CHAPITRE TROIS

2272 Words
CHAPITRE TROIS Kendrick chevauchait à la tête de l’armée des MacGils et des prisonniers libérés, qui ne cessait de croître, comme tous s’élançaient sur la route en direction de l’est, à la poursuite de Andronicus. Srog, Brom, Atme et Godfrey étaient à ses côtés. Reece, O’Connor, Conven, Elden et Indra les suivaient de près, ainsi que des milliers de guerriers. Les corps des soldats impériaux, calcinés et noircis par le souffle du dragon, ou bien tués par l’Épée de Destinée, jonchaient le sol. Thor les avait décimés, accomplissant à lui seul le travail d’une armée. Kendrick admira les dégâts. Les pouvoirs combinés de Thor, de l’Épée de Destinée et de Mycoples le laissaient sans voix. Ce retournement de situation l’émerveillait. Quelques jours plus tôt, ils avaient été prisonniers du joug de Andronicus et forcés d’admettre la défaite. Thor, absent. L’Épée, un rêve qui semblait alors inaccessible. Kendrick et ses compagnons avaient été crucifies, abandonnés, et tout espoir avait semblé perdu. À présent, ils chevauchaient, libres à nouveau, soldats et chevaliers, revigorés par l’arrivée de Thor, et la situation tournait à leur avantage. Il semblait que Mycoples avait été envoyée par les dieux. Une force de destruction descendue du ciel. Silesia s’élevait à nouveau, libérée. Les soldats impériaux, au lieu d’occuper la campagne, jonchaient maintenant le sol aussi loin que portait le regard. Tout cela était encourageant, mais Kendrick savait qu’un demi million d’hommes les attendaient de l’autre côté des Highlands. Ils avaient été repoussés mais ils étaient encore loin d’être vaincus. Or Kendrick et ses compagnons ne comptaient pas rester les bras croisés à attendre que Andronicus regroupe ses forces et attaque à nouveau. Ils ne comptaient pas non plus lui offrir une chance de fuir. Le Bouclier s’élevait à nouveau autour de l’Anneau et, même en sous nombre, Kendrick et son armée avaient une chance de l’emporter. Andronicus était en fuite et Kendrick était bien décidé à poursuivre sur cette formidable lancée en répétant la première victoire de Thor. Kendrick jeta un coup d’œil par-dessus son épaule vers les milliers de soldats et d’hommes libres qui chevauchaient avec lui. Il lut la détermination dans leurs regards. Ils avaient connu l’esclavage, goûté l’amertume de la défaite… Ils appréciaient maintenant, et pleinement, leur liberté. Pas seulement pour eux-mêmes, mais également pour leurs familles et leurs épouses. Chacun d’entre eux, rendu amer et audacieux par cette douloureuse expérience, était bien décidé à ne pas laisser Andronicus s’échapper. Comme un seul homme, ils partaient combattre la mort. Sur leur passage, ils libéraient de plus en plus de prisonniers, brisaient leurs chaînes et les intégraient dans leurs rangs. Leur nombre ne cessait de croître. Kendrick lui-même se remettait encore de son temps passé sur la croix. Son corps n’était plus aussi fort qu’avant et il sentait encore le contact brutal de la corde sur ses chevilles et ses poignets. Il jeta un regard oblique à Srog, Atme et Brom, ses voisins de croix, et vit qu’ils étaient dans le même état. La crucifixion les avait tous affectés Pourtant, ils chevauchaient avec fierté et audace. Rien de mieux que l’occasion de défendre sa vie, l’occasion de se venger, pour oublier ses blessures… Kendrick se réjouissait également de voir son jeune frère Reece et les autres frères de Légion à ses côtés, enfin de retour de leur quête. Les massacres à Silesia avaient été terribles. Revoir Reece et ses compagnons pansait quelque peu cette blessure. Kendrick avait toujours voulu protéger Reece en grandissant et prendre auprès de lui le rôle d’un deuxième père quand le Roi MacGil avait été trop occupé. Le fait d’être seulement des demi-frères ne les avait pas éloignés