Prologue-2

2348 Words
J’attrape la main de Lucie et laisse mon regard se perdre dehors. Nous ne distinguons pas grand-chose, mais je vois la cime des arbres se rapprocher. La navette perd encore de l’altitude et de la vitesse, jusqu’à nous donner l’impression de rouler au sol. Puis, dans un dernier virage, elle se pose au milieu d’un vaste champ. Louis se lève et s’approche de la porte. Il l’ouvre, passe la tête à l’extérieur et nous fait signe de le suivre. Je fais un geste en direction d’Alan et de Félicia. Il secoue la tête. — Laisse-les dormir, de toute façon Naïa n’aura pas assez de place pour tous nous emmener en une seule fois. Elle reviendra les chercher après. Ralph va rester avec eux. — Merci bien ! grommelle ce dernier. Lucie pouffe et je ne peux retenir un petit rire, puis, en équilibre sur ses béquilles, elle m’aide à me redresser et nous suivons Louis. Dehors, un vent tiède envahit mes poumons. Il y a dans l’air une humidité chargée d’un je-ne-sais-quoi qui apporte une odeur très agréable. Nous nous sommes posés sur un grand terrain sur lequel, en plissant les yeux, je devine toute une série de parcours et du matériel de sport. Certainement un terrain d’entraînement. Sur notre droite, deux lumières attirent mon attention. Louis s’avance dans leur direction et nous lui emboîtons le pas. Alors que nous nous approchons, je découvre ce que je pense être une voiture. Je n’en ai jamais vu en vrai, seulement dans les livres de l’institut, et rien qu’à l’idée de monter dedans, je suis toute excitée. Une femme saute du véhicule et s’approche de nous. — Montez vite. Nous ne devons pas traîner. Si Samuel découvre que je ne suis plus là, il ne va pas être content. Elle parle vite, d’une voix chaleureuse et, malgré ce qu’elle dit, j’entends de l’amusement dans sa voix. — Il ne sait pas que nous venons ? demande Louis. Dans la lumière, je vois la femme acquiescer. — Si, mais il ne sait pas que vous arrivez aujourd’hui. Et, vu les évènements d’hier soir, il ne va pas apprécier que je m’éloigne toute seule. Sa voix se brise sur la dernière phrase et je me sens tout à coup gênée de l’avoir fait venir jusqu’ici pour nous récupérer. Louis doit être dans le même état d’esprit, car c’est presque en s’excusant qu’il reprend : — Nous avons encore trois personnes dans la navette, tu veux que j’aille les chercher maintenant ? La femme réfléchit quelques secondes puis secoue la tête : — Non, c’est bon, de toute façon, nous ne pourrons pas tous entrer dans la voiture. J’enverrai quelqu’un les chercher tout à l’heure. Puis, elle nous tourne le dos et remonte dans le véhicule. Louis nous aide à nous installer sur les sièges arrière et prend place à l’avant, à côté de notre conductrice. Elle tourne la clef, le moteur démarre. La sensation de rouler en voiture est totalement différente de ce que l’on ressent en navette. Déjà, elle est totalement ouverte, l’air vient emmêler nos cheveux et nous fouetter le visage, nous obligeant presque à fermer les yeux. Ensuite, nous sommes en contact direct avec la route, nous en sentons toutes les aspérités, tous les trous, toutes les bosses, et le trajet se transforme très vite en calvaire pour mes côtes cassées. Enfin, ajoutée à tous ces éléments, la vitesse paraît beaucoup plus impressionnante qu’en navette, si bien que je me retrouve rapidement agrippée au siège avant, la peur me tordant l’estomac. Après un trajet qui me semble interminable, Naïa arrête enfin le véhicule devant une petite maison et en descend en vitesse. — Bienvenue chez nous ! nous lance-t-elle en s’arrêtant à l’entrée d’un jardin qui semble magnifique. Louis nous aide à nouveau à nous extirper de la voiture, et nous suivons Naïa