Gislaine… La circulation d’un « non-dit » entre colère et silence
C’est une expression très curieuse, inventée de toute pièce. Mais elle est devenue tellement courante dans l’évocation d’un cas ou d’une histoire familiale, que même dans l’écriture son usage s’est établi d’en faire un seul mot : « non-dit ». Que dit le « non-dit » ? Qu’il existe un événement tu, dissimulé, caché, dont les effets peuvent être pathogènes, en particulier lorsqu’il a trait aux appartenances filiatives d’un sujet. Hélas, il ne suffit pas que le non-dit soit dit pour qu’il soit entendu et que cessent les symptômes susceptibles de lui être imputées !
Dans un sens un peu différent elle qualifie une manière particulière, spécifique, de s’exprimer : être dans le « non-dit » comme manière d’être dans un dire qui dit qu’il y a une difficulté à dire. Ainsi d’une constatation où ce non-dit est posé comme un objet extérieur, comme un savoir ignoré de certains, possédé par d’autres, nous passons à quelque chose de plus essentiel qui est la façon singulière pour un sujet d’être au dire, d’être dans le dire, d’être à se dire. Dans ce contexte le non-dit ne désigne pas une chose qui n’est pas dite, mais plutôt une façon de dire qui peut faire « généalogie ». Cette façon de non-dire circule entre les générations et celles-ci se construisent, construisent leurs liens dans une ambiance, avec une ambiance, où flotte du non-dit qui participe ainsi, dès l’enfance, à cette construction. Plus précisément, elles se construisent avec la circulation d’un non-dit qui emprunte mille manières de se dire, au fil du déploiement d’une parole qui s’énonce. Accroché au mur comme un tableau ou posé sur son socle comme une horloge, un observateur /auditeur pourrait repérer dans ces familles, s’il lui en prenait l’envie, les « choix » lexicaux, les constructions stylistiques et grammaticales, la récurrence de certaines expressions, les enchaînements surprenants, les ruptures, les incohérences. Ce qui va alors faire « trait filiatif », ce n’est pas le lien institué mais la manière dont les événements font trace, la manière dont les événements en tant que traces circulent dans la famille.
J’ai un ensemble de souvenirs que je situe de façon un peu spontanée aux alentours de mes huit, neuf ans. Ces événements m’ont marquée parce que durant toute mon enfance et mon adolescence, que ce soit par ma mère ou mes grands-parents, jamais je n’étais grondée ou même simplement jamais ces adultes ne haussaient le ton en me parlant. Fille unique pendant longtemps jusqu’à la naissance de ma sœur, j’étais très choyée, j’avais une vie dorée. « Elle est gâtée celle-là ! » répétait à l’envi ma grand-mère, participant d’ailleurs activement à entretenir cet état.
Il est très possible que ce soit ce que Freud appelle des souvenirs de couverture ou faux souvenirs, basés entre autres sur la tendance de notre psychisme à construire une réalité, parfois très proche, parfois très éloignée de La réalité. En particulier cette tendance à construire une temporalité qui relie, par condensation et déplacement, des événements appartenant à des moments différents de notre existence. Nous fonctionnons tous avec des repères temporels et spatiaux qui semblent arrimer solidement notre histoire, mais qui reposent en fait sur une construction/fiction ayant plus ou moins à voir avec la réalité des faits, construction tout à la fois fragile et cependant souvent empreinte d’une certitude absolue, créée à partir d’un entrecroisement de mots, d’images, d’émotions qui appartiennent à des périodes, des âges, des événements différents. Un peu comme des glissements incessants d’une couche de souvenirs à une autre.
