Chapitre 1-2

2023 Words
–Voilà voilà, je m’en occupe Allard, vous avez certainement un tas de choses à faire. » Il se lève et se casse, elle s’assoit à sa place. Je dois te dire que je suis ravi que cet entretien prenne cette tournure, car ce moustachu, j’en suis intimement convaincu, malgré son faux-air de pas-méchant, allait me casser les roupettes. Quant à elle, elle est probablement tout aussi relou, mais j’avoue que je préfère me faire casser les burnes par une femme, charmante de surcroît ! Car parfois, les couilles, c’est en se les faisant casser qu’on finit par se les faire masser, crois-en mon expérience ! Je la toise d’un petit œil coquinou, quand elle m’avoue en plaisantant à moitié : « Veuillez excuser mon collègue pour son incompétence. Son père et sa mère sont cousins germains ! –Tout s’explique ! –Trêve de plaisanterie, continue-t-elle, je ne suis pas là pour railler mes ahuris de collègues. On m’a raconté brièvement ce qui s’est passé. Vous êtes donc un témoin oculaire ? –Je dois vous avouer madame que... –Mademoiselle, corrige-t-elle. –Oui mademoiselle, donc je dois vous avouer que je n’ai pas oculé grand-chose ! ironisé-je. –Vous vous trouviez en face de la scène de crime m’a-t-on dit, il doit bien y avoir quelques détails qui ne vous ont pas échappés. Le véhicule avec lequel les tueurs se sont enfuis par exemple, vous avez bien du l’apercevoir. –Une Audi noire, mais je n’ai franchement pas eu le temps de relever la plaque. –C’est déjà un bon début ça, monsieur... ? demande-t-elle en tapant sur le clavier de son ordinateur. –Vladimir Zlechinski, vous pouvez m’appeler Vlad si vous le désirez. –Nous n’avons pas élevé les cochons ensemble monsieur Zle..., Vladimir, revenons à nos moutons... » Tu remarqueras qu’elle est adepte des métaphores animalières, probablement une gerce de la cambrousse. Nous continuons cet entretien pendant une bonne demi-heure. Je lui déballe le peu que je sais plus mon état-civil, et ça a l’air de lui suffire. Tant mieux car la pendule annonce bientôt midi, et j’irai bien jaffer un bout tranquillement au lieu de coller mon cul sur cette chaise, bien que je sois en très charmante compagnie, on reste dans un commissariat, ce qui n’est pas un lieu de villégiature non plus ! Quand je lui ai raconté tous les tenants et aboutissants, et plus si affinités, elle semble disposée à me lâcher la grappe. « Vous m’avez plus aidé que vous ne le pensez, m’assure-t-elle. Si un détail supplémentaire vous revenait, n’hésitez pas. » Elle me file sa carte, j’y jette un œil. Il y est inscrit Latifa Ben Arfaoui, lieutenant de police, ainsi que son numéro de bigo. Une fliquette arbi ? Assez rare pour être signalé. Quel malheur de la vie a pu pousser cette belle plante dans ce corps de métier ingrat ?? Elle reprend : « En sortant, vous signerez le registre de sortie au fonctionnaire qui est à la réception. Bien entendu, vous ne devrez pas quitter la ville pendant quelques temps. –Comment !! m’exclamé-je. Vous êtes malade, c’est que j’ai des projets de voyage sur le feu. Je n’y suis pour rien dans toute cette histoire... –C’est la procédure, tâchez de la suivre où il pourrait vous arriver des ennuis monsieur... redites-moi votre nom ? –Zlechinski ! Je constate que je n’ai pas le choix, mais j’espère tout de même que ça ne durera pas trop longtemps car... –Ça ne durera pas éternellement, monsieur...Zlouch...Vladimir, tranche-t-elle. Sur ce... » Elle se lève, sourit légèrement, et me tend sa paluche douce et fraîchement manucurée. Je la serre délicatement, murmure un vague ciao et file. J’en ai un peu gros sur la patate quand je sors de ce sinistre établissement : ne pas quitter la ville !! Pour avoir eu le malheur d’assister à une fusillade, je suis obligé d’être coincé ici contre mon gré, alors que j’avais quelques projets tropicaux. Car tu viens d’assister à ces événements sans savoir le pourquoi du comment. Qui, que, quoi, dont, où ? Je me doute que tu t’interroges, je vais donc éclairer ta lanterne. Tout d’abord, as-tu suivi mes aventures précédentes ? Si tel n’est pas le cas, voici une faute grave qu’il te faut corriger absolument en te procurant cette œuvre de bon goût qu’est « les métamorphoses de Vladimir », mais continue donc ce bouquin-là, maintenant que tu l’as commencé. Je suis donc Vladimir, aventurier au long cours, sillonnant des