Fritz le chasseur

3088 Words
Fritz le chasseurVers le commencement de ce siècle, j’étais lieutenant à bord d’une corvette sur laquelle j’avais déjà filé quelques milliers de nœuds en mer, lorsque, de retour dans le port de Brest, j’appris que je pouvais prendre un congé d’un an sans aucun inconvénient pour la position que j’avais acquise, et surtout pour le service de l’État. Je songeai donc à faire en sorte que le temps de vacances qui m’était accordé fut employé non moins utilement qu’agréablement, et, à cet effet, je m’empressai de rentrer dans ma famille, muni de livres et de cartes que j’étudiais avec ardeur. Avant de voir, de mes propres yeux et réellement, les diverses régions que mon état me destinait à visiter, je voulais les connaître théoriquement et me les représenter par la pensée, au risque d’être plus tard détrompé par l’expérience. C’étaient des enchantements auxquels je me livrais en m’instruisant pendant mes jours de studieux loisir. J’avais déjà passé deux mois dans la nombreuse famille que j’ai le bonheur de voir en ce moment presque tout entière encore autour de moi, plus cette petite génération qui m’écoute, lorsque mon frère, qui était officier dans l’armée de terre, mon frère cadet, ton père, ma bonne Emma, fit ses préparatifs pour un voyage en Allemagne et en Italie. Vous pensez bien que je n’hésitai pas à lui dire qu’il aurait en moi un compagnon ; ce projet, aussi agréable à l’un qu’à l’autre, fut conclu sur-le-champ, et, après trois jours consacrés à l’étude approfondie de notre itinéraire et des meilleurs chemins à suivre, nous partîmes. J’avais dix mois à peu près à donner à ce voyage, mon frère Étienne ne voulait pas que notre promenade lui prît plus de temps : nous étions donc parfaitement d’accord sur tous les points. D’ailleurs, jamais deux êtres n’eurent deux volontés plus intimement en harmonie. Elles ne faisaient qu’une, de même que nos âmes. Une pensée qui venait à l’un, l’autre l’avait en même temps. Ce que je repoussais, j’étais bien certain que mon frère le repousserait, et lui, il pouvait à coup sûr désirer quelque chose, bien certain que je le désirerais comme lui. Enfin, notre amitié était aussi étroite qu’il convient à deux bons frères, et jamais sur la terre nous n’eûmes à débattre un avis opposé. Après avoir traversé la France de l’ouest à l’est, nous entrâmes en Allemagne par Strasbourg, et, nous embarquant bientôt sur le Rhin, nous remontâmes ce fleuve magnifique avec une lenteur qui désespérerait notre génération, habituée à la vapeur dévorante ; mais cette marche avait bien son mérite, en présence des beautés pittoresques qui surgissaient à chaque pas devant nous et à nos côtés. Vieux châteaux en ruines, collines drapées de vertes forêts, rochers aux formes imposantes, tout aurait donc fui derrière les roues poussées par la vapeur impatiente que je compare à la fébrile activité de trop de jeunes têtes. Nous quittâmes le Rhin à Cologne, la cité de la merveilleuse cathédrale, et, après avoir visité la Saxe, la Franconie, le berceau de nous autres Francs, la Bavière et la Souabe, nous aperçûmes enfin, un matin, une vaste étendue d’eau qui brillait, comme un miroir, au soleil levant. C’était le lac de Constance, c’était la Suisse, c’était le chemin de l’Italie, chemin rude à l’entrée duquel s’élèvent d’âpres barrières, des montagnes de neige et de glace. Nous aurions pu choisir entre ces passages les plus praticables et les plus commodes ; mais mon frère et moi, nous avions pour maxime qu’il est bon de faire face aux difficultés, afin de s’y habituer et d’acquérir, pour les circonstances imprévues de la vie, une force à l’épreuve des plus rudes atteintes auxquelles il faut toujours s’attendre. Nous nous rendîmes donc de Lindau à Coire, et, pendant une station de quelques jours dans cette dernière ville, capitale du canton des Grisons, nous fîmes, pour notre passage en Italie, tous nos préparatifs ; nous étudiâmes avec soin les cartes du pays, et nous partîmes le sac sur le dos, après avoir confié