Chapitre 1 Une funeste journée-1

2127 Words
Chapitre 1 Une funeste journéeIl est rare que la pluie tombe à torrent sur l’île. Pourtant encore une fois on dirait que le temps suit mes émotions. Depuis quelques minutes, je fixe cette pluie violente frapper la vitre de ma chambre. Mon bras est douloureux et instinctivement je me gratte le bandage qui m’enserre la chair. J’ai beau essayer de ne pas penser, je n’y arrive pas. Et la douleur est ici pour me rappeler tout ce que j’ai perdu. Je jette un coup d’œil au journal posé sur mon lit. En gros plan, le visage de l’adolescent blond me regarde tout sourire. Ce sourire figé dans le temps et ces yeux d’un bleu si sublime qui se sont avérés être plus noirs qu’ils n’y paraissaient. Je connais ce fichu article par cœur. Il indique que mon ami a été retrouvé poignardé dans une allée sombre de la capitale. L’arme n’a pas encore été retrouvée et il est difficile de l’identifier. Entre arme contondante ou tison, il est difficile de se situer. Malheureusement, sans l’arme, difficile de trouver des traces du meurtrier. Le journal précise que l’enterrement du jeune garçon a lieu sur Wanouk où il reposera auprès de son père et de sa mère décédés quinze ans plus tôt dans des conditions mystérieuses. Ça fait cinq jours que cet article est paru et l’enterrement d’Hugo va avoir lieu dans une heure. Je me suis habillée en noir pour l’événement et c’est plutôt comique vu les circonstances. Hugo s’est avéré être un traître au sang noir, moi qui le considérais comme mon meilleur ami, je me suis bien fait duper ! C’est lui qui m’a accueillie ici sur cette île il n’y a pas si longtemps, qui m’a rassurée et qui m’a conté l’histoire de Wanouk. La légende dont je fais désormais partie ! Celle qui indique que je suis une élue, détentrice d’une des âmes magiques des îlots de Wanouk. L’un des réceptacles de Chanax, celle qui contrôle et manipule le feu. Hugo s’est avéré un confident et un soutien moral suite à la mort de mes parents, là où mon oncle, Tom, a échoué. Il est certain qu’à son sujet, il est loin d’avoir la palme d’or du meilleur tonton ! Notre relation est plutôt « compliquée ». Et ça m’a valu de lourds ennuis, moi qui cherchais à le fuir plutôt que de tenter de nouer des liens, j’ai rencontré le pire des hommes qui puisse exister ; Mathias Sinach, qui finalement s’est avéré être le cousin de mon ancien ami Hugo. Cet enfoiré m’a manipulée assez bien pour initier en moi une violente et douloureuse traînée sombre. Même si j’ai trouvé le dernier fragment des trois frères qui restait sur les îlots de Wanouk, mon âme avait malheureusement déjà trouvé une partie bien noire. Ce qui m’a valu énormément de problèmes par la suite, surtout auprès des cinq autres élus qui n’ont pas compris immédiatement. Mais j’ai réussi à me canaliser grâce à mon maître, Perfide, qui m’a prise sous son aile. Il m’a appris tellement de choses, j’ai tant découvert et tant compris mais j’ai aussi trop perdu à cause de cette vie magique. C’est lui qui a senti la menace arriver avant moi. Il savait qu’il y avait un traître parmi mes amis et il a fallu que je découvre de qui il s’agissait. Il a fallu que cette f****e nuit brise bien plus que mon cœur. Je suis devenue une meurtrière ce soir-là ! J’ai du sang sur les mains, je suis devenue ce que je ne voulais pas être. J’ai sauvé mon double Cédric mais j’ai perdu le contrôle. Hugo est mort ! Il n’est plus là ! Il est définitivement parti et tout est de ma faute. Instinctivement, mes yeux changent de couleur pour devenir aussi rouges qu’un brasier ardent, mes doigts se tendent vers ce foutu visage figé sur le papier. Le journal s’enflamme immédiatement. La sensation qui se propage en quelques secondes le long de ma colonne vertébrale est réconfortante mais pas suffisante. La chaleur ne brûle pas le désespoir qui me submerge depuis ce Noël. Le visage de Hugo disparaît dans un tas de cendre. A-t-il vraiment joué un jeu pendant tout ce temps ? Il prétendait que oui, mais je me refuse à y croire ! Pourtant il était bien pire qu’un sbire de Mathias il était de sang pur, de souche ténébreuse, descendant direct de Sombro. Et grâce à ses aveux, j’ai découvert que ces abrutis voulaient ramener ce monstre d’entre les morts, celui qui a tué les triplés. C’est pour ça qu’il tue ses semblables, pour s’approprier leur énergie sombre. L’odeur du