La ville

372 Words
La villeSotchi… Tu avais prononcé ce mot maintes fois, sans en extraire la résonance sèche qui n’arrivait pas à masquer le flou ou le mystère que tu ressentais toujours quand tu l’évoquais silencieusement, même en rêve, dans quelque lieu vaste et vierge, quand loin de la foule, loin du monde, seul, tu tentais vainement peut-être l’expérience de la disparition ou plus exactement de la dissolution, sans jamais envisager le drame ou le tragique, mais par goût immodéré d’atteindre, ne serait-ce qu’une fois, ô merveilleux moment, l’état d’apesanteur. Sotchi… Te voilà dans cette ville depuis un mois, et il n’est plus question de rebrousser chemin ou d’évoquer la nostalgie d’un futur que tu ignores et que tu imagines forcément beau. Tu sais très bien que c’en est fini de l’imagination puisque tu as déjà, sans le savoir, tout abandonné pour venir te perdre dans cette ville, dans cette réalité qui n’arrête pas de s’effacer sous tes pas. Oui, tu y es ! Tu es à Sotchi parce qu’Olga est morte à Sotchi, mais après avoir dit cela, tu devines aussitôt que ce n’est pas une explication, que ce n’est pas la vraie raison, et si ta lucidité t’éloigne de la naïveté, il t’est néanmoins impossible de comprendre pourquoi tu es ici. Dessiner ? Voilà une semaine que tu n’as pas fait un seul dessin. Pourtant il y avait ce projet à partir de l’histoire d’Olga. Chaque fois que tu la racontais à des proches ou à des inconnus, chaque fois tu retrouvais le même enthousiasme, la même jubilation à peine contenue, dissimulant plus ou moins l’attente ou l’impatience qu’ils avaient de voir le projet fini. Souvent d’ailleurs, ils en avaient une vision précise, alors que toi, ton projet, tu étais bien incapable de le voir, encore moins de l’imaginer, mais tu sentais parfaitement, comme une évidence, qu’il ne se trouvait pas dans cette attente. Tu souriais aussi à l’idée que certains puissent y voir de l’amour, car même si tes mains avaient gardé jusqu’à ce jour le souvenir de la douceur de ses seins, un soir d’été où l’orage avait plongé prématurément le jour dans la nuit, que même la lune s’y était trompée à jouer son théâtre d’ombres chinoises avec les bouleaux de Sibérie, pendant qu’en bas, dans la cour aux pieds des immeubles, les enfants piaillaient leur joie, et qu’Olga, assise sur la rambarde du balcon, t’offrait sa bouche et tout son être en disant : « Non… », toi, tu sais que ce n’est pas l’amour qui t’a amené là.
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