nos bagages à des muletiers qui allaient à Chiavenne. Nous aurions agi sagement de faire route avec ces hommes, qui eussent été pour nous de meilleurs guides que nos itinéraires et nos plans ; mais la jeunesse aime à se conduire à sa fantaisie, sauf à s’en repentir, et c’est ce qui nous arriva. Vainement, à l’auberge de la Croix-Blanche, nous conseilla-t-on avec instance de prendre un conducteur éprouvé ; vainement nous fit-on le tableau de tous les périls qui pouvaient nous assaillir dans le terrible défilé nommé la Via Mala (mauvaise voie), nous n’écoutâmes rien ; prenant pour courage une témérité folle, nous nous mîmes en route d’un pas résolu, tel qu’il le fallait pour monter une rude côte jusqu’à une ferme que l’on nomme, je crois, Rongella. – C’est bien par ici le chemin de Zilis ? demandâmes-nous à un bon vieux paysan de cette ferme. – Oui, messieurs, oui… c’est bien le chemin de Zilis… mais… ajouta-t-il en secouant la tête de droite à gauche, de gauche à droite… mais… y arriverez-vous sans accident ? Le vent est bien tiède il a beaucoup neigé ces jours derniers… ces maudites avalanches du printemps, il faut y prendre garde ! et puis êtes-vous habitués à voyager sur le bord des précipices ? Tenez, je vous dis… – et il regardait le ciel en disant ces derniers mots, – tenez, je vous dis que vous feriez mieux de rester à la ferme. À peine écoutâmes-nous ces dernières paroles, qui cependant étaient aussi bienveillantes que sages… Nous étions déjà engagés dans la rapide descente qui aboutit à la Via Mala. J’ai dit que nous n’avions pas voulu prendre de guide, et j’ai dit vrai ; cependant un compagnon s’était d’autorité joint à nous. Venait-il de la part de la Providence ? La suite me le fit penser fermement. Un beau et robuste chien des Alpes, un de ces braves animaux de la race de ceux qui aident les hospitaliers du mont Saint-Bernard dans leurs fonctions d’admirable dévouement, s’était, dès notre sortie de Coire, attaché à nos pas, à ceux de mon frère Étienne surtout, et, quelques efforts que nous fissions alors pour le renvoyer vers un maître qui le regrettait beaucoup sans doute, plus nous le chassions, plus il s’acharnait à nous suivre. Nous dûmes conclure de son obstination que son maître était mort, et que l’affectueuse créature en cherchait un autre : nous l’adoptâmes donc, et, tandis que nous descendions la rapide côte qui mène de Tousis à la Via Mala, Grison (nous avions ainsi appelé, du nom de son pays, notre camarade de route), Grison était toujours à vingt pas en avant de nous, puis, tout aussitôt, à un pas seulement, puis, l’instant d’après, il s’élançait à vingt pas encore pour revenir comme un trait sauter autour d’Étienne et de moi. Il était déjà notre ami dévoué et savait son nom à merveille. Nous marchions donc gaiement vers cette région désolée et sombre au-delà de laquelle brillait le soleil d’Italie, nous ne remarquions même pas certains symptômes qui auraient dû sérieusement nous inquiéter. Le vent était devenu de plus en plus tiède tout en s’élevant et en poussant avec rapidité la poussière de neige qui couvrait les sapins et les mélèzes ; on entendait de tous les côtés un lointain murmure tel que celui qui précède les tourmentes de neiges ou les avalanches ; enfin notre chien, Grison, paraissait troublé, inquiet, et l’on sait quel merveilleux instinct avertit les animaux des catastrophes qui se préparent. Cette circonstance seule eût donc suffi pour nous rendre graves, si nous eussions eu quelque prudence, et pour nous engager à retourner sur nos pas. Il n’en devait point être ainsi, et nous continuâmes jusqu’à un endroit où deux chemins formaient embranchement. Lequel prendre ? Si nous eussions suivi le muet conseil que nous donnait Grison, nous n’aurions pas éprouvé un instant d’embarras, car il filait tout droit devant lui ; mais nous ne crûmes pas de notre dignité d’êtres raisonnables d’obéir aux indications d’un animal dont l’instinct en savait pourtant plus que notre intelligence. Nous déployâmes donc une carte