La colère de ma grand-mère
J’adore ma grand-mère. Elle s’appelle Emilia, c’est la mère de ma mère, elle est d’origine portugaise, et quand j’étais petite j’étais tout le temps fourrée chez elle, j’y passais tout mon temps libre ; c’était d’autant plus facile qu’on habitait à peine à trois rues de distance. Pas très grande, plutôt mince, les cheveux gris frisés au petit fer – c’était la mode à l’époque – un visage aux contours très doux, elle était la plupart du temps « en tablier » comme si ce vêtement faisait intrinsèquement partie de sa personnalité. Avec mes grands-parents on avait des relations fantastiques. De tout l’été je n’étais pas chez moi à la maison, j’étais chez mes grands-parents. Tout près, en bas du village, il y avait mes oncles et tous mes cousins, seulement des garçons pendant longtemps. En plus, j’avais un oncle du même âge, à un mois près, Etienne, parce que ma mère et ma grand-mère avaient eu un enfant en même temps, nous étions toujours ensemble. Au début mon père était le seul à avoir une fille. Pendant toute mon enfance j’étais la seule fille née Lobroslak. J’étais la chouchoute, la petite préférée. Je me sentais très libre avec ma grand-mère, on parlait beaucoup ensemble, mais par contre il y a une chose qui m’a toujours étonnée c’est que ma grand-mère n’a jamais parlé de son premier mari. Jamais, jamais, jusqu’au jour où… C’est l’expression qui me vient sans réfléchir, « son premier mari ». Or ce « premier mari » était aussi le père de ma mère… et donc mon grand-père ! J’ai envie d’ajouter, le vrai.
Chez ma grand-mère j’étais chez moi et j’aimais fouiller partout comme tous les gamins. Elle avait une armoire dans sa chambre, immense, en acajou, assortie au lit et aux tables de chevet. Cette chambre à coucher, mon grand-père, Rudi, la lui avait offerte à leur mariage. Elle faisait partie de ce que ma grand-mère appelait « son trousseau ». Elle en était très fière. En fait, normalement ce n’est pas le futur mari qui offre le trousseau à sa future épouse, mais le père de la future mariée. Mais rien n’est très normal dans cette famille ! Bon, bref, cette armoire était fermée à clé, je ne sais pas pourquoi, la clé était toujours dans la serrure. J’aimais par dessus tout me faufiler dans sa chambre, monter sur une chaise, ouvrir l’armoire et prospecter. J’appelais ça jouer à l’exploratrice. J’adorais. Je glissais ma main sous les piles de draps, de torchons de cuisine, de serviettes, je sondais le contenu des tiroirs, j’ouvrais toutes les boîtes que je trouvais. Je ressentais que ce n’était pas bien puisque j’avais en permanence l’oreille tendue guettant le grincement des marches de l’escalier. Mais il flottait dans cette maison, comme d’ailleurs dans celle de mes parents, une telle atmosphère de réticence, de choses inabordables, que cela me rendait particulièrement curieuse et même carrément fouineuse.
Un jour, en montant sur le dossier de la chaise, dans un équilibre précaire et particulièrement audacieux, je réussis à atteindre la dernière étagère, celle qui avait échappé jusque-là à mes explorations. Derrière des sachets remplis de vieilles pelotes de laine, je dénichai… et réussis à redescendre une sorte de boîte à biscuits. Je l’ouvris, elle contenait des photos anciennes : il y avait un couple de jeunes mariés, l’air raide, sérieux, elle avec une robe noire droite et un voile noir sur les cheveux, lui aussi dans un costume noir, côte à côte, sans se toucher, sans un sourire ainsi que d’autres personnes, tout un mariage ! Le fait que les photos aient été si bien cachées aiguisait ma curiosité ; j’y revenais souvent, toujours secrètement, prenant soin de ne rien déplacer. Et puis dans sa chambre, ma grand-mère avait sur une petite table, près de la fenêtre, une sorte de tableau avec des fleurs artificielles, des petits anges sur un nuage et deux prénoms à l’intérieur, Emília et Paulo. Je l’avais toujours vu là sans véritablement le voir. Il faisait partie du décor. Mais une fois, peut-être en lien avec les photos, peut-être aussi parce que je savais lire, j’ai demandé à ma grand-mère ce que c’était que ce tableau. Je n’ai pas pu dire : qui c’est ce Paulo ? Elle m’a répondu sur un ton tellement sec que je n’ai pas osé insister : « Oh ! Ne pose pas de questions stupides ! » Et elle m’a fait sortir sans ménagement de sa chambre. En quoi ma question était-elle stupide ? Je ne comprenais pas.
