2 – Dialogue de sourds

665 Words
2 DIALOGUE DE SOURDS — Téo, enfin ! m’interpelle Roger tout en se rapprochant. Mec, où t’étais ? — Où j’étais ? Et toi, qu’est-ce qui te prend de braquer un flingue sur une fille ? — Écoute ça, c’était trop de la balle ! reprend Roger. — Quoi ? Tu déconnes ?!? — Dis-moi pas que t’es pas au courant ! Hé mec, j’ai maté Paige la fragile ! Et t’as loupé la scène… — Waouh, quelle nouvelle ! dis-je d’un air dégoûté. — T’imagines pas. Comme d'hab, elle était dans son monde. Elle regardait même pas où elle allait. Elle a marché droit sur moi et a fait tomber tout son bordel, son ordi, son tél, ses bouquins d’intello. Puis elle m’a demandé de l’aider à ramasser ses merdes en me traitant de « gros lourd ». T’y crois ? — Et ? — Je lui ai dit d’aller se faire foutre et je lui ai collé un bon gros flingue sur la tempe. Elle a commencé à crier, à pleurer... C'était trop drôle. — Je ne vois pas ce qui est drôle… — Allez Teo, ne fais pas ta minette… C’était du faux. Sous le flingue, je peux te dire qu’elle bougeait pas d’un pouce, la môme ! Mais qu’est-ce qu’elle braillait ! Des gars curieux commençaient à arriver, alors je me suis cassé. — Merde Roger ! C’est nase ce que t’as fait ! — Teo, c'était pour le fun ! Si j'avais eu un vrai flingue, ça aurait été génial !! Elle se serait pissée dessus, la meuf ! T’aurais dû voir sa tronche... — Merde Roger, tu penses que t’es un super mec parce que tu fais peur aux filles ? — Va te faire voir, Teo. C’est toi qui réagis comme une gonzesse. — C’est ça ! Sauf que si Paige commence à te balancer à la direction, tu risques d’avoir de gros problèmes. — T’inquiète, elle dira rien ! fait Roger en se redressant fièrement. Allez, on se fout d’elle et de sa trouille de pisseuse. Tu sais pas la dernière ? Josh m’a lâché qu’on allait enfin obtenir des armes. Des petits flingues, dans un premier temps... Cool, hein ? — Ici des gens se font tuer tous les jours ! lui dis-je les yeux ronds, et toi tu veux en rajouter ?! — Mec, c'est de la légitime défense ! Personne ne viendra plus me faire chier. — Je te connais, Roger. Tu ne vas pas l'utiliser pour te défendre… — Et alors ? — T’as vu Josh récemment ? je demande, histoire de changer de sujet. — La dernière fois que je l’ai vu, il avait l'air défoncé. Il m’a dit en crânant qu'il n’avait plus besoin de venir au bahut, car le « big » boss de la ville, VK le maire lui-même, s’occupe de lui maintenant. — J'arrête pas d'entendre parler de VK. Qu’est-ce qu’on s’en fout du maire de la ville, vous faites de la politique ou quoi ? — C’était un ancien businessman pété de tunes, un gros dur dans un costume bien taillé. Josh est en admiration totale devant lui. — Bon, tu m’en diras plus un autre jour, faut qu’on se grouille. On a cours ! On se dirige en mode zombie vers la salle d’informatique. Comme chaque jour, le prof nous propose de prendre nos meds, posés bien en vue à l’entrée. Une façon déguisée de nous déglinguer un peu plus les neurones ! Perso, j’ai toujours refusé d’en prendre. Je vois bien que c’est à cause de ces médicaments que ma mère va si mal, et ce n’est pas la seule d’ailleurs. La plupart des habitants d’Urbansville sont devenus accros à ces merdes qui les mettent dans une espèce de somnolence inconsciente et amnésique. « Attention, danger ! » je me dis à chaque fois que je vois ces pilules de toutes les couleurs me tendre les bras comme des bonbons inoffensifs. On est tous postés comme des robots devant nos écrans. Certains élèves s’envoient des SMS en douce. Ils utilisent déjà la nouvelle app inventée par Paige. C’est le seul moyen de ne pas être fliqués par le wifi et l’intranet du lycée qui sont sous surveillance. Au tableau, ce crétin de prof est en train de nous faire l’apologie de « l’ubérisation » croissante. Un élève lève le doigt et lui demande s’il a entendu parler du groupe appelé « l’Alliance » qui préconise un retour à la nature et aux principes de la Mère-Terre... Le prof blêmit et explique en bafouillant que ce n’est qu’une vieille légende urbaine, rien de plus. Alors qu’il débite ses salades, une autre élève envoie un texto qui dit que l’Alliance existe bien. À la tête de ce groupe, il y aurait un mec hallucinant avec des pouvoirs surnaturels. Au même moment, la fin du cours sonne.
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