fort détaillée, et, après l’avoir consultée pendant quelques minutes, malgré le vent qui la fermait sans cesse, comme s’il fût venu nous défendre de nous en rapporter à elle, nous reconnûmes qu’à l’endroit même où nous nous trouvions, en avant d’un pont de pierre d’une hardiesse merveilleuse, il y avait deux chemins qui l’un et l’autre aboutissaient à Zilis. – Il faut absolument que nous les connaissions tous les deux ; nous nous dépeindrons chacun celui que nous aurons vu, dit Étienne. – Soit, répondis-je, sans réfléchir que ce trait, qui sur la carte désignait un sentier, ne donnait nécessairement aucune idée de la route, laquelle était peut-être bien périlleuse. La trace presque imperceptible de quelques pas humains annonçait qu’elle était beaucoup moins fréquentée que celle où j’entrais, et j’allais adresser cette remarque à Étienne pour le retenir près de moi ; mais déjà il était bien loin dans ce chemin inconnu, et Grison, qui, vous le savez, s’était tout d’abord attaché à lui, Grison, qui, tout à l’heure, allait sans cesse gambadant en avant de nous, Grison le suivait en regardant derrière lui, en aboyant d’un ton qui ne semblait guère être celui de la joie. Je traversai donc le pont si hardi dont j’ai parlé et sous lequel le Rhin mugissait à une profondeur immense. On ne le voyait pas, car les sapins qui s’élançaient des parois des rochers formaient, au-dessus de son cours effréné, un rideau d’un vert sombre, et un pareil rideau s’étendait encore au-dessus de moi, de façon que la vallée était presque obscure, quoiqu’il ne fût que deux heures après midi. Il faut convenir qu’à chaque pas je trouvais la route plus imposante, plus inquiétante aussi. Quelquefois le Piz-Beverin et le Mutterhorn, ces immenses rochers qui sont les murailles à pic de la Via Mala, se rapprochaient à tel point, qu’il n’y avait que l’intervalle de quelques bonnes enjambées entre les deux bords du précipice, au fond duquel le Rhin roulait toujours avec plus de fracas. Les sourdes rumeurs qui présagent les tourmentes et les avalanches grandissaient toujours. Le vent devenait ouragan ; et ce furent bientôt, non plus de simples flocons, mais de véritables nuages de neige qu’il me lançait à la face. J’en étais aveuglé, et, quand je m’apercevais que le chemin sur lequel je marchais à tâtons n’avait souvent que deux pieds de largeur au plus, j’avoue que je ne mettais qu’avec terreur un pied devant l’autre ; mais je me rends aussi la justice que dans la terreur que j’éprouvais la pensée de mon frère était pour beaucoup. Que devenait-il au milieu de cet orage de neige ? D’après notre carte, le chemin dans lequel il était entré devait être presque parallèle au mien ; Étienne devait donc pouvoir entendre ma voix. – Étienne ! m’écriai-je, Étienne ! Je n’obtins aucune réponse ; mais le vent était si v*****t et si variable, qu’il avait sans doute emporté ma voix vers un côté opposé à celui où était mon frère. – Étienne ! Étienne ! À ces nouveaux appels pas d’autre réponse qu’un craquement épouvantable. Une avalanche s’abattit sur le chemin que je venais de parcourir, et, de là, s’élança dans le précipice avec un tumulte effroyable. Les eaux du torrent rejaillirent jusqu’à moi, sous ce choc, et la neige détachée de l’avalanche m’enveloppa d’un nuage infranchissable. Je passai donc dans ce tourbillon, au-dessus de l’abîme, quelques minutes qui furent bien longues, je vous l’assure. Je me rappelai alors, trop tard, que lorsque les masses de neige, amollies par le vent tiède du printemps, menacent de leur chute les vallées, il suffit du moindre mouvement, du plus léger bruit pour les ébranler, et, sans aucun doute, la voix retentissante avec laquelle j’appelai Étienne avait détaché cette avalanche. Il fallait donc désormais observer un silence absolu… mais mon frère, mon frère !