Et puis une autre fois, le drame ! Elle me surprit en train de regarder les photos de l’armoire. M’enhardissant de plus en plus je les avais apportées dans ma chambre, il y avait du bruit dehors, un voisin coupait sa haie, ma grand-mère est montée, je ne l’ai pas entendue, alors là elle s’est vraiment fâchée, elle a même crié, elle m’a dit que je n’avais pas à fouiller comme ça dans ses affaires, elle était très en colère. Je ne l’avais jamais vue comme ça. Mais cette fois-ci j’ai eu plus de courage. Je lui ai demandé qui c’était ces personnes, elle m’a répondu, le visage fermé, en m’arrachant presque les photos des mains : « C’est de la famille au Portugal ! »
Elle ne voulait pas en parler, c’est clair, et elle ne m’en a jamais parlé, jamais, jusqu’à tout récemment. Jamais elle ne m’avait dit que ce couple sur la photo était le sien, que la jeune fille c’était elle, et le jeune homme, son mari, le père de ma mère, et que c’était leur mariage.
Voilà comment je l’avais écrit dans mon journal, à l’époque :
« Je suis allée demander à maman et maman m’a parlé. Elle m’a raconté, elle m’a dit : “Mais tu ne dis rien à ta grand-mère, elle ne veut pas que tu le saches”. »
Plutôt laconique et sibyllin !
Quand je relis ces mots, quelques seize ans plus tard, je m’aperçois que ma façon de dire montre clairement le poids de ce silence, il s’agissait d’obéir à la règle implicite de ne rien dire. Mon écriture montre aussi la manière dont cet ascendant circule : sous forme d’un imprononçable. En effet, j’évite tout détail concernant le contenu de la conversation. Sur quoi portait ma demande ? De quoi ma mère m’a-t-elle parlé ? Qu’est-ce qu’elle m’a raconté, qu’est-ce qu’elle m’a expliqué ? Je n’en formule rien. La seule précision que je donne concerne l’avertissement de ma mère ; ma grand-mère doit ignorer que je sais. Pourquoi ? Ma question ne trouve pas de réponse. Elle en avait peut-être honte ? Je ne sais pas. Elle ne voulait pas que je sache que ma mère n’était pas la vraie fille de mon grand-père ? C’est possible. Bon elle sait que je sais, c’est sûr. Maintenant elle sait. Puis un jour, je lui ai dit : « De toute façon, l’autre grand-père il était pas beau il avait l’air méchant, il était affreux, beurk, je l’aurais pas voulu. »
Sur les photos il avait l’air très sérieux. C’est sûr que les photos d’époque n’avaient pas la même qualité que celles d’aujourd’hui, mais enfin d’après les photos je ne l’aurais pas aimé. Comme si je voulais la consoler. Elle ne m’a rien répondu.
Je n’en ai plus reparlé avec elle.
La colère de ma mère
Maintenant que je reprends cette histoire mes souvenirs affluent.
Je me souviens que, très secouée par la réaction de ma grand-mère, en pleurs, j’ai couru voir ma mère. J’ai déboulé dans le salon où elle faisait ses mots fléchés comme d’habitude. Je lui ai parlé des photos que j’avais découvertes dans l’armoire de ma grand-mère, de ce couple raide dans ses habits du dimanche. Plus tard, elle m’a avoué que mes questions avaient été comme un choc pour elle et qu’elle avait failli perdre son sang-froid. Je lui demandais des explications sur des questions dont on ne devait pas parler ! Sa mère ne l’aurait pas supporté. C’est la première chose qu’elle m’a dite.
« Ta grand-mère ne doit pas savoir que tu sais qui est cet homme sur la photo. Elle ne le veut pas !
