Chapitre 2

1324 Words
CHAPITRE 2 DÈS QU’IL SORTIT DE SON IMMEUBLE du XXe arrondissement, Léo remarqua la Clio banalisée qui stationnait quelques mètres plus loin, dans la rue de Lagny. Il prit un air aussi naturel que possible et se dirigea de l’autre côté, refoulant son envie d’envoyer un pavé dans le pare-brise du véhicule. Il y avait justement un petit monticule de ces projectiles potentiels à proximité : des travaux de voirie commençaient dans sa rue. Il entra d’un pas décidé dans le Printemps Nation et se fraya un chemin au milieu de la foule. Un policier en civil lui avait sûrement emboîté le pas et il fallait le distancer très vite. Une autre entrée donnait sur le cours de Vincennes, qui lui assurerait une bonne avance avant qu’ils s’en aperçoivent. Le stratagème réussit. Par sécurité, Léo effectua encore une fausse entrée dans le métro Nation, ressortant par un autre accès. Un peu plus tard, il fit mine de monter dans une rame, puis sauta sur le quai juste avant la fermeture des portes. Après quelques autres manœuvres, certain d’avoir semé son ou ses poursuivants, il se rendit chez un vendeur du boulevard Voltaire, acheta un téléphone portable et ouvrit une nouvelle ligne avec carte prépayée, sous une fausse identité. Lorsqu’il ressortit, il était déjà dix-huit heures trente. Il avait juste le temps de rejoindre Marchand, après d’ultimes précautions. « L’endroit habituel » où se retrouvaient les malfaiteurs était le drugstore des Champs-Élysées, un lieu très fréquenté le soir et lui aussi pourvu de deux entrées, ce qui facilitait les fuites. Léo se posta à l’accès rue Verrier. À peine fut-il arrivé qu’une imposante Mercedes noire aux vitres teintées longea le trottoir en silence et s’arrêta à sa hauteur. La vitre côté passager s’abaissa dans un chuintement. – Monte à l’arrière ! Vite ! lui lança Marchand d’une voix sèche. Le Mexicain s’exécuta et se laissa tomber sur la banquette en cuir. L’intérieur puait le tabac froid. Un homme qu’il ne connaissait pas était assis à sa gauche. Un gros balèze au crâne rasé et au cou de taureau débordant de son col trop serré, qui ne le salua même pas. Lucien, le chauffeur, continuait à regarder droit devant lui. – Tu es sûr que tu n’as pas été suivi ? aboya Marchand. – Certain, Jeannot, mais… – Ta gueule ! Ça devenait une habitude. Marchand ne brillait pas par son amabilité, mais là il était carrément désagréable. Léo se sentait de moins en moins rassuré. – Enfile ça, on t’emmène chez le Patron. Sans prononcer un mot, le g*****e assis à sa gauche lui tendit une capuche en tissu noir. Léo l’enfila, et sentit aussitôt un lien lui enserrer le cou. Imaginant ce que devait éprouver un condamné à la potence dans ses derniers instants, il lutta contre la panique : chaque inspiration trop forte lui collait le tissu contre le visage et lui donnait l’impression d’asphyxier. Il sentit un filet de sueur couler le long de son dos malgré la température fraîche du mois d’octobre. Le Patron voulait le voir… C’était la fin. La voiture s’était déjà arrachée du trottoir et entama un trajet qu’il fut rapidement incapable d’identifier. Il osa une question timide : – José ne vient pas ? Sa propre voix lui parut méconnaissable, étouffée par la capuche. – José ne viendra pas, non. Il a eu un petit empêchement, répondit Marchand. – Un empêchement… définitif, ricana King-Kong, qui ouvrait la bouche pour la première fois. Léo sentit la terreur le submerger. – Mais… pourquoi ? balbutia-t-il. – Il semble que ce cher José n’ait pas été étranger à la descente de police, expliqua Marchand. Les mecs des Stups l’avaient recruté comme indic. – On avait quelques soupçons. Il a fini par nous avouer ça après un interrogatoire un peu… approfondi, précisa le g*****e de sa voix grasseyante. Et ensuite, on lui a présenté l’addition, conclut-il avec un gros rire. Léo était atterré. Il n’arrivait pas à y croire. José… Une balance ? Il le connaissait depuis longtemps et travaillait avec lui en toute confiance. Il pensa avec tristesse à la compagne que son ami laissait derrière lui, bien qu’il ne l’eût jamais rencontrée. Maintenant, c’était son tour. Allait-on l’interroger, lui aussi, pour lui faire avouer qu’il était dans le coup ? Et ensuite l’exécuter comme José ? Il n’eut pas le loisir de ruminer bien longtemps. La Mercedes ralentit et franchit le bateau d’une porte cochère, puis elle s’immobilisa. Son voisin ouvrit la portière et le fit sortir