contrées hostiles comme toi tu vas faire tes courses, toujours à la recherche d’adrénaline, de sensations. Je parcours les quatre coins du monde depuis quelque temps maintenant, et je peux te dire que j’en connais un rayon sur pas mal de parties du globe. Je trouve des plans pour vivre dans chaque pays où j’atterris, et parfois c’est cool, d’autres fois moins, mais ça a le mérite de donner foi en l’existence, au lieu de subir une vie morne comme la tienne. Nen je déconne, mais avoue qu’aller balader ton caniche tous les matins dans le parc à cabots qui se trouve aux abords de ton 30 mètres carrés en banlieue, avant d’aller t’emmerder dans ton minuscule burlingue où ton boss acariâtre te fait des réflexions toute la journée n’est pas franchement ce qu’on peut appeler une vie palpitante non plus. Suite à quelques péripéties, je m’étais retrouvé sur une minuscule île du Nicaragua joliment nommée « île du maïs », bien qu’il n’y ait pas un épi qui pousse dans ce coin du globe. J’ai taffé un poil là-bas pendant un moment, mais tu vois, vivre sur un bout de caillou, ça va un temps. On en a vite fait le tour. Je commençais à être un peu soûlé de moisir, quand j’ai rencontré un brave type nommé Alex, un baroudeur français en voyage. On a fait copain-copain, et je lui ai raconté que j’en avais ras le bol, que j’avais besoin de changer d’air. Il m’a direct proposé de venir crécher chez lui un temps à Lyon, histoire de me refaire, avant de décider de ce que j’allais faire par la suite. C’est donc comme ça que je me suis retrouvé dans la cité des gones, à gratter par-ci par-là, le temps de repartir. Malheureusement je ne suis pas un acharné du boulot salarié, je mets donc un peu de temps avant de constituer un petit pécule digne de ce nom qui me permette de voguer sous d’autres cieux. Je ne vis en revanche plus chez mon collègue car bien que sympa, je n’avais pas envie de trop abuser et de rester chez lui indéfiniment. J’ai donc chopé un petit appart proche des Brotteaux. Tu ne connais peut-être pas l’ancienne gare des Brotteaux à Lyon, si tu n’es pas du tout de Lyon ou n’as jamais mis un panard dans cette ville, mais sache que je ne t’en dirai pas plus car ça n’a foutrement aucun intérêt. Je ne te pousserai pas à aller visiter cette cité grisâtre et pas forcément très belle, quoi qu’en disent les locaux. Si tu as trois ou quatre ronds d’éconocroques, va plutôt faire un tour à Barcelone, qui est, ELLE, une ville sympa, jolie, accueillante et festive. Lyon, mis à part s’arrêter manger une tête de veau, n’est pas attractive pour deux sous. Non effectivement Gérard Collomb(in) ne deviendra pas mon pote après ces déclarations, mais j’avoue que ce gazier m’inspire autant qu’une blague de Jean Roucas ! Bref, tu sais tout ou presque. Après cette petite séance de flicothérapie, je suis bien disposé à aller croquer un morceau. Je mate l’heure sur mon portable : 12h21. Je textote la gerce avec qui j’avais rencart pour lui expliquer le pourquoi du comment de mon absence. En voilà une que je ne suis pas près de revoir, pour sûr. Tant pis !! Une de perdue, dix de retrouvées. J’hésite sur le lieu où aller bouffer ; rentrer au bercail ? Bof ! J’ai encore envie de rester dehors à humer du pot d’échappement. Il y a bien dans le coin un nombre incalculable de macdos, kébabs et autre « restauration » rapide, mais moi, la matière fécale, je préfère qu’elle sorte plutôt qu’elle rentre, si tu vois ce que je veux dire... J’opte donc pour un petit bouchon (resto typique lyonnais) qui se trouve à deux pas. Une fois arrivé sur les lieux, je reluque le menu et choisis une assiette de grattons-tranches de rosette-pain-beurre, suivi d’une andouillette-frites, le tout arrosé d’un quart de beaujolpif ! Parfois, je me dis que c’est beau la France ! Mais après, quand je vois les trognes des natifs, ce sentiment de fierté s’estompe vite ! La serveuse vient prendre ma commande. C’est une grande gigue squelettique maquillée à la truelle avec les cheveux tirés en arrière, maintenus par une barrette au motif de cochon qui rigole. Elle porte un haut bleu moulant sans soustinge, qui ne moule pas grand-chose d’ailleurs, car elle est aussi plate qu’un film de Luc Besson. Elle est très souriante, ce qui est un bon point pour elle, mais qui, en revanche, laisse apercevoir ses dents du bonheur mal brossées, c’est