à l’intérieur de la demeure. En traversant le jardin, je me fais la réflexion que j´ai hâte que le jour soit complètement levé afin de le découvrir sous la lumière du Soleil. Les fleurs commencent tout juste à s’ouvrir et embaument déjà l’air, venant titiller mon odorat avec ravissement. Naïa nous guide jusqu’à sa cuisine et nous invite à nous installer. — Vous souhaitez peut-être manger quelque chose ? Louis acquiesce, tandis que Lucie et moi secouons la tête. Naïa nous regarde, surprise. — Tout ce trajet ne vous a pas donné faim ? Je fixe Lucie, avant de répondre un peu gênée : — Eh bien si… mais j’aimerais beaucoup rejoindre Gabriel. Est-ce qu’il loge loin d’ici ? Est-ce que vous pensez qu’il dort encore ? Elle pose sur moi son regard chaleureux. — Je ne sais pas s’il dort encore, et non, il n’habite pas loin. En revanche, ils ont eu une nuit très difficile et il serait préférable d’attendre encore une heure ou deux avant d’y aller. J’acquiesce en silence, légèrement déçue, mais après tout, nous ne sommes plus très loin l’un de l’autre et ce ne sont pas quelques heures qui changeront grand-chose. Je prends donc place à la table, imitée par Lucie, et lance un grand sourire à Naïa. — Très bien, alors je serais ravie de prendre un petit-déjeuner. Son visage s’éclaire et je découvre à quel point elle est magnifique. Ses traits à la peau sombre respirent l’intelligence et la bonté. Elle a beau être physiquement très différente de ma mère, ce qu’elle dégage me la rappelle plus que jamais. — Formidable ! lance-t-elle. Je vous prépare ça dans une minute, mais avant je dois envoyer quelqu’un récupérer vos amis. Nous acquiesçons et elle s’éclipse dans le couloir. Pendant son absence, je regarde autour de moi. La maison de la famille a l’air fort sympathique, toute de bois et de couleurs douces ; la cuisine immense donne l’impression d’avoir été construite pour accueillir d’innombrables personnes. Mon regard est attiré par la fenêtre au-dessus de l’évier. Cela me fait bizarre de voir des plantes à hauteur de fenêtre, moi qui ai grandi en immeuble, au milieu du béton, j’ai l’impression d’avoir atterri dans un autre monde. Je remarque du coin de l’œil que Lucie et Louis sont tout autant subjugués que moi. Naïa revient puis s’installe derrière son plan de travail. — Crêpes pour tout le monde ? demande-t-elle. J’en salive d’avance, et nos vigoureux hochements de tête la font sourire. Alors qu’elle les prépare, la porte d’entrée claque. Une jeune femme, plutôt grande et avec de belles formes, fait son apparition, suivie de Ralph, Alan et Félicia. La tête de cette dernière laisse supposer que le trajet n’a pas été des plus calmes, et le regard que lui lance la jeune femme qui les a accompagnés en dit long lui aussi. — Il y a eu un problème, Rebecca ? demande Naïa. La jeune femme secoue la tête et fusille Félicia du regard. — Non, c’est bon, rien que je ne puisse régler toute seule. Naïa suit le regard de Rebecca, puis l’interroge des yeux. La jeune femme hausse les épaules et se laisse tomber sur une chaise à côté de nous. Elle soupire un grand coup et se tourne vers nous, un sourire aux lèvres. — Bonjour, je suis Rebecca… Elle me tend la main et, tandis que je m’en saisis, elle ajoute tout en lançant un regard peu amène à Félicia : —… la maîtresse d’arme de notre communauté. J’étouffe un gloussement qui provoque tout de même quelques élancements dans mes côtes, tandis que Lucie éclate franchement de rire. Rebecca me plaît déjà énormément. Je sens que Félicia a du souci à se faire si elle décide de rester à Marseille. Une heure plus tard, nous sommes tous attablés devant une montagne hallucinante de crêpes. Notre hôte a sorti du sucre