te choquer. Mais comprends-moi, j’ai vécu l’horreur à l’état pur pendant quelques minutes, et puis, ils t’ont ramenée, donc, oui, je suis soulagé. Je ne vous ai peut-être pas toutes les deux, mais une de mes moitiés, c’est mieux que rien ! — Tu vois, c’est là que je ne suis pas d’accord. Pour la première fois de ma vie, je ne suis absolument pas d’accord avec toi ! Moi, j’étais soulagée de te savoir en sécurité, et du coup, je trouvais que c’était bien qu’Aurore et moi soyons ensemble. Si c’était toi qui étais là-bas, tu ne crois pas que tu aurais préféré avoir une de nous deux avec toi, pour se soutenir mutuellement ? Tout en sachant que l’autre est en sécurité ? — Non, Eléa ! Tu te trompes ! Si j’avais été chez les Oubliés, j’aurais préféré qu’Aurore et toi soyez dans un institut ! Je réfléchis deux secondes à ce qu’il vient de dire et je m’aperçois qu’il a raison : moi aussi j’aurais préféré les savoir en sécurité tous les deux. Je soupire un grand coup. — Excuse-moi, Simon. C’est vrai, tu as raison, j’aurais réagi comme toi. Si j’avais été à ta place, moi aussi j’aurais été soulagée de voir revenir l’un des deux, même si c’est horrible à dire ! Il vaut mieux s’inquiéter pour une personne que pour plusieurs ! Simon acquiesce. Je regarde autour de moi dans la navette. Elle est plus petite que toutes celles que j’ai empruntées jusqu’à maintenant. À peine une vingtaine de places. Je repère mon sac dans un coin. Au moins, j’aurai mes affaires pour ce soir. L’ambiance est lourde, il y a énormément de pleurs. Je me rappelle alors qu’il y a, ici, beaucoup d’amis d’Alex. Comment ont-ils vécu cet échange ? Ça doit être terrible pour eux ! Déjà qu’ils ne m’aimaient pas avant, sans véritable raison, maintenant ils en ont une bonne ! Simon sent mon malaise et me serre la main. — Ce n’est pas ta faute, Eléa ! — Mmm. C’est ce que j’essaie de me dire. — Une inversion, ça peut arriver ! Tu n’y es pour rien ! — Oui, tu as certainement raison, mais c’était tellement horrible, Simon ! Je me prends la tête entre les mains. Les larmes manquent de couler à nouveau. Je respire profondément. Ça suffit comme ça ! Les larmes n’ont jamais rien résolu ! Je ne sais pas s’il y a quelque chose à résoudre, mais en tout cas, je compte bien savoir ce qui va advenir de Aurore et ce n’est pas en pleurant que je vais réussir ! Une voix résonne dans les haut-parleurs. — Nous sommes aux frontières de la ville. D’ici quelques minutes, nous allons traverser la coupole et entrer dans les grandes étendues. À partir de là, notre trajet ne devrait pas durer plus d’une heure. Afin d’éviter toute contamination avec l’extérieur, dès que nous aurons franchi la coupole, une plaque de protection opaque va venir se glisser sur les vitres de la navette et l’apport en oxygène se fera grâce à des réserves. Je vous invite à profiter de cette heure dans la pénombre, pour vous reposer. La journée n’est pas encore terminée et a été déjà bien chargée. Je me retourne vers Simon. — Quoi ? Il veut dire que nous ne verrons rien de l’extérieur ? — Ben non. C’est la procédure ! Tu ne le savais pas ? — Euh, non… — Toutes les navettes, dès qu’elles quittent une ville, doivent abaisser leurs plaques de protection, même le pilote n’a plus de visibilité, tout se fait en pilotage automatique. — Ah bon ? Mais comment sais-tu tout ça, toi ? Et pourquoi ne me dit-on jamais rien à moi ? Il rit. — Est-ce que tu as déjà posé la question à quelqu’un ? Je réfléchis un moment. — Non, effectivement je ne me suis jamais vraiment intéressée à ce qu’il se passait à l’extérieur de la Nouvelle Paris et dès que quelqu’un essayait de m’en parler, je ne voulais pas écouter, ça me faisait trop penser à la Rafle. — Tu vois, si tu avais été un peu plus curieuse de la vie réelle plutôt que de tout étudier dans les livres, tu le saurais ! Je reste silencieuse un moment. — C’est quand même dommage. Maintenant que nous y sommes, j’aurais bien aimé savoir ce qu’il y a au-delà de nos frontières ! — Si un jour ta sœur arrive à trouver la solution avec sa molécule miraculeuse, peut-être pourrons-nous enfin nous promener sur la planète entière ! — Ce serait vraiment bien. Nous nous taisons et regardons dehors. La navette est maintenant très près de la coupole. Je suis hypnotisée par le chatoiement de couleurs qui en émane. De chez nous, au centre de la ville, le dôme est tellement haut que nous ne le distinguons pas. Nous voyons le ciel, les nuages, le Soleil, mais jamais je n’ai admiré toutes ces couleurs ! Là, de près, la coupole paraît presque métallique, et plein de teintes s’y mélangent. J’ai l’impression d’être au pied d’un arc-en-ciel ! C’est beau et impressionnant à la fois. Je suis prise de panique. Allons-nous vraiment passer là-dedans ? N’est-ce pas dangereux ? Mais la navette continue à progresser et s’enfonce lentement. Pendant un moment, je retiens mon souffle, mais rien ne se passe. Nous continuons à avancer dans cette masse qui me paraissait visqueuse quelques minutes plus tôt et qui, maintenant, me fait plutôt penser à un nuage. Autour de nous tout se teinte de gris. Un son mécanique me tire de ma rêverie, je vois les plaques opaques se mettre en place à l’extérieur, au niveau des fenêtres. Elles se scellent à la coque de la navette dans un bruit de succion, puis nous sommes plongés dans la pénombre. Un léger ronronnement nous informe que les compresseurs d’air se sont également mis en marche. — Tu veux que j’allume les petites lampes au-dessus de nous ? Je secoue la tête. — Non, laisse comme ça, je vais essayer de me reposer un peu. — D’accord, viens par là. Mets ta tête sur mes genoux si tu veux. J’acquiesce et m’allonge, la tête sur lui. — Là ! Ça va ? Et ta bouche, tu n’as pas trop mal ? — Non, ça va. Je suis plutôt toute engourdie. Il faut que je reprenne mes esprits. Lentement, Simon me caresse les cheveux. Mes yeux papillonnent et je finis par les fermer. J’entends une dernière chose. — Chut ! Repose-toi, ma moitié, je veille sur toi, dors bien ! Je m’endors.
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