… Enfin, la nuée de neige qui m’enveloppait s’étant dissipée un instant, je vis que j’avais à traverser un second pont, un pont de troncs de sapins qui me conduisait sur l’autre bord du précipice. Ciel ! Du milieu de ce pont tremblant, quelle vue effrayante ! J’avais bien loin, bien loin sous mes pieds, le Rhin grossi par l’avalanche qui s’y était abîmée tout à l’heure ; il se tordait, écumait, rugissait, au point que les rochers en avaient une sorte de frémissement, et l’on entendait les sapins se briser dans les convulsions de ce torrent. Arrivé à l’autre bout du pont, j’aperçus une simple croix noire, bien morne souvenir de quelque catastrophe, et je me signai en pensant à Étienne, en le nommant, en priant pour lui. Peut-être avait-il eu la même idée que moi, celle d’appeler à haute voix, et ses cris ou les aboiements de Grison avaient déterminé une chute de neige à laquelle il n’aurait pas aussi miraculeusement échappé que son frère ! Une nouvelle bourrasque vint ajouter à mon épouvante, et ce qui y mit le comble, ce fut le son d’une cloche que j’entendis non loin de moi : ce son de cloche, c’était un signal d’alarme et de péril, et malheur aux voyageurs qui ne pourraient pas prendre pour guide son pieux appel. Il ne fut pas inutile pour moi ; et, conduit par cette voix d’argent qui flottait dans l’air battu de la tempête, je parvins à entrer dans un petit défilé au bout duquel j’entrevis, à travers le voile d’une neige épaisse, un chalet surmonté d’une espèce de clocher d’où partait le sonore avertissement. De l’intérieur du chalet on entendit mes pas, et un homme accourut au-devant de moi, pour me donner le secours de son bras. J’en avais, en vérité, grand besoin, car je me sentais faible, vacillant, mes jambes tremblaient sous mon corps. Quel changement soudain venait de s’opérer ! Je me trouvais actuellement, non seulement à l’abri des ouragans et des avalanches, mais encore devant un bon feu, près d’une table bien servie, entre une jeune femme, Gretly, Fritz son époux et deux enfants, l’un de sept, l’autre de huit ans. Au moment où la tourmente s’était déclarée, les habitants du chalet commençaient joyeusement le repas destiné à célébrer le neuvième anniversaire d’une belle union ; mais leur bonheur avait été troublé par cette tempête, qui leur faisait redouter de terribles catastrophes pour leurs semblables. Ils étaient trop bons et trop charitables pour se pouvoir divertir, lorsqu’ils savaient que d’autres hommes souffraient ou étaient en péril ; aussi n’hésitaient-ils point à quitter à tout instant leur bon foyer et leur table de fête, soit pour aller sonner la cloche établie par leur active charité, soit pour aller sur le seuil regarder de toutes parts s’ils n’apercevaient pas quelque malheureux voyageur. Je demandai en tremblant à mon hôte, qui revenait en ce moment, s’il avait vu quelqu’un ; mais lui, ne m’entendant pas sans doute, tant ma voix était faible : – La Via Mala est bien méchante aujourd’hui, dit-il. Et il regarda tristement sa femme. – Hélas ! oui, ajouta Gretly, et nous apprendrons demain bien des accidents. Malheur, surtout, malheur aux voyageurs qui auront pris la route du Piz-Beverin, la route d’en haut, car la neige a sans doute caché toutes les perches qui indiquent le chemin. La route d’en haut ! ce devait être celle qu’avait prise Étienne : cette pensée me fit courir de la tête aux pieds un long frisson. – La route d’en haut !… dis-je à demi-voix, comme si je craignais de recevoir une réponse effrayante… et mon frère qui l’a prise, cette route, qu’est-il devenu, mon Dieu ? Un bruit venant du dehors fit faire à Fritz un geste de silence. Ce bruit ressemblait à un galop lointain, puis, presque aussitôt, la porte fut ébranlée par un choc v*****t qu’accompagnait un hurlement long et plaintif. Je me précipitai sur la porte, je l’ouvris. C’était Grison ! – Ô mon Dieu ! tout est donc fini ! tout !… il est donc mort ! Le pauvre Grison répondit par ses hurlements, ses regards effarés, ses allées et venues de Fritz à la porte, de la porte à nous. Il semblait nous dire : Vite ! vite ! par là ! Fritz l’avait entendu, et, ne songeant plus à dîner à son aise, il se munit d’une perche, d’une pelle, me donna une pioche : – Courons, me dit-il, et ayons le pied sûr. Au moment où Grison s’élançait vers les pics et où nous le suivions d’un pas aussi rapide qu’il était possible, à moi du moins, sur ce terrain glissant, nous vîmes Gretly et ses deux enfants se mettre à genoux en prières sur le seuil du chalet. Il fallut que Dieu me protégeât bien efficacement pour que je n’allasse pas rouler au fond des abîmes que nous longions en nous effaçant et nous cramponnant aux rochers, qui se détachaient quelquefois sous nos mains ; mais pensais-je à autre chose qu’à mon frère ? quel danger aurait pu m’empêcher de suivre Grison et Fritz, qui courait presque aussi vite que lui à travers ces précipices ? Enfin, les aboiements que le bon chien jetait par saccades en flairant à chaque pas furent bientôt remplacés par de longs hurlements qui se prolongèrent encore dans les échos, et il s’arrêta court devant un énorme éboulement de neige. – C’est là, me dit Fritz. – C’est là ! répétai-je en me précipitant sur cette avalanche qui étouffait mon frère. Fritz avait plongé sa perche et senti une résistance. Alors avec quelle activité je fis usage de la pioche que je portais ! tout bon frère peut le concevoir. Grison m’aidait de bon cœur de ses pattes robustes, et Fritz rejetait aussi avec sa pelle d’épaisses masses de neige. Enfin, après un quart d’heure de travail, et jamais il n’en fut de plus actif, j’aperçus le premier une teinte bleue sur la neige. La redingote de mon frère apparaissait sous la couche transparente. – Mon frère ! mon frère !… Étienne ! Point de réponse. C’était bien lui, cependant… Lui ?… son cadavre peut-être. Je le pris dans mes bras ; il était roide. – N’ayez pas peur ! n’ayez pas peur ! me cria Fritz en voyant mon regard épouvanté. Et après un seul coup d’œil jeté sur Étienne : – N’ayez pas peur, croyez-en mon expérience, il revient à lui. Grison léchait de toute la largeur de sa langue sa pâle et immobile figure, et moi, la disputant à Grison, j’eus enfin le bonheur de sentir les froides joues d’Étienne se ranimer sous mes lèvres. – En route ! en route ! Vite ! Allons chercher le feu et l’abri du chalet. Nous revînmes donc sur nos pas, et nous marchions sur le penchant des abîmes d’un pas aussi léger qu’en plaine. Mon hôte et moi, nous étions si heureux ! Ce n’était plus, comme en allant, une marche silencieuse, nous causions avec gaieté, car Étienne reprenait ses sens, et le bruit de notre conversation parvint jusqu’au chalet, car la voix s’étend loin dans ces solitudes. Nous entendîmes alors Gretly dire : – Mes enfants, allez au-devant de votre père. En effet, nous vîmes bientôt arriver d’un pas résolu le petit Carl, déjà hardi chasseur à huit ans, et sa blonde sœur Lisbeth, qui courait comme un chamois. Mon frère était désormais rendu à la vie ; il avait répondu à mes embrassements, et entra avec nous dans le chalet, en chancelant un peu sans doute, mais enfin il marchait. Gretly le reçut avec toute la joie d’un bon cœur, et lui, étendu sur un lit du foin le plus parfumé, à quelque distance du feu, il se ranima si bien, qu’au bout d’une heure, il n’était plus question que de la franche et cordiale hospitalité de Gretly et de Fritz. Le repas recommença, plus gai que jamais, et nous y prîmes joyeusement part. Nous étions si heureux de nous retrouver, et de nous retrouver là, au milieu de ces excellentes créatures ! Nous passâmes la nuit au chalet, et, le lendemain matin, en quittant ces braves gens qui nous avaient sauvés, nous leur dîmes, avec l’effusion de la plus tendre reconnaissance : – Adieu, nous ne vous oublierons jamais : soyez toujours aussi heureux que vous méritez de l’être, vous qui ne vivez que pour les autres, et qui pensez à eux avant de penser à vous. Ils nous souhaitèrent avec effusion un bon voyage, et nous descendîmes vers l’Italie : mais, hélas ! Grison n’était plus avec nous. Il nous avait quittés dès la veille au soir, comme si le bon animal se fût dit : « Ils n’ont plus besoin de moi. »
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