— Mais pourquoi ? C’est ton papa ! » je lui ai dit, effarée. Je ne comprenais rien. D’un seul coup ma mère a été comme projetée dans un autre espace ; elle a pris une voix aigüe, une voix de petite fille qu’elle essayait en vain de contrôler :
« En fait, je n’ai pas connu mon père, pas du tout. J’étais petite quand il est mort. Je sais que… il était malade. Je ne connais rien de mon père. Je n’ai aucun souvenir de mon père ! Je ne sais absolument rien ! La mort de papa, alors absolument aucune idée, aucun souvenir ! Je serais incapable de le décrire ! »
Plus elle parlait, plus une colère difficilement contrôlable l’envahissait, sans qu’elle n’en saisisse la source. Je la regardais avec un étonnement presque craintif. Ma mère est quelqu’un de très calme, très maîtrisé. Jamais un mot plus haut que l’autre, mais avec un ton toujours ferme. Elle me semblait habitée par une sorte d’émotion qui la dépassait. J’ai compris, après coup, la violence d’une disparition qui ne laissait d’autres traces que celles de son effacement, la violence qui lui avait été faite à travers cet effacement.
Elle s’est reprise, elle a tenté de retrouver son calme et elle a cherché à rendre cet homme plus présent, plus vivant. Ce « rien » qu’elle répète à deux reprises n’était pas tout à fait rien. Elle a baissé le ton :
« Tout ce que je sais, tout ce qu’on m’a raconté de lui ce sont des mots, hein, ce sont des mots. On me parlait, bon, que c’était un gars très bien, un monsieur très silencieux, pas très grand, qu’il était très aimé mais qu’il était très strict. »
Je l’entendais parler avec une espèce de détachement qui l’amenait à utiliser des expressions passe-partout dans une représentation complètement dévitalisée de ce « gars très bien ». Ces mots impersonnels, sans auteur, étaient déchargés de toute affectivité.
De toute façon, il ne lui venait qu’une seule image, une tombe, et elle a ajouté :
« J’allais au cimetière à la Toussaint comme tout le monde. » Et après un long silence, que je n’ai pas osé interrompre : « Est-ce que j’éprouvais quelque chose ? Non. Sentimentalement ça ne me touchait pas. Et pourquoi cela m’aurait touché ? » Elle faisait les questions et les réponses. J’ai attendu, et elle s’est répondue, c’était comme une certitude :
« Pour moi, mon père c’est celui qui m’a élevé, donc c’est pas celui qui met l’enfant au monde qui est le père.
— Alors ton père c’est Pépé ? J’ai risqué.
— Oui ! » Et au ton de sa voix, j’ai compris qu’il ne fallait pas insister.
Bien plus tard, j’ai saisi ce qui m’avait été transmis à propos de son ascendant : l’interdiction non pas de le citer, mais de le parler, on pourrait dire de le penser en tant que souvenir « vivant », trace de cette mort dans le silence qui l’entourait.
Qu’est-ce que ma mère m’a appris ? Des choses apparemment très simples quand on les énonce dans l’objectivité des faits, mais dont chaque élément est comme une source inépuisable d’émotions : ma grand-mère s’est mariée une première fois avec un jeune homme, Paulo Fontero, d’origine portugaise comme elle. Elle a eu une fille, Monique, ma mère. Son mari est mort de maladie quelques années après leur mariage. Un peu plus tard ma grand-mère, veuve, s’est remariée avec Rudi Lobroslak. On dit dans la famille que son ancêtre venait d’Ousbékistan, qu’il s’était marié et installé à Moscou, puis que les descendants avaient émigré en traversant la Pologne, la Tchécoslovaquie, l’Allemagne, et qu’ils s’étaient fixés en Belgique où il était né. Ensuite il était venu travailler ici dans les mines de potasse et il était devenu le père de ma mère et mon grand-père.
Avec Rudi, ma grand-mère a eu deux jumeaux, puis beaucoup plus tard, un garçon qui a mon âge. Ma mère a épousé Pierre Lobroslak, le frère de Rudi, beaucoup plus jeune que ce dernier, de la même génération qu’elle.