papier carbonisé me remplit les narines comme pour accentuer le drame de la situation. Mon cou est tendu et me fait mal jusqu’à la moelle. J’ai beau me masser la nuque il n’y a rien à faire, la douleur persiste et elle est bien pire que celle de mon bras. Je sais ce qu’elle signifie. Les ténèbres sont proches ou alors je ressens les sentiments de Mathias, ou de la chose qui se trouve être le fantôme de Sombro. Pourtant depuis ce soir-là, la douleur n’a jamais disparu. J’ai paniqué les premières heures et puis j’ai même espéré que Hugo soit en vie et que ce soit sa rage qui me provoque ça, mais finalement on l’enterre aujourd’hui et rien n’a changé. « Je te l’ai dit, je suis sûr que ça vient de ta colère ! » me marmonne Chanax. Sa voix douce résonne à mes oreilles. Même s’il n’est pas physiquement là mais qu’il se trouve en moi et que nous communiquons mentalement, sa présence est bien plus réconfortante qu’aucune autre. Et puis il n’a pas tort ! C’est sans doute le cas. Je ne sais pas contre qui j’ai le plus de colère. Contre Mathias pour m’avoir trompée et manipulée encore une fois, contre Hugo pour m’avoir dupée et foutu en l’air toute notre amitié ou contre moi-même pour n’avoir rien vu. « Calme-toi ! » « Je suis désolée. » J’inspire et ordonne aux flammes de disparaître. Aussitôt dit, aussitôt fait ! « Je comprends ta colère Judith mais souviens-toi Sombro devient plus puissant quand tu éprouves ces sentiments et je ne supporterai pas longtemps ce genre d’attaque de sa part. » « Je n’arrive pas à me contrôler. Depuis ce soir-là j’ai l’impression d’être en continuel contact avec lui et même si ça me fait peur, je ressens le besoin d’être ainsi. C’est comme si je prenais goût à cette vie ! » « Tu te trompes tu n’es pas ainsi. Tu t’es mis ça dans la tête parce que tu te demandes si l’acte que tu as fait il y a cinq jours ne va pas te conduire tout droit dans les bras de Mathias. » « J’avais oublié que tu connaissais toutes mes pensées et tous mes doutes. » « Et aussi tes espoirs. Tu dois t’enlever ça de la tête ! » « J’ai tué mon meilleur ami et tu l’as entendu. Il a dit lui-même que pour faire partie des ténèbres il faut réaliser l’acte le plus terrible qui soit. Que peut-il y avoir de pire que de tuer un de ses amis ? Je n’ai plus aucune différence avec eux. » « C’est faux, eux ne possèdent pas l’une des âmes des trois frères. Je suis en toi et je ne te laisserai pas tomber. Fais-moi confiance, même si les jours sombres qui approchent te font peur. Il ne faut pas que tu te laisses sombrer dans une telle souffrance sinon je ne pourrai plus rien. À deux nous sommes plus forts ne l’oublie pas ! » Je n’ai pas le temps de lui répondre car la porte s’ouvre à la volée. Peter, mon petit frère, reste planté sur le seuil et me regarde de ses petits yeux marron. –Ça pue le brûlé Djoud’ ! Je hausse les épaules en signe de culpabilité. –Désolé petit frère, j’ai fait un peu de magie ! –Heureusement que je sais garder ton secret ! dit-il fièrement. Il me saute au cou du haut de ses 5 ans et je ne dis rien d’autre en sortant de la pièce. J’aime son odeur et le contact de sa peau, c’est ce qui pour moi est le plus rassurant. Pourtant on a déjà vécu cette douloureuse situation mais la dernière fois c’était pour l’enterrement de mes parents. Ce souvenir me retourne l’estomac. Au pied de l’escalier, il y a déjà beaucoup de monde. Tom soutient son associé, Simon, qui est aussi le père adoptif d’Hugo. Le personnel de l’hôtel au complet est présent et la plupart essuient des larmes ou se dissimulent le visage dans un mouchoir. Tous sont habillés en costume de cérémonie. Un peu plus en retrait, la b***e de la Trinite au complet discute et tous lèvent les yeux quand ils m’aperçoivent descendre. Margaux me lance un petit sourire, tout comme son double Jimi qui est également son petit ami. Tous deux possèdent le pouvoir de Ventil, les pouvoirs de l’air. Et à leurs côtés le deuxième couple, Clarisse et Adrien, me donne un hochement de tête. Eux possèdent l’âme de Claronx, l’âme de l’eau. Seul reste Cédric, mon double, soutenu par Jimi qui me fixe de ses beaux yeux verts qui me collent des frissons. –Salut Judith ! Je détourne le regard et fixe le jeune homme plutôt séduisant qui me sourit poliment sur ma droite. La surprise m’emporte. –Steve ! Que fais-tu ici ? –Je suis venu aux funérailles d’Hugo. Même