Chapitre 8

991 Words
Chapitre 8 : Un même lit Point de vue d’Aurélia La journée m’avait lessivée. Le poids de la tension dans ce palais, le regard d’Alejandro, la froideur dissimulée derrière la beauté des lieux… tout m’écrasait. J’avais besoin de silence. D’une porte fermée entre moi et le reste du monde. Je refermai doucement la porte de ma chambre. Une des rares que je pouvais encore appeler "à moi" dans cette immense cage dorée. J’ôtai lentement ma robe, laissant le tissu glisser le long de mes jambes. Elle tomba mollement au sol, comme un poids de trop. Je pris un pyjama en soie crème, simple, presque pudique. Le tissu frais sur ma peau me fit frissonner. Mes gestes étaient lents, presque mécaniques. J’étais lasse. Je tirai les draps, m’y glissai avec précaution, comme si le lit appartenait à quelqu’un d’autre. En vérité, je ne savais plus très bien ce qui m’appartenait encore. Je fermai les yeux un instant… jusqu’à entendre la poignée tourner. La porte s’ouvrit. Maxence. Il entra sans bruit, presque comme une ombre. Il avait retiré sa veste, ne portait qu’un t-shirt noir et un pantalon de détente. Il ne dit rien. Ne me regarda même pas. Il posa un tapis au sol, près du lit, et s’abaissa pour y installer un oreiller et une couverture. Je fronçai les sourcils. Il comptait dormir là ? Par terre ? Je me redressai sur un coude. — Maxence… qu’est-ce que tu fais ? Il leva à peine les yeux. — Je te laisse ton espace. Je vais dormir ici. Ce n’est pas un problème. Je l’observai un moment. Cet homme, si froid en apparence, posait une couverture sur un sol de marbre plutôt que de s’allonger à mes côtés. Par respect ? Par gêne ? Ou parce qu’il pensait que je ne le supporterais pas ? Je soufflai doucement. — Ce n’est pas logique. Le lit est grand. Et tu n’as pas à dormir sur le sol. Viens. Ses yeux se posèrent enfin sur moi. Un regard sombre, profond, surpris. — Tu es sûre de toi ? demanda-t-il d’un ton bas, presque murmurant. Je le fixai. J’étais partagée. Il me troublait. Il m’effrayait encore un peu. Mais au fond… j’avais plus peur de moi-même. De ce que je pouvais ressentir, malgré tout. Je hochai la tête. — Oui. Il resta silencieux quelques secondes, m’observant comme s’il cherchait à déceler une hésitation dans mes yeux. Puis il se releva lentement, saisit son oreiller, et contourna le lit. Je m’écartai légèrement, me replaçant du côté gauche. Le matelas s’enfonça légèrement sous son poids quand il s’y allongea. Nous étions à quelques centimètres l’un de l’autre. Mais un gouffre invisible restait là, entre nous. Je fixai le plafond, le cœur un peu serré. Il ne disait rien. Ne bougeait pas. Et moi non plus. Le silence était lourd. Pas oppressant. Plutôt comme une couverture qu’on n’ose pas retirer. Maxence était là, allongé à côté de moi. Je sentais sa présence, sa chaleur discrète de l’autre côté du lit. Il ne me touchait pas. Il ne bougeait même pas. Mais je savais qu’il était éveillé. Tout comme moi. Je tournai doucement la tête vers lui. Dans la pénombre, je distinguais le profil de son visage. Froid. Parfait. Insondable. Ma voix fut un murmure : — Tu dors ? Il ne répondit pas tout de suite. Puis : — Non. Pas encore. Un silence. Puis il ajouta, calmement : — Je n’ai pas beaucoup dormi ces derniers temps. Toi ? Je déglutis. — Je n’arrive pas vraiment à dormir ici… Pas encore, en tout cas. Il tourna légèrement la tête. Nos regards se croisèrent dans l’obscurité. Je ne voyais que ses yeux luire faiblement, comme deux éclats de nuit. — Tu n’as pas peur de moi ? demanda-t-il tout bas. La question me prit de court. Je pris une inspiration. — Un peu… au début. Mais ce soir… non. Pas comme avant. Je vis sa mâchoire se crisper légèrement, comme s’il retenait quelque chose. — J’ai l’habitude que les gens me craignent. Parfois, je le cherche. Parfois, je le regrette. Il disait cela comme on confesse un crime. J’eus un pincement au cœur. Il semblait si… seul. Je murmurais : — Tu n’as pas besoin de me faire peur pour que je t’écoute, tu sais. Il resta immobile un moment. Puis sa voix, grave, s’éleva à nouveau : — Tu n’étais pas censée être dans ma vie, Aurélia. Et encore moins dans ce lit. — Je n’ai pas choisi, tu sais. — Moi non plus, répondit-il. Pas vraiment. Un silence. Profond. Mais pas vide. Je tournai la tête, fixant le plafond. — Tu penses pas que ce mariage est une erreur ? Il réfléchit quelques secondes. — C’est un accord. Un marché. Et je suis un homme de parole. Je sentis mon cœur se serrer. Alors ce n’était que ça ? Juste un contrat. Juste une stratégie. — Et moi ? Je suis quoi, dans tout ça ? Un pion ? — Non, dit-il tout de suite. Non, tu n’es pas un pion. Tu es une conséquence. Une… lumière dans quelque chose de très sombre. Je restai figée. Il venait de dire ça avec une telle sincérité que je ne savais plus comment respirer. J'ajoutai, plus doucement : — Et je ne sais pas encore si je suis prêt à la laisser m’éclairer. Je me tournai sur le côté, le regard fixé sur lui. — Tu peux me laisser entrer un peu. Pas tout… Juste un peu. Son regard resta fixé sur moi. — J’ai peur de ce que tu pourrais y trouver, soufflai-je — Moi aussi, j’ai peur de toi. Mais je suis là. Il ne répondit pas. Mais sa main s’approcha, effleurant à peine la couverture, pas ma peau. Un geste timide. Hésitant. Je refermai les yeux. Et cette nuit-là, on ne fit rien… sauf se parler, dans le noir. Deux âmes cabossées, côte à côte.
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