l’un de l’autre, au contraire : ils s’aimaient par choix, plus que par obligation. Kendrick ne s’était jamais senti si proche de ses autres frères : Godfrey passait beaucoup de temps à la taverne avec des individus louches et Gareth… Eh bien, Gareth, c’était Gareth. Reece avait été le seul à choisir la carrière des armes, comme Kendrick, et Kendrick n’aurait pas pu être plus fier de lui. Dans le passé, quand ils avaient eu l’occasion de combattre côte à côté, Kendrick avait ressenti le besoin de veiller sur Reece. Il voyait, à présent, que son frère était devenu un authentique guerrier endurci et qu’il n’avait plus besoin de protection. Il se demanda quelles épreuves Reece avait surmontées dans l’Empire pour devenir si talentueux et si dur… Il avait hâte de s’asseoir tranquillement avec lui pour entendre ses aventures. Kendrick se réjouissait également du retour de Thor, non seulement parce qu’il les avait libérés, mais également parce qu’il aimait et respectait le jeune homme comme un frère. L’image de ce garçon brandissant l’Épée de Destinée ne quittait plus son esprit. Jamais Kendrick n’aurait cru voir cela de son vivant. Jamais il n’aurait cru voir quelqu’un – n’importe qui – manier l’Épée, et encore moins Thor, son propre écuyer, un humble jeune homme venu d’un village de la périphérie de l’Anneau. Un étranger. Il n’était même pas un MacGil. Mais était-ce vraiment le cas ? Kendrick s’interrogeait. Il rappela la Légende à ses souvenirs : seul un MacGil pouvait manier l’Épée. Au fond de lui-même, Kendrick avait toujours espéré qu’il aurait cet honneur. Il avait espéré obtenir de l’Épée la dernière preuve de son héritage, la preuve qu’il était un vrai MacGil et le premier-né de son père. Il avait toujours rêvé que la vie ou les circonstances lui permettraient un jour de tenter sa chance. Finalement, cette chance, Kendrick ne l’avait pas eue, mais il ne pouvait refuser à Thor sa victoire. Kendrick n’était pas d’un naturel rancunier. Bien au contraire, il s’émerveillait de la destinée de Thor. Il ne comprenait pas, cependant… La Légende se trompait-elle ? Thor était-il un MacGil ? Comment était-ce possible ? À moins que Thor ne soit lui aussi un fils du Roi MacGil ? Kendrick s’interrogeait. Bien sûr, son père avait eu des aventures. L’une de ces coucheries était d’ailleurs à l’origine de la naissance même de Kendrick… Était-ce la raison pour laquelle Thor avait quitté précipitamment Silesia après avoir parlé à sa mère ? De quoi avaient-ils bien pu discuter ? Sa mère n’en disait mot. C’était la première fois qu’elle gardait un secret et refusait d’en parler à Kendrick ou ses autres fils. Pourquoi ? Que pouvait-elle bien cacher ? Qu’avait-elle bien pu dire pour que Thor les abandonne soudain sans prononcer un mot ? Kendrick pensait à son propre père, à son héritage. Malgré lui, l’idée de n’être qu’un bâtard le dévorait de l’intérieur. Pour la millième fois, il se demanda qui pouvait être sa vraie mère. Il avait entendu toutes sortes d’histoires tout au long de sa vie, sur des femmes qui avaient couché avec le Roi MacGil, mais il n’avait jamais pu être certain. Quand tout serait terminé, quand l’Anneau serait à nouveau en paix – si cela devait arriver –, Kendrick tâcherait de résoudre le mystère. Il chercherait sa mère. Il lui demanderait pourquoi elle l’avait abandonné, pourquoi elle avait refusé de faire partie de sa vie. Comment avait-elle rencontré le Roi ? Il ne voulait rien de plus que la rencontrer, contempler son visage, scruter les ressemblances, l’entendre dire qu’il était un enfant comme les autres, un enfant désiré par ses parents. Kendrick se réjouissait de savoir Thor à la recherche de Gwendolyn, mais une partie de lui aurait aimé qu’il reste. Au moment d’affronter des dizaines de milliers de soldats impériaux, ils auraient bien