La colère de mon grand-père
C’est un souvenir qui est resté profondément ancré dans ma mémoire tant la réaction de mon grand-père a été explosive. C’était un homme plutôt trapu, les cheveux en brosse, avec une ossature du visage très marquée : menton, pommettes, arcades sourcilières. Il avait manié le marteau-piqueur une grande partie de sa vie, en avait conservé des bras noueux, pleins de bosses, et une surdité importante de l’oreille droite. Il était impressionnant, même pour moi qui n’avais peur de rien et surtout pas des adultes qui m’entouraient de leur amour inconditionnel.
Comme tous les matins, avant d’aller travailler au jardin, mon grand-père lit son journal, bien installé dans son fauteuil en velours vert, placé à côté de la fenêtre, ponctuant sa lecture d’onomatopées plus ou moins bruyantes selon les nouvelles. C’est un sanguin, il peste, il trouve toujours que tout va actuellement de travers alors que les choses étaient tellement mieux à son époque ! Scène immuable, répétée je ne sais combien de fois, qui s’inscrit dans un temps suspendu. Ma grand-mère est partie faire les courses. Je dessine vaguement à côté de lui, sur une petite table, comme pour me donner une contenance. Depuis que ma mère m’a raconté, je brûle de lui faire part de mes connaissances en espérant, de façon peu consciente à ce moment-là, soulever cette chape de silence que je perçois de plus en plus. Je me souviens parfaitement de mes paroles. J’ai dit :
« Ben en fin de compte, Pépé, c’est rigolo t’es mon grand-père et t’es mon oncle en même temps ! »
J’ai cru qu’il n’avait pas entendu et j’ai failli répéter. Il a très lentement baissé son journal, mon estomac s’est noué, il m’a regardé les sourcils tellement froncés qu’on aurait pu faire tenir un crayon à l’endroit où ils se rejoignaient ! Je me suis pétrifiée. Il a juste articulé, en détachant les mots : « Je suis ton grand-père, ta mère c’est ma fille, j’ai jamais fait de différence. Il a dit : « M’appelle plus jamais comme ça ! Jamais ! ”« J’ai pensé bon ben d’accord, ouais, parce que, pour lui, c’est mon grand-père.
Ce que j’ai ressenti à ce moment-là ? Glacée intérieurement. Même si je soupçonnais que ma remarque n’allait pas lui plaire, je n’aurais jamais pensé que sa réaction allait être aussi violente. Pourtant, lorsque je reviens sur ma manière de dire, je m’aperçois à quel point l’inconscient est subtil. Dans ma formulation, « t’es mon grand-père et t’es mon oncle en même temps », le mot « oncle », vrai sur le plan de la parenté, ne chasse pas la première appellation, « grand-père ». J’offrais ainsi à cet homme, toujours de façon non consciente bien sûr, mais dans l’amour que je lui portais, la possibilité s’il le souhaitait d’établir entre les deux la distinction qui lui convenait.
Sa réponse me montre qu’il ne veut rien en savoir et je me fais très vertement rabrouer sans comprendre l’enjeu de ce qui est en train de se dérouler. Tout ce que je saisis, c’est qu’il y a une fiction à maintenir coûte que coûte : « Je suis ton grand-père, ta mère c’est ma fille ».
Qu’une nomination puisse « créer » celui à qui elle s’adresse, la réaction de mon grand-père en donne un bon exemple : « M’appelle plus jamais comme ça ! ». « Comme ça » : cette expression vient à la place d’une appellation qui ne peut être prononcée, comme si cette nomination, le remettant à sa place (généalogique) d’oncle, mettait en péril une autre place, celle qu’il veut occuper auprès de sa fille… et de sa femme.
Ma dernière réplique montre que j’ai bien entendu sa demande et je la lui retourne, laissant ouverte la question : « Pour lui, c’est mon grand-père ». Et pour moi ?
Ces quelques pièces du puzzle de mon histoire sont posées sur la table, devant moi. Il s’en faut de beaucoup encore que j’aie toutes les pièces, que je réussisse à les emboîter les unes dans les autres et que je découvre le motif du tableau qu’elles dessinent.