de la voiture en le tenant fermement par un bras. Après quelques mètres, il entendit une porte s’ouvrir et il pénétra dans un bâtiment. Sans doute une maison particulière – il aurait été peu discret de le trimballer avec sa capuche dans une cour d’immeuble. Toujours guidé par le g*****e, il marcha encore un moment, puis sentit une pression sur ses épaules qui le fit asseoir. Son postérieur entra en contact avec ce qui lui sembla être un fauteuil Chesterfield. Il demeura ainsi un long moment dans un silence complet, et dans le noir. Il respirait avec difficulté, dégoulinant de sueur et de trouille. Une voix douce le fit sursauter. – Eh bien, Monsieur Hernàndez, je suis désolé pour cet accoutrement inconfortable, mais sécurité oblige. Le Patron était donc là et le laissait mijoter depuis plusieurs minutes… – Vous savez que j’ai horreur des échecs, Monsieur Hernàndez, reprit la voix suave et menaçante. La gorge nouée, Léo fut incapable d’articuler un mot. – Je reconnais que vous n’étiez pas responsable de ce fiasco, et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de vous donner une chance. Le soulagement du gangster fut de courte durée. – Vous m’avez fait perdre une somme d’argent importante en vous débarrassant de la… livraison. – Mais Patron, la police arrivait… – Ttt, Ttt, ne m’interrompez pas. Je vais donc vous charger d’une double mission. Premièrement, vous vous procurerez par tout moyen que vous jugerez approprié la somme que vous nous avez fait perdre, cinquante mille euros. Et sans vous faire remarquer par la police. Deuxièmement, vous allez prendre livraison de la marchandise correspondante. Mais la transaction se fera à l’étranger. Plus précisément, en Angleterre. Ici, vous êtes trop surveillé. Nous vous donnerons les instructions pour cet échange avec des partenaires sûrs. À vous de passer au travers des mailles du filet. Entre l’Angleterre et la France, c’est plus facile. Et cette fois, pas de raté ! Sinon, vous quittez l’équipe, et je ne sais pas ce que vous deviendrez… Léo était de plus en plus inquiet. Ce qu’on lui annonçait devenait « mission impossible ». Et, dans la bouche du Patron, rester dans l’équipe signifiait rester en vie… – Marchand vous donnera toutes les indications pour vos rendez-vous là-bas, conclut l’homme à la voix doucereuse. Les dates sont déjà fixées. Vous avez une quinzaine de jours pour trouver les fonds. Soyez prudent… et efficace ! Godzilla lui saisit à nouveau le bras d’une poigne de fer et le fit lever. L’entretien était terminé. Ce n’est que lorsque Marchand lui remit un document comportant les fameuses indications (ultraconfidentielles, insista-t-il) que Léo comprit à quel point l’épreuve allait être difficile. Il avait l’impression de jouer un remake des chasses du comte Zaroff ! Le premier rendez-vous, remise de l’argent, était prévu le jour de la fête d’Halloween dans un château en ruines (et sûrement hanté) du pays de Galles nord, près de Liverpool. L’autre, pour la réception de la came, quelques jours plus tard dans le vieux cimetière de Highgate, à Londres – bien entendu dans la partie ouest, interdite au public en dehors des visites guidées. Et le rendez-vous était fixé en pleine nuit ! Léo, qui était fasciné autant que terrifié par les fantômes et autres créatures de l’au-delà, possédait une grande culture sur le sujet. Il se rappelait très bien une histoire de vampire qui aurait sévi dans ce cimetière dans les années soixante-dix. Une affaire qui avait fait grand bruit : des promeneurs avaient signalé des apparitions, des cadavres d’animaux vidés de leur sang. Pendant deux heures, sur la chaîne ITV, deux férus d’occultisme, David Farrant et Sean Manchester, s’affrontèrent, chacun prétendant pouvoir régler son compte au vampire en question. Enfin, des chasseurs de vampires amateurs firent une descente dans le cimetière. La police s’en était mêlée… On ne pouvait imaginer cela qu’en Angleterre ! N’empêche que de nombreuses vidéos continuaient à circuler sur le net, et Léo ne demandait qu’à y croire. Sa superstition maladive n’était un secret pour personne. Le Patron lui laissait aujourd’hui la vie sauve, mais lui tendait un piège dont il risquait de ne pas sortir vivant. Un jeu cruel… De retour chez lui, Le Mexicain se mit au travail. Il n’avait guère de temps à perdre pour sa « collecte de fonds ». Avec en prime la police à ses basques…
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