besoin de Thor et de Mycoples… Cependant, Kendrick était un guerrier, né et élevé pour le combat. Il n’était pas du genre à attendre les bras croisés que d’autres se battent à sa place. Voilà ce que son instinct le lui dictait : chevaucher à la rencontre de l’armée ennemie et tuer le plus de soldats que possible. Il n’avait peut-être pas de dragon, ni d’épée magique, mais il avait ses deux mains, celles qu’il utilisait au combat depuis toujours. Et c’était bien suffisant. Ils atteignirent le sommet de la colline et Kendrick balaya du regard le paysage. Lucia, une petite ville MacGil, s’élevait au loin, à l’est de Silesia. Les corps des soldats impériaux pavaient la route. Visiblement, la vague de destruction initiée par Thor s’était arrêtée ici même. À l’horizon, Kendrick aperçut un bataillon ennemi en train de battre en retraite, en direction de l’est. Il se dirigeait certainement vers le camp principal de Andronicus, de l’autre côté de Highlands. Tous les autres régiments faisaient de même, mais ils avaient apparemment laissé une petite division à Lucia. Plusieurs milliers campaient en ville et gardaient l’entrée. Les citoyens avaient apparemment été réduits en esclavage. En se rappelant le traitement subi par les Silésiens après la défaite, Kendrick s’empourpra de colère et un désir de vengeance enflamma son cœur : — À L’ATTAQUE ! Il leva son épée. Derrière lui s’éleva la clameur de milliers de soldats. Kendrick éperonna sa monture et tous dévalèrent le coteau en direction de Lucia. Les deux armées se préparèrent au combat. Égales par le nombre, elles ne l’étaient pas par le cœur : la petite division impériale n’était que le résidu d’une armée en déroute, tandis que Kendrick et ses hommes étaient prêts à se battre jusqu’à la mort pour protéger leur patrie. Son cri de guerre s’éleva jusqu’aux cieux, comme il chargeaient les portes de Lucia. Ils furent si rapides que les quelques douzaines de soldats montant la garde eurent à peine le temps de réagir. Ils ne s’attendaient pas à une attaque. Ils s’empressèrent de se réfugier derrière les murs et d’activer les manivelles pour abattre les herses. Ils ne furent pas assez rapides. Les archers de Kendrick décochèrent des volées de flèches qui les transpercèrent en pleine poitrine ou à travers les défauts de leurs armures. Kendrick lui-même lança un javelot, tout comme Reece. Celui de Kendrick trouva sa cible : un guerrier énorme qui s’apprêtait à tirer une flèche. Celui de Reece se planta sans effort dans le cœur d’un soldat. Kendrick et ses hommes n’hésitèrent pas un seul instant avant de s’engouffrer sous les portes laissées béantes. Ils chargèrent au son d’un formidable cri de guerre, en direction du centre-ville, sans reculer devant les ennemis. Tous brandirent leurs épées, haches, lances et hallebardes dans un grand fracas de métal pour rencontrer les milliers de soldats impériaux qui chargèrent à dos de cheval. Kendrick, en tête, leva son bouclier pour bloquer une arme, tout en tuant deux hommes d’un coup d’épée. Sans montrer la moindre hésitation, il tournoya sur lui-même avant de planter sa lame dans les entrailles d’un autre soldat. En voyant son assaillant mourir, Kendrick pensa à la vengeance, à Gwendolyn, à son peuple, à tous les gens de l’Anneau qui avaient souffert. Reece, à ses côtés, abattit sa masse dans la tête d’un soldat et le fit basculer à terre, puis il leva son bouclier pour parer les coups qui se mirent à pleuvoir. Il brandit à nouveau son arme et tua un autre de ses assaillants. Elden, non loin, se jeta dans la mêlée avec sa grande hache et coupa en deux un homme qui s’apprêtait à attaquer son frère d’armes. O’Connor décocha plusieurs flèches avec une précision mortelle, même à une courte distance, tandis que Conven se jetait dans la bataille avec l’énergie du désespoir, sans même s’embarrasser de son bouclier. Une épée dans chaque main, il se fraya un chemin de destruction au cœur de l’armée ennemie, comme cherchant la mort. Étonnamment, il ne la trouva pas mais tua, au contraire, tout homme qui se trouvait sur son passage. Indra suivait non loin. Elle était intrépide, peut-être même plus que certains hommes. Elle maniait sa dague avec habileté, entaillant les rangs ennemis et poignardant les soldats à la gorge. Tout en combattant, elle pensait à sa patrie et à tout son peuple asservi par l’Empire. Un soldat abattit son arme vers la tête de Kendrick avant qu’il ne puisse l’éviter et il se prépara au choc. Atme s’élança et bloqua le coup de son bouclier, dans un grand fracas métallique. Il transperça alors l’assaillant de sa lance. Encore une fois, il sauvait la vie de Kendrick. Comme un archer visait Atme, Kendrick se précipita en avant pour le déséquilibrer d’un coup d’épée et la flèche siffla bien au-dessus de la tête de son ami. Kendrick heurta alors le soldat du pommeau de son arme pour le faire basculer. À terre, l’homme fut immédiatement piétiné par sa propre monture. À présent, Kendrick et Atme étaient à égalité. La bataille fit rage, encore et encore, chaque armée rendant coup pour coup. Des hommes tombèrent des deux côtés, mais plus, peut-être, parmi les rangs de l’armée impériale, comme les hommes de Kendrick s’enfonçaient toujours plus loin dans la cité. La situation était assez équilibrée : les soldats impériaux étaient forts et disciplinés mais ils avaient plus l’habitude de lancer l’assaut que de se faire surprendre de la sorte. Bientôt, ils furent incapables d’organiser la riposte et furent repoussés. Au bout de presque une heure de combat intense, les pertes décidèrent l’Empire à sonner la retraite. Un clairon retentit et, un par un, les soldats firent volte-face avant de fuir. Kendrick et ses hommes se lancèrent à leur poursuite au son d’un féroce cri de guerre et les accompagnèrent jusqu’aux portes de la ville. Les survivants du bataillon impérial – peut-être quelque centaines d’hommes –, se dispersèrent en plein chaos en direction de l’horizon. Des acclamations s’élevèrent dans tout Lucia. Les hommes de Kendrick libérèrent au passage tous les esclaves, qui se précipitèrent aussitôt sur les armes des cadavres et montèrent sur des chevaux pour rejoindre l’armée libératrice. Leurs rangs avaient doublé de volume quand ils se lancèrent à la poursuite des soldats impériaux entre les collines. O’Connor et quelques archers en tuèrent un certain nombre, dont les corps jonchèrent ça et là la campagne. Kendrick se demandait où ils allaient, quand soudain, parvenant au sommet d’une colline, il eut une vue plongeante de Vinesia, une des plus grosses villes MacGil à l’est de Silesia, nichée au creux d’une vallée entre deux montagnes. C’était une ville importante, bien plus que Lucia, protégée par d’épais murs de pierre et des portes cloutées. Kendrick devina que c’était la destination du bataillon en déroute. Il s’arrêta un instant pour considérer la situation. Vinesia était une grande ville et ils étaient en sous nombre. Il savait qu’envisager de la prendre d’assaut était risqué. Le plus sûr aurait été de rentrer à Silesia et de se satisfaire de la victoire pour aujourd’hui. Cependant, Kendrick n’était pas d’humeur à prendre des décisions raisonnables. Lui et ses hommes avaient soif de sang et de vengeance. Un jour comme celui-ci, les risques n’importaient pas. Il était temps que l’Empire apprenne de quel bois les MacGils se chauffaient. — CHARGEZ ! hurla-t-il. Un cri s’éleva derrière lui, comme des milliers d’hommes dévalèrent le coteau avec témérité, en direction d’un ennemi plus fort qu’eux, prêts à donner leurs vies pour l’honneur et le courage.
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