si je ne le connaissais pas beaucoup c’était ton ami et je me suis dit que tu aurais besoin d’une épaule pour te soutenir. Immédiatement en revanche, je ressens la désapprobation de Céd’, un frisson me parcourt le dos suivi d’une impression de dégoût assez violente. Mais je n’y fais pas attention. Ce beau gosse à la peau métisse et aux cheveux bruns me regarde d’un air enjôleur. Depuis le réveillon de Noël, nous ne nous sommes pas revus. La dernière fois, il m’a embrassée et je suis partie dormir chez Cédric où Hugo m’a attaquée. Bien entendu cette version-là, personne ne la connaît, hormis Tom et la Trinite. –Je suis contente que tu sois là ! Steve se rapproche de moi et m’embrasse tendrement. J’ai besoin de réconfort et même si Cédric est contre, je l’aime bien. Rapidement on se met en marche et on traverse le centre-ville de Wanouk. Je marche aux côtés de Steve en serrant Pet’ toujours contre moi. Je perds le fil des choses en fixant la voiture noire qui roule au pas en transportant le cercueil de mon ancien ami. Une multitude de souvenirs me vient en mémoire. Je me rappelle la première fois où je l’ai entendu au téléphone et puis notre première rencontre. Il avait un sourire et une voix si accueillants qu’il a perdus lors de cette f****e attaque ! Mon petit frère finit par grimper au cou de Tom, et Steve en profite pour m’attraper la main. Nous marchons silencieusement à travers les rues étroites avant de nous arrêter devant un grand portail blanc qui garde l’entrée d’un cimetière. J’essaye de faire abstraction des sanglots qui submergent la plupart des gens présents et du regard pesant de Cédric que je sens se poser sur moi, dans mon dos. À vue d’œil le cimetière n’est pas très grand mais suffisamment pour que mes yeux se posent pendant de longues minutes sur le cercueil d’Hugo, porté par Tom et d’autres hommes de L’Alpinia. Ils le déposent sur des barres à côté du caveau où va être enterré mon ami. J’entends à peine son éloge funèbre, ni le discours de Simon et je ne participe à la cérémonie que par ma simple présence. Mes pensées vagabondent et quand ils font descendre le cercueil d’Hugo au fond de sa tombe, je n’ai qu’un seul désir, le venger ! Je ne peux pas laisser sa mort impunie. Même si je suis son assassin, c’est Mathias qui l’a envoyé me défier. Quand la cérémonie se termine, la majorité des personnes disparaissent et Steve m’entraîne vers la sortie. –Tu sais tu peux pleurer si tu veux ! me murmure-t-il. –Non… pleurer ne ferait qu’admettre qu’il est parti. –Judith, Hugo n’est plus parmi nous il faut te résigner. –Tant que je serai en vie, il sera présent parmi nous. Je ne le laisserai pas mourir. –Je ne comprends pas. Je lui souris douloureusement et je marmonne : –Ce n’est pas grave ! Moi-même, je ne sais pas si je me comprends ou pas. Un cocktail est donné en l’honneur de mon ami et je reste au bras de Steve la plupart du temps, à discuter de tout et de n’importe quoi. Sa présence est agréable et réconfortante. Il reste bien plus longtemps que les autres mais quand la nuit commence à tomber, il se lève et demande : –Si tu veux, tu peux venir dormir chez moi. Ça ne posera aucun problème ! –Je te remercie mais je vais rester. Je l’accompagne jusqu’à l’embarcadère et avant qu’il ne grimpe à bord de la navette, je lui lance : –Je te remercie d’être venu ! Pour toute réponse, j’ai le droit à un doux et long b****r. Je le regarde partir à bord de la navette et finis par lui tourner le dos. Quand je pénètre dans l’hôtel, je trouve assis à l’une des tables à l’extérieur, Tom et Simon. Ils sont seuls et je ne trouve pas le courage d’aller les rejoindre, les pleurs de Simon sont bien trop puissants. Je sors donc de nouveau de la pièce et je me mets à courir. Je sais où je dois aller, je développe mes sens qui me confirment qu’il n’y a personne dans les alentours et je me métamorphose en louve. Sous mon pelage blanc magnifique je galope beaucoup plus vite. Comme à mon habitude depuis la dernière attaque, je me dirige vers la crique de Cédric. Il n’a pas encore repris des forces et il faut que je l’aide. J’arrive à destination en quelques minutes. Je bondis sur le sable et je n’ai pas besoin d’attendre plus longtemps pour repérer mon ami. Il est assis en tailleur, le buste droit. Il me tourne le dos face à la mer.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD