Chapitre 4

1423 Words
CHAPITRE 4 SOIXANTE-SEPT MILLE EUROS ! Il y avait soixante-sept mille euros dans cette housse. Plus qu’il n’en fallait. Léo était sauvé. Il pouvait maintenant passer à l’étape suivante, sans perdre un instant. Quand le corps de la femme serait découvert, la police allait s’agiter. Il n’y avait aucune raison qu’on soupçonne Léo, on incriminerait plus volontiers ceux qui avaient fait disparaître son ami. Mais on pourrait avoir envie de recueillir son témoignage, ce qui lui ferait perdre un temps précieux. Il n’avait aucune idée du sursis dont il disposait avant que le bazar commence. Léo prépara son matériel pour se rendre chez l’expert en faux papiers. Un orfèvre qui travaillait vite et bien. Auparavant, il passa chez le coiffeur pour changer sa coupe de cheveux. Précaution sans doute superflue car il bénéficiait d’un physique banal qui lui permettait de ne pas attirer l’attention et de passer les contrôles aisément. Il avait les cheveux et les yeux bruns, mais il n’était pas typé. Aucun trait de son visage, aucune caractéristique physique n’attirait l’attention. Les témoins ne se souvenaient jamais de lui. Taille et corpulence moyennes, teint plutôt clair, regard inexpressif… Un homme ordinaire en quelque sorte ; « un gangster normal », avait lancé un jour en plaisantant le commandant Piron, qui n’était pas dupe des diverses couvertures du t********t ! Le lendemain, Maxime Girot, cadre bancaire de trente-huit ans résidant à Marne-la-Vallée, muni d’une carte d’identité nationale infalsifiable et d’un permis de conduire, se rendait dans une agence de voyages rue de Rennes, après avoir déjoué la surveillance policière dont Léo Le Mexicain était l’objet, afin d’effectuer des réservations pour les vacances de la Toussaint. Malgré l’affluence en cette période de congés, il réussit à obtenir son aller-retour en Eurostar, ses billets de train pour Liverpool, la location d’une voiture en gare, et quelques nuits au Bryn Holcombe à Colwyn Bay, à soixante-dix kilomètres de Liverpool. Léo était loin de s’imaginer qu’il ne serait pas le seul Français à visiter le château de Gwrych le jour d’Halloween… – Alors, qu’a donné la surveillance de nos deux zozos ? attaqua Hubert Piron. Le commandant Piron, passé de la BRP1 aux Stups à l’occasion de sa promotion, avait pris la direction d’un groupe de la brigade. – C’est pas la joie, reconnut le lieutenant Igor Pougnisky, un jeune officier arrivé depuis peu dans le groupe et qui faisait preuve d’une grande motivation. En ce qui concerne Le Mexicain, on n’arrive pas bien à savoir ce qu’il mijote. Tantôt, il se promène sans but précis, tantôt il rompt la filature sans difficulté : son immeuble a deux entrées et les grands magasins voisins aussi. Il est impossible de le suivre : nous ne sommes pas assez nombreux ! On n’a rien à se mettre sous la dent depuis le début. Pourtant, il prépare sûrement un coup ! – Et les écoutes ? – Rien, ça ne donne rien, intervint le capitaine Jean-Pierre Croisdeux, l’adjoint de Piron. Que des banalités. Il se méfie. – Et José ? – Lui, c’est encore autre chose. Il a disparu depuis plusieurs jours. On est passé voir sa nana, elle n’a eu aucune nouvelle, ne sait pas où il est. Au début, elle ne s’est pas trop alarmée, ça lui arrive de s’absenter plusieurs jours pour ses affaires, mais maintenant elle est inquiète. Elle affirme ne pas connaître la nature exacte des affaires en question, même si elle se doute qu’elles ne sont pas tout à fait limpides. – Ça, c’est mauvais signe. C’était notre informateur. S’il a été démasqué, il est mort à l’heure qu’il est. On va trouver son cadavre un de ces jours. Il faut chercher, travailler au corps ceux qui le connaissent de près ou de loin, retourner voir sa compagne. On tourne en rond, là ! Allez, bougez-vous le c*l, bon sang ! Les hommes du groupe quittèrent le bureau en silence. Croisdeux, qui était habitué aux coups de gueule d’Hubert, donna une petite tape sur l’épaule de son jeune collègue. – T’en fais pas, le chef est de mauvais poil aujourd’hui, mais il est tout sauf méchant, et il sait mettre la main à la pâte. – Je comprends très bien. Pas grave, on va faire ce qu’il faut, répondit le lieutenant avec calme. Igor Pougnisky rêvait depuis toujours d’intégrer la prestigieuse Crim’, mais il était heureux d’avoir pu obtenir ce poste à la brigade des Stups. La brigade était également domiciliée au 36, il avait un pied dans la place. Le travail le passionnait. Rien à voir avec le commissariat du XVe où il se morfondait auparavant ! Ce n’était donc pas la soufflante d’Hubert Piron qui allait le déstabiliser. Il admirait l’énergie de son chef et il mettrait les bouchées doubles afin de lui faire honneur. Léo avait tout prévu, même une casquette à la sortie du salon de coiffure, histoire de cacher sa nouvelle coupe à son suiveur éventuel. Restait le problème de la valise. Si on le voyait sortir de chez lui un bagage à la main, on comprendrait tout de suite qu’il quittait la région parisienne. Il fallait trouver un moyen de la faire parvenir jusqu’à la gare du Nord. Un ado du quartier, qu’il connaissait bien, fit l’affaire. Moyennant un billet de cinquante euros, le gamin alla déposer l’objet à la consigne du premier sous-sol, sans poser de questions, et lui rapporta le ticket une heure plus tard. Léo n’avait plus qu’à échapper une fois de plus à la surveillance policière et se rendre à l’enregistrement de l’Eurostar. Le Mexicain récupéra sa valise, munie d’un généreux double fond contenant l’argent de la transaction. Préférant malgré tout éviter d’utiliser son nouveau portable, il chercha une cabine téléphonique en état de fonctionnement, laissa un message codé sur un numéro fourni par Marchand, puis monta au premier étage de la gare pour s’enregistrer. Il ne put s’empêcher de ressentir un petit pincement au cœur lors de la vérification d’identité, lorsque le policier leva les yeux vers lui, puis un deuxième lors du contrôle de son bagage. Ne pouvant emporter son arme à feu, il avait enfoui un couteau à cran d’arrêt tout au fond de sa valise, avec les billets. Mais tout se déroula sans encombre. Une demi-heure plus tard, il était confortablement installé en première et attaquait avec appétit un copieux petit-déjeuner anglais. Il s’octroya ensuite un petit somme, puis relut les indications de son chef, transcrites avec soin sur un petit carnet en moleskine. L’Eurostar entrait déjà en gare de St Pancras international. Le train pour Liverpool partait de Euston Station, non loin de là, une heure et demie plus tard. Il avait du temps pour la correspondance. Et il se débrouillait suffisamment en anglais pour prendre un taxi. À l’arrivée, ce serait peutêtre plus difficile : les Gallois avaient un drôle d’accent, pas toujours compréhensible. Mais cette euphorie relative, stimulée par l’atmosphère bruyante et joyeuse de St Pancras, ne dura pas longtemps. En pensant à ce château hanté où il devait se rendre en pleine nuit d’Halloween, Léo frissonna, assailli par l’appréhension… Cette fois, Pougnisky avait perdu son flegme. C’est en tremblant légèrement qu’il frappa à la porte du commandant Piron. – Oui ? répondit celui-ci d’une voix sonore. L’expression du lieutenant était plus éloquente qu’un long exposé. – C’est quoi, la cata que vous venez m’annoncer ? tonna Hubert. – Chef, on a un gros souci. – Oui, ben ça, j’ai compris. Il suffit de voir votre tronche. Au fait, mon vieux, au fait ! – On n’avait toujours aucune trace de José, alors je suis retourné chez lui… – Et alors ? – Pas de réponse. Je me suis hissé en haut du mur et j’ai aperçu un corps dans la courette. – Quoi ? Qui ça ? – Sa compagne. J’ai appelé du renfort, on a forcé la porte. Elle était morte depuis au moins deux jours. – Nom de Dieu de nom de Dieu ! Assassinée ? – C’est difficile à dire. Elle semble s’être fracturé la colonne cervicale en tombant sur une plaque en fonte. Une marque de coup au menton suggère qu’elle a été frappée auparavant. L’autopsie nous en dira plus. Pas de blessure par arme à feu ou arme blanche. Mais il y avait un Glock à côté du corps… – Un Glock ? – Un faux, en fait : un pistolet d’alarme. Qu’elle n’a pas utilisé. Le chargeur était plein. – Elle a dû surprendre son agresseur. – Oui mais attendez, ce n’est pas tout. – Quoi donc ? – Sous la dalle, il y a une niche avec le compteur d’eau. Et il y avait une cavité creusée dans la paroi à mi-hauteur. Vide. – Tiens, tiens, José devait y planquer un magot. Ce n’est quand même pas lui qui a agressé sa propre compagne en voulant l’emporter. Je pencherai plutôt pour quelqu’un de la b***e. Et le Léo, où est-il ? – Impossible de mettre la main dessus, il a disparu des écrans. – m***e ! Tout ça ne sent pas bon. J’ai bien peur qu’on les ait éliminés tous les deux. Leurs associés ont dû considérer que Léo avait sa part de responsabilité dans l’opération ratée. On ne plaisante guère chez ces gens-là… – Mais pour la fille ? – Peut-être une opération de récupération du magot de José qui a mal tourné ? Il faut poursuivre les recherches. Des indices sur place ? – Non, aucune empreinte hormis celles de la victime, Chef. – Décidément, on est mauvais sur ce coup ! Ouvrez l’œil et tenez-moi au courant. Réunion ici avec vos collègues, dès que vous avez les résultats de l’autopsie ! 1. Brigade de répression du proxénétisme.
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