et un assortiment de confitures, y compris une au chocolat. Je plante ma cuillère dans cette dernière puis la porte à ma bouche. Le goût qui explose sur ma langue me fait pousser des soupirs d’aise. Rebecca éclate de rire. — Ça s’appelle de la pâte à tartiner, nous explique Naïa. La recette me vient de ma mère. Il paraît que dans l’Ancien Monde, on pouvait en acheter par pots entiers. Son regard se voile et elle secoue la tête. — Maintenant, c’est plus compliqué, mais, heureusement, nous avons des contacts à la Nouvelle Pretoria qui nous font parvenir le cacao qui me permet d’en préparer. Pendant plus d’une demi-heure, nous mangeons en discutant gaiement. Chaque bouchée, qui me fait découvrir un nouveau goût, est pour moi un ravissement. Louis, Rebecca, Lucie et moi faisons mine de ne pas entendre les plaintes à répétitions de Félicia, et laissons lâchement le pauvre Alan se débrouiller avec elle. Naïa essaye bien pendant un moment de faire connaissance avec la jeune fille, mais très vite, elle baisse les bras et vient s’installer en bout-de-table, de notre côté. Rebecca est en train de nous raconter certaines des anecdotes qu’elle a vécues à la salle de tir, lorsque la porte d’entrée claque : un jeune, qui ressemble beaucoup à Naïa, fait alors irruption dans la cuisine. Il a l’air un peu en colère, et à sa vue, elle se lève de sa chaise, les yeux et le visage fermés. — Jason ! C’est maintenant que tu rentres ? Tu pensais vraiment que de m’éviter à ton retour allait me faire oublier que tu étais parti contre l’avis de ton père ? Le jeune homme secoue la tête et s’assied à côté d’elle. — Ce n’est pas le moment, maman. Je suis déjà bien assez remonté comme ça ! Elle pose ses mains sur ses hanches et toise son fils. — Et, c’est censé me calmer ? Je me moque que tu sois en colère ! Si ton père n’est pas capable de te remonter les bretelles, moi je vais le faire ! Jason soupire et se lève de sa chaise. — OK, j’ai compris. Je pense que je vais aller faire un tour et que je vais éviter la maison quelque temps. De toute façon, ce sera mieux pour tout le monde que je ne croise pas papa pendant plusieurs jours. Naïa hausse les sourcils. — Et pouvons-nous savoir où tu comptes habiter ? Il la regarde droit dans les yeux avant de répondre : — Je te rappelle qu’il y a des chambres libres chez Eléa et Gabriel, cela fait déjà plusieurs nuits que j’y dors, au cas où tu ne t’en souviendrais pas. Je peux donc très bien rester là-bas. Elle le fixe, un sourire triomphant sur les lèvres, et répond : — Eh bien, non, vois-tu ! Nous avons de nouveaux arrivants et ils vont avoir besoin d’être logés. Comme ils sont ici pour retrouver Gabriel, je pense que la meilleure solution serait qu’ils s’installent là-bas. Jason nous regarde tour à tour et se laisse à nouveau tomber sur sa chaise en se passant la main sur le visage. — Maman, je te jure qu’il ne faut pas que je croise papa pour le moment. Nous avons un énorme désaccord, et tant qu’il n’aura pas changé d’avis, je n’aurai rien à lui dire ! Naïa fronce les sourcils et lui lance un regard sévère. — Nous en parlerons plus tard, ce n’est pas le moment, de la même façon que tu ne vas pas t’en tirer comme ça pour ta petite escapade. Pour l’instant, j’aimerais surtout savoir si Gabriel est réveillé. En disant cela, elle me jette un coup d’œil. Je sens mon cœur bondir dans ma poitrine. J’ai l’impression que le temps s’arrête et que Jason met des heures à répondre. Puis, finalement, il hoche la tête, mon pouls s’accélère. Je suis déjà debout, prête à bondir hors de la cuisine, lorsque je me rends compte que je ne sais pas où aller. Je me tourne vers Naïa, juste à temps pour la voir lever les yeux au