légèrement rebutant. Elle note ma requête et se carapate aussi sec. Mais tiens donc, devine qui vient de rentrer dans ce modeste établissement ? Un inconnu avec un complet gris, mais ce n’est pas lui qui m’intéresse, c’est la personne qui le suit. Tu as trouvé ? Non ? Quel manque de déduction ! Eh bien ma fliquette rebeu, pardi ! C’est elle, en chair, en os et en civil ! Elle ne semble pas m’avoir vu dans le brouhaha de la salle. Elle s’en va asseoir son fessier que je devine divin à seulement trois tables de moi. Tiens, v’la la larbine qui se radine avec mes grattons-rosettes et mon beaujo, plus du pain tranché et un morceau de beurre. Au poil, j’ai la dalle ! N’en plaise aux diététiciens, aux partisans de l’alimentation saine et minceur et aux végans coincés du derche, les grattons (de la peau de porc frite au saindoux) accompagnés de rosette et de pain beurré sont un régal pour les papilles. C’est certain que c’est extrêmement gras, mais avoue que sans graisse, il n’y a pas de saveur ! J’attaque ma mise en bouche sans prêter attention à la pervenche qui m’a interrogé, quand quelques paroles volent à mes esgourdes : « Je suis désolée, mais cette table est réservée depuis ce matin et je n’ai malheureusement plus de place...Vous pouvez éventuellement demander au monsieur là-bas qui est seul si vous pouvez manger à sa table... » Bien entendu le monsieur en question c’est bibi ! La serveuse s’adresse à la fliquette, et a l’air aussi navrée en disant ça que si elle lui annonçait le décès de sa grand-mère. Moi, ayant entendu ce refus malencontreux, ne voulant pas laisser quelqu’un mourir de faim, bon prince de surcroît, fait un signe amical de la main à cette demoiselle qui paraît dépitée par ce contretemps inattendu. Au vu du regard qu’elle me virgule, elle semble aussi ravie de venir manger à ma table que si on lui proposait d’aller bouffer aux chiottes. Ma foi, qu’elle fasse comme elle le sent, non mais !! Ces perdreaux ne manquent pas d’air tout de même ! C’est plutôt moi qui devrais être dégoûté de manger avec une bleue, sans blague ! Je ne suis pas Renaud, je n’ai pas embrassé un flic. Je n’ai pas bien compris son délire d’ailleurs; il a probablement été attiré par leur haleine anisée, étant donné qu’il a constamment la même... Par dépit, elle donne son approbation à la serveuse pour qu’elle apporte son couvert à ma table. Cette adepte de l’autorité se lève (mon dieu qu’elle est grande, elle doit faire dans les un mètre nonante !) et s’approche de ma table. « Vous êtes certain que ça ne vous ennuie pas si je mange à votre table ? Je n’ai aucune envie de manger un kébab au bureau... », m’avoue-t-elle. C’est bon, son ton penaud m’indique qu’elle vient accompagnée d’un drapeau blanc, je me détends également. « Ça ne m’ennuie pas le moins du monde, asseyez-vous lieutenant Ben Arfaoui ! » Mon ton amical la fout en rogne. « Et oh, essaye pas de me faire de la lèche bonhomme, t’as pas misé sur le bon cheval ! » Quel caractère !! Moi de la lèche ? Si elle me connaissait un peu mieux, elle saurait que ce n’est pas cette lèche-là dont je suis adepte... Je la rassure donc : « Ce n’est pas du tout mon intention, mademoiselle. Vous me tutoyez comme ça ? –Arrête donc ton cirque de gentleman façon XIXème siècle, des loustics dans ton genre moi je les cerne vite, et je peux t’assurer que j’en bouffe dix par jour. Alors tu sais ce que tu vas faire ? Tu vas avaler tes bouts de gras frits dégueulasses et me laisser attendre mon assiette tranquillement, compris ! –Houla, eh bien si vous le prenez comme ça... », me vexé-je. Quelle g***e ! Je lui cède aimablement une place à ma table et cette morue m’envoie chier ! Je mange donc ce qui se trouve dans mon assiette avec une moue boudeuse. Trente secondes plus tard, la nana rapplique avec un plateau contenant une assiette de poulet célestine. « Excellent choix, observé-je. –Poulet champignons ail persil ! De quoi en faire un plat mais pas une conversation !! » Et elle croque à belles dents dans une cuisse, me fixant d’un air sévère. « Bon écoutez, lui envoyé-je, je crois qu’on part sur de mauvaises bases. Je ne compte ni vous draguer, ni vous soutirer des infos sur l’enquête, ni quoi que ce soit. Alors parlons de choses et d’autres, sans compromis, quitte à bouffer à la même table. »
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