ciel. — Lorsque tu sors de la maison, tu prends à droite, tu descends toute la rue, jusqu’à la plage. La maison de Gabriel et d’Eléa est la dernière. Tu ne peux pas la rater, elle est bleu turquoise. Elle a à peine le temps de finir sa phrase que je suis déjà en train de traverser le jardin en courant. Mes côtes me font mal, mais peu importe. Gabriel n’est qu’à quelques maisons de moi et j’ai très envie de le retrouver. Je suis déjà dans la rue lorsque j’entends Lucie m’appeler : — Clara, attends-moi ! Je me retourne, mais ne m’arrête pas pour autant. Elle lève ses béquilles au ciel avant de s’exclamer : — D’accord, très bien ! File, je te rejoins ! Je la remercie d’un signe de tête et continue ma course. La route me paraît interminable, mais enfin, je distingue le bleu turquoise de la maison dans laquelle je vais enfin retrouver Gabriel. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine, mes côtes me font mal, mais tout ceci me passe au-dessus de la tête tant je me concentre sur l’instant présent. Alors que j’atteins enfin la grille du jardin, la porte d’entrée s’ouvre. Je m’arrête, la main sur le portail, le cœur manquant quelques battements. Izzie apparaît sur le perron et je vois plusieurs émotions passer sur son joli visage : l’étonnement, le questionnement, et enfin la joie. — Clara, c’est bien toi ? lance-t-elle. Puis, un peu plus fort. — C’est pas vrai, Clara ! Gabriel, Gabriel, viens vite ! Clara est là ! À l’intérieur de la maison, j’entends un remue-ménage, de la vaisselle qui se casse, quelque chose qui tombe, et, au moment où je pousse la grille pour entrer, il sort à son tour de la maison. Il s’arrête une seconde en me découvrant, puis descend les marches en courant et en m’ouvrant les bras. Des larmes emplissent mes yeux, et je m’arrête en plein milieu de l’allée, attendant qu’il me rejoigne. Lorsqu’il est à ma hauteur, je me jette dans ses bras et il me fait tourner en riant. — Clara ! Je suis tellement heureux de te voir ! J’ai cru que tu n’arriverais jamais ! Il m’embrasse sur les joues, dans les cheveux, sur le front et me serre tellement fort contre lui que, pendant un moment, j’ai peur pour mes côtes. — J’ai eu tellement peur, Clara, j’ai cru que j’allais devenir fou ! continue-t-il. Maintenant, les larmes coulent sur mes joues. Le soulagement et la joie de l’avoir retrouvé me font prendre vraiment conscience de tout ce qu’il s’est passé ces deux derniers mois. Il me repose et, voyant les larmes couler, tend la main et la passe tendrement sur ma joue pour les essuyer. Il me regarde, sourcils froncés, pour comprendre les raisons de mon malaise, mais je hausse légèrement les épaules et attrape sa main pour entrelacer nos doigts. — Je suis là maintenant, et nous n’allons plus nous quitter. Il me prend à nouveau contre lui et déclare : — Oh non ! Nous n’allons plus nous quitter ! Deux secondes plus tard, je le sens se raidir et murmurer : — Mince, Eléa ! Il me repousse légèrement, juste assez pour que je puisse me retourner et découvrir, à l’étage, une jeune fille qui disparaît de derrière la fenêtre. Il m’embrasse une dernière fois sur le front, me presse la main et s’éloigne de moi. — Entre, Izzie va s’occuper de toi. Je dois aller parler à Eléa. J’acquiesce et le suis à l’intérieur. Alors qu’il disparaît en courant dans les escaliers, Izzie me prend à son tour dans ses bras et me glisse à l’oreille pour me rassurer : — Ne t’inquiète pas. Eléa est une fille adorable et intelligente, elle comprendra qu’il ne lui ait pas encore parlé de toi. Je déglutis difficilement et ferme les yeux pour me laisser aller à son étreinte